La péninsule armoricaine était pourtant à la mode. Des peintres avaient rendu populaires les paysages et les types bretons dans les Salons1, des ouvrages littéraires et des recueils de gravures avaient été publiés sur cette région2, mais aucun photographe n'avait, semble-t-il, transporté sa chambre obscure et ses produits chimiques dans la campagne bretonne. Seuls quelques portraits au daguerréotype réalisés à Brest par Pierre Penau et les époux Disdéri témoignent des débuts de l'activité photographique en Bretagne.
Dès 1851, cependant, les choses évoluent. Cette année, le calotypiste Olivier Mestral (voir encadré) prend au moins deux vues du calvaire de Pleyben aujourd'hui conservées à la S.F.P.3. À peine deux ans plus tard, c'est au tour de Louis Robert (voir encadré) de réaliser une série de négatifs papier lors d'un voyage en Bretagne. Il photographie tour à tour Lamballe, la cathédrale de Saint-Brieuc, les ruines du château de La Hunaudaye, l'abbaye de Beauport et le village de Saint-Jean-du-Doigt4. Certaines des images obtenues servent à la confection des douze lithographies de l'Atlas des anciens Evêchés de Bretagne, Histoire et Monuments, par J. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélémy, publié en 1855. Signalons, vers la même époque, une « Sortie d'église », peut-être bretonne, par un certain Granseigne5 ainsi que quelques images de Fougères et de ses environs prises en 1859 par les photographes nantais Bousseton et Auguste.
Robert Louis (1810-1882)
Route de Lamballe, Bretagne
Négatif papier ciré sec, petites repiques à l'encre de chine dans le ciel, vers 1852-1853
34.7 x 26.4 cm
Collection Guy Watelin, Paris/Courtesy Baudoin Lebon, Paris
Robert Louis
Route de Lamballe, Bretagne
Papier salé albuminé et dessins au crayon par Émile Van Marcke, vers 1852-1853
32.2 x 26 cm
Collection particulière, Paris/Courtesy Baudouin Lebon, Paris
(Le tirage est inversé. Il a servi de base à la réalisation de lithographies. On observe la trace du décalquage de tous les détails de l'image.)
Van Marcke Emile
Route de Lamballe, Bretagne
Lithographie (d'après la photographie de Louis Robert), vers 1855
55 x 36.4 cm
Collection Baudoin Lebon, Paris
Mestral, Robert, Bousseton, Auguste...
Bien que considéré comme l'un des meilleurs photographes de son temps et mandaté par la Commission des Monuments historiques pour participer à la Mission héliographique de 1851, bien que membre fondateur de la Société héliographique puis de la Société française de photographie, on ignore tout de la vie de Mestral qui voyagea avec Gustave Le Gray en Aquitaine, Auvergne et Nivernais puis photographia la Normandie et la Bretagne (1851 ou 1852). Il participa à l'exposition de la S.F.P. en 1855, puis sa trace se perd complètement.
Fils de Pierre-Rémy Robert, chimiste et chef de l'atelier de peinture sur verre de la Manufacture de Sèvres, Louis Robert est né à Paris en 1810. Toute sa vie se déroula à l'ombre de la manufacture de Sèvres dont il devint finalement administrateur en 1871. On ne sait pas qui l'initia à la photographie qu'il commença à pratiquer entre 1848 et 1851. Utilisant le procédé dit calotype (négatif sur papier), il inventa un châssis multiple qui lui permettait de charger entre quinze et vingt feuilles dans sa chambre noire et lui donnait ainsi une certaine autonomie dans ses expéditions photographiques. On pense qu'il réalisa environ 600 clichés : portraits de ses proches, paysages, vues de la Manufacture de Sèvres, de ses environs et de ses productions. Il pratiqua et enseigna la photographie jusque dans les années 1860 et mourut en 1882.
Fils d'un menuisier-ébéniste, Joseph Alphonse Bousseton est né à Châteauroux (Indre) le 5 octobre 1823. En 1846 nait un premier enfant de son mariage avec Aimée Eugénie Bouzique. Bousseton est alors professeur de dessin à Issoudun. Il devient photographe en 1850. Il exerce à Nantes, 40, rue Contrescarpe vers 1854 et participe à l'Exposition universelle de 1855. Il quitte la région nantaise en 1860 pour s'installer à Paris. D'abord associé à un nommé Defonds puis au photographe Eugène Appert jusqu'en 1868, il opère ensuite seul au 50, rue Saint-Lazare. Son nom apparaît pour la dernière fois dans l'annuaire du commerce en 1880.
