Que recouvrent les notions d’érosion littorale et de submersion ?
L’érosion littorale correspond à une perte de volumes de matériaux constituant les côtes : éboulement de falaises, amaigrissement de plage, disparition de portions de dunes. Elle résulte de l’association de divers processus : gravitaires, marins (houles, vagues et courants), atmosphériques (vent, précipitations), continentaux (cours d’eau, eau souterraine) et anthropiques (extractions de sédiments, construction d’ouvrages, etc.). Aussi, le trait de côte est un indicateur largement utilisé pour estimer la sévérité de l’érosion littorale : la position qu’il occupe chronologiquement permet de définir son évolution, et la vitesse à laquelle le recul s’exerce (ou non) au cours d’une période donnée.
La submersion correspond, quant à elle, à l’inondation par la mer. Elle se produit lorsque le niveau instantané de la mer dépasse l’altitude du trait de côte naturel ou des ouvrages côtiers. Des conditions de marée haute de fort coefficient suffisent parfois pour produire une submersion, mais sa survenue est d’autant plus probable que ces conditions sont associées à une « surcote » (élévation temporaire du niveau de la mer) due à un vent fort orienté vers la côte, à des vagues de forte amplitude, ainsi qu’à une pression atmosphérique basse. La submersion s’exerce par débordement, projection de paquets de mer et/ou brèches.
En Bretagne, l’Observatoire intégré des risques côtiers (Osirisc) rassemble les observations des aléas érosion et submersion marines régionales. Cet observatoire s’appuie, entre autres, sur l’Indicateur national d’érosion côtière (Inec), qui compare les positions du trait de côte à 60 ans d’intervalle (milieu du XXe siècle-début des années 2010).
Dans la péninsule bretonne, l’érosion s’exerce sur les côtes rocheuses à un rythme généralement lent. Les rythmes les plus rapides sont principalement sur les côtes à falaises meubles et les accumulations de sables et de galets. Certains secteurs sont particulièrement affectés, comme les falaises de la Mine-d’Or, à Pénestin, des plages et des dunes à l’est de l’exutoire de la rivière d’Étel dans le Morbihan, de l’isthme de Penthièvre, par exemple. Ces secteurs connaissent des reculs annuels moyens de l’ordre de 0,5 à un peu moins de 2 m/an, la valeur maximale étant observée sur le cordon littoral et les dunes de la baie d’Audierne, dans le Finistère. Cependant, l’érosion s’effectue plus généralement, en Bretagne, à des vitesses inférieures à 0,5 m/an. À noter que, à l’inverse, le trait de côte peut avancer ponctuellement.
Les côtes principalement exposées à la submersion sont les littoraux bas d’accumulation et ceux artificialisés par des ouvrages côtiers bas. La carte des zones basses du littoral breton définit les territoires ayant été déjà submergés ou susceptibles de l’être : il s’agit notamment des îles basses, l’aval des vallées fluviales généralement occupé par des marais maritimes, les rives des estuaires et les dépressions en arrière de cordons littoraux. Ainsi, le territoire de basse altitude du sud du pays Bigouden, de l’Île Tudy à Penmarc’h et jusqu’aux paluds de la baie d’Audierne, est fréquemment affecté ; la presqu’île de Gâvres, l’île de Sein et Saint-Malo, ainsi que le littoral de Plérin (Les Rosaires) et de Trédrez-Locquémeau sont également concernés. La fréquence et les hauteurs d’eau atteintes y sont néanmoins très variables.
Un littoral très convoité
Les enjeux exposés aux aléas côtiers n’ont cessé de croître en France depuis le milieu du XIXe siècle en s’édifiant au plus près du trait de côte. En effet, les littoraux ont probablement constitué, de tout temps, des milieux attractifs pour les populations. Des activités traditionnelles de pêche, de commerce, de saliculture et conchyliculture sont décrites très tôt. Mais le littoral est longtemps resté assez peu occupé, et surtout peu urbanisé en dehors des ports de commerce ou de guerre. En France comme en Europe, à partir de la fin du XVIIIe siècle, les pratiques évoluent. Les sociétés bourgeoises du XIXe siècle découvrent les aménités des bords de mer . Conjointement, la croissance démographique nécessite l’extension des surfaces agricoles et conduit à la création de polders aux dépens des marais maritimes, comme à Dol-de-Bretagne, par exemple. Avec la Révolution industrielle, les échanges commerciaux maritimes s’intensifient également. Les villes portuaires (pêche, commerce, militaire) se développent, s’étendent le long du littoral, voire sur la mer, et attirent des populations de plus en plus nombreuses issues de l’exode rural. La densification de l’occupation des côtes et la littoralisation des populations s’amplifient au XXe siècle, notamment après la Seconde Guerre mondiale, période durant laquelle les côtes sont intensivement développées. La démocratisation du tourisme et des loisirs balnéaires génère alors un boom touristique et résidentiel très marqué en Bretagne.
