Image : Marcelle Delpastre
LA LENGA
LA LANGUE
Marcelle a longtemps écrit en français. Au tournant des années 60, elle observe le monde agricole changer, et se tourne alors vers cette langue d’oc, tout aussi menacée. Le premier poème de Marcela en occitan date de 1964 : La lenga que tant me platz.
Elle a 39 ans.
Elle ne va plus cesser d’explorer cette langue, cette culture. Saumes pagans, publiés en 1974, puis Paraulas per questa terra, grâce à Jan dau Melhau, sont un éblouissement.
Ce dernier dit de son écriture : « la chaude sonorité du limousin y entre en résonance avec la souplesse du verset. »
Anei vers queu país : desvelha-te !
[...] Anei vers queu país, coma aniriatz ad un amic,
li borrar sus l’espatla : desvelha-te !
Quant be d’autres, davant ieu, an dich : desvelha-te ?
’Nava ad aqueu país coma òm vai a sa mair. Coma òm parla a son pair, a la sòr que vos an balhada.
Desvelha-te ! La forest flamba, e l’espija pòrta lo fuec d’un champ sus l’autre champ. Coma òm vai a sos pairs dire qu’es jorn e que lo solelh ràia, ai parlat a queu país dins sa lenga mairala.
Desvelha-te ! Que l’aiga montarà pus naut que los chastanhs.
Desvelha-te ! La mar passarà pus naut que las maisons. [...]
J’allai vers ce pays : réveille-toi !
J’allai vers ce pays, comme on irait vers un ami, lui taper sur l’épaule : réveille-toi !
Combien d’autres, avant moi, on dit : réveille-toi ?
J’allais vers ce pays comme on va vers sa mère.
Comme on parle à son père, à la soeur qu’ils vous ont donnée.
Réveille-toi !
La forêt flambe, l’épi porte le feu d’un champ sur l’autre champ.
Comme on va vers ses parents dire qu’il est jour et que le soleil brille, j’ai parlé à ce pays sa langue maternelle.
Réveille-toi ! L’eau montera plus haut que les châtaigniers.
Réveille-toi ! La mer passera plus haut que les maisons.
Saumes pagans, Ed. Lo Chamin de Sent Jaume, Meuzac, 1999
L'aranha fai sa tiala. L'auseu estend
son ala. E ieu duebre mas mans, per
l'amor et per l'amistat, per lo trabalh
e las penas - pèr defendre mai per
gardar - ço que se minja e çò que se minja e çò que se
pòrta.
He gwiad 'ra ar gevnidenn. E askell
'astenn al lapous. Ha me a zigor ma
daouarn, 'vit tud karet ha mignoned,
'vit al labour hag ar poanioù -evit
difenn evit diwall - ar pezh a zebrer
hag ar pezh a zouger.
L'empreinte du pas
L'araignée fait sa toile. L'oiseau étend
son aile. Et moi j'ouvre mes mains, pour l'amour
et pour l'amitié,
pour le travail et les peines - pour défendre
et pour garder - ce qui se mange et ce qui se porte.
L'araignée se file sa toile et l'oiseau sa volée.
L'arbre sa ramée, l'eau sa coulée,
le renard ses sentiers. Moi - mais moi,
les sentiers, me suffit d'aller, je n'ai qu'à suivre.
Chemins et routes, tout m'est tracé. Tout est
réglé. Construit. Tassé. Bitumé. Tout s'en va droit,
tout droit où il faut aller.
Je n'ai qu'à suivre. Et que je me détourne
pas ! Que je ne chavire pas. Suffit que j'aille où
il faut aller.
J'irai, oui. - Je n'irai pas. Que, mon chemin,
je ne le connais pas. Suivre, je ne veux pas.
Où j'irai, je ne sais pas. Mon sentier, je ne l'ai
pas creusé. Mon pas, je ne l'ai pas marqué ;
peut-être que mon pas ne me porte pas très
loin, que mon aile n'est guère large, et que le vent,
la pierre, l'épine - ou sais-je quoi - me crèvera
ma toile. Cela se peut. Je m'en irai pourtant,
tout droit devant comme l'aragne, comme
l'oiseau dans sa volée, l'eau, le renard.
Et je tracerai mon sentier, je trouverai
ma route, ma route à moi, le chemin de ma sève.
Je marquerai l'empreinte de mon pas.
Parolas per questa terra, Tome I, Ed. Lo Chamin de Sent Jaume, Meuzac, 1997
traduction : Annaig Le Naou
Gilles Pouliquen