L’attractivité du littoral persiste aujourd’hui et la pression de la construction ne fléchit pas, ce qui se traduit par des prix de l’immobilier très hauts, surtout sur le front de mer en « première ligne ».
Comment agir ?
Des représentations qui occultent les risques
Les risques sont donc initiés et continuent de s’amplifier par le développement de ces enjeux directement exposés à l’érosion et à la submersion. Pourtant, plusieurs études ont montré que la proximité de la mer est connotée très positivement, que les personnes qui y résident se considèrent privilégiées et que les risques côtiers sont peu présents dans leurs préoccupations. Les risques côtiers, même dans un contexte de changements climatiques bien connu des habitants, sont mis à distance spatiale (« c’est ailleurs ») et temporelle (« c’est dans longtemps »). La confiance dans l’intervention publique et l’ingénierie côtière contribue aussi à cette non-remise en question de la résidence en bord de mer ; elle entretient cette préférence des habitants à consolider le trait de côte plutôt qu’à envisager le repli vers l’intérieur des terres. Cette position fixiste, consistant à tenir la ligne à tout prix, est pourtant de plus en plus remise en question par les politiques publiques.
Une gestion publique en cours de décentralisation
En France, la gestion et les coûts induits des risques côtiers sont traditionnellement pris en charge par les pouvoirs publics qui règlementent l’urbanisation et financent la plupart des ouvrages de défense contre la mer. En outre, les victimes de catastrophes naturelles bénéficient d’un système d’indemnisation publique fondé sur la solidarité nationale.
Aujourd’hui, toutefois, dans un contexte de pénurie de fonds publics et d’élévation du niveau de la mer, et après la catastrophe de Xynthia en 2010, la gestion des risques côtiers connaît des évolutions importantes.
Tout d’abord l’État a renforcé les mesures de limitation strictes de l’urbanisation en zone côtière exposée en relançant les Plans de prévention des risques littoraux (PPRL) depuis 2011. Leur mise en place a révélé les débats souvent conflictuels entre l’État, accusé d’être trop sécuritaire, et les collectivités locales, soupçonnées de privilégier le développement de leur territoire et la défense des intérêts de leurs administrés au détriment de l’intérêt général. Des conflits importants ont opposé ces acteurs publics sur de nombreux sites en Bretagne, comme à Carnac ou Dol-de-Bretagne, par exemple.
Ensuite l’État, qui a longtemps encouragé la défense du trait de côte contre la mer par l’ingénierie côtière, prône aujourd’hui l’idée de la relocalisation des activités et des biens dans les secteurs les plus exposés à l’érosion. En revanche, pour la submersion, c’est encore la vision « défensive » de la Stratégie nationale de gestion des risques d’inondation qui persiste.
Autre fait marquant, l’État décentralise progressivement la gestion des risques côtiers, les transférant aux communes et intercommunalités. Ainsi, la compétence « gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations » (Gemapi) revient aux groupements de communes depuis 2018. Elle implique la décentralisation de la gestion des digues de mer, ce qui constitue un bouleversement majeur dans l’actuelle gouvernance de la gestion des risques côtiers en France.
Par ailleurs, la récente loi Climat et Résilience de 2021 va dans le même sens. Elle confère à 126 communes volontaires la responsabilité de cartographier les risques d’érosion aux horizons 30 ans et 100 ans, de contrôler très strictement l’urbanisation dans ces secteurs exposés et d’acquérir du foncier et de l’immobilier pour préparer la relocalisation. Les communes de la côte nord de la Bretagne se sont montrées particulièrement volontaristes sur le sujet avec 41 communes inscrites sur cette liste. Pour l’instant cependant, le choix du repli ne se concrétise pas sur le terrain et fait face à d’immenses problèmes financiers au regard de l’absence de fonds prévus par la loi et des très fortes valeurs immobilières sur les côtes.
Au final, des aléas modérés à l’échelle de la France et des engagements souvent volontaristes dans des stratégies de gestion locales des risques côtiers tendent à réduire la vulnérabilité des territoires côtiers bretons. Mais à l’opposé, la forte pression de la construction en bord de mer, liée aux représentations balnéaires et de qualité de vie associées à la Bretagne (sans doute encore renforcées par la crise Covid et les projections du changement climatique), contribue à accroître les enjeux, ce qui augmente la vulnérabilité de la région. Ainsi, la question de l’adaptation de notre littoral aux conséquences des changements climatiques, en termes de submersion et d’érosion, reste un défi. Des recherches interdisciplinaires associant chercheurs et gestionnaires ambitionnent d’apporter des contributions pour avancer vers des solutions cohérentes, équitables et durables.