On ignore à peu près tout du dénommé Auguste qui exerça passage Pommeray à Nantes jusqu'en 1861 et fut associé un temps à Alphonse Bousseton.
Fasciné par la magie de la photographie, et toujours en quête d’innovations, Louis Robert utilisa ses clichés bretons en les tirant à l’envers ; son gendre, Emile van Marcke, muni d’une pointe fine, en reprit les contours afin de transférer l’image sur la pierre lithographique, puis anima les sites de quelques personnages. Ainsi, ce procédé assurait à la lithographie le respect absolu des proportions et de la géographie des lieux.
En 1858 et 1859 paraissent un nombre important d'épreuves dont la grande majorité ont été réalisées pour le stéréoscope par des photographes anglais et français6. Regroupées en plusieurs séries homogènes, ces images donnent un aperçu relativement complet de la Basse-Bretagne dans les mois qui ont précédé ou suivi la visite de l'Empereur Napoléon III et de son épouse dans les départements bretons7. Le présent ouvrage puise abondamment dans ce fonds encore méconnu constitué principalement par les voyages des Français Furne et Tournier et des Anglais Jephson, Taylor et Reeve.
Furne & Tournier
Né à Paris le 30 octobre 1824, élevé dans un milieu familial strict, Charles-Paul Furne fut longtemps considéré comme un jeune homme dissipé qui avait le tort, aux yeux de la société de l'époque, de vivre maritalement depuis plusieurs années avec une femme plus âgée que lui dont il avait une fille. Un rapport de police de 1858 le décrit comme « un homme léger, n'aimant que le plaisir et qui, jusqu'ici, ne s'est fait remarquer par aucune qualité sérieuse. »
M. Furne père, au contraire, était un homme « actif, intelligent, laborieux » dont la réputation était excellente (on lui doit, entre autres, la publication de la Comédie humaine de Balzac). Avant de se lancer dans le commerce de la librairie, il avait été pendant quatorze années employé de l'administration des douanes. Les rapports de police ne tarissent pas d'éloges à son égard. Bon père, bon époux, ses opinions politiques étaient jugées « bonnes et sans exaltation. »
Les différences de caractère du père et du fils laissent deviner certaines tensions. La fondation d'un établissement photographique et la décision d'une première expédition dut constituer pour le fils prodigue une réponse aux reproches qui devaient lui être adressés. Pour prouver ses qualités et affirmer bien haut son indépendance, il lui fallait réussir un coup de maître. Les éloges qui accueillirent ce premier voyage photographique montrèrent à tous qu'il avait tenu son pari au-delà de toute espérance. Notons cependant que les liens tendus que l'on imagine entre le père et le fils n'empêchaient pas ce dernier de respecter l'auteur de ses jours. Il signera toujours ses images du nom de Furne fils, jusqu'à la mort de son père en 1859. Peu après, Charles Furne abandonna la photographie, où il réussissait pourtant brillamment, pour poursuivre l'œuvre paternelle. Le Voyage en Bretagne, fut suivi d'autres excursions et reportages photographiques (Midi de la France, Pyrénées, Suisse, Italie, résidence impériale des Tuileries, de Saint-Cloud et de Versailles, etc.) mais Furne semble avoir gardé une certaine prédilection pour son expédition bretonne. En 1874, il acheta une propriété dans la commune de Lanriec, près de Concarneau, y mena quelques mois la vie d'un rentier et y décéda le 19 mars 1875.
Henri-Alexis-Omer Tournier naquit à Saint-Omer (Pas-de-Calais) le 24 avril 1835. Son père, successivement avocat, juge, notaire et conseiller, était un homme estimé et considéré comme très intelligent. Marié à deux reprises et père de six enfants, il eut le plaisir de voir deux de ses fils réussir dans la magistrature. Henri, dont l'enfance et la jeunesse nous sont complètement inconnues, devait éprouver un goût limité pour le Droit car on le retrouve en 1857 employé au Ministère des Finances. Son association avec son cousin Charles suivit de près sa majorité (21 ans à l'époque). On peut penser qu'elle constitua pour lui un moyen privilégié d'échapper à une longue et ennuyeuse carrière dans l'administration. Lorsque Furne abandonna la photographie pour reprendre la librairie paternelle, Tournier continua quelques temps l'exploitation de leur important fonds stéréoscopique (plus de 7 000 clichés dont un nombre important de scènes de genre de grande qualité qui établirent la réputation de la maison) puis il vendra son établissement photographique à l'un de ses employés, Armand Varroquier, pour se lancer dans la publication de la revue La Vie à la Campagne. Sa trace disparaît au moment de la faillite qui le contraint à se retirer des affaires (faillite n° 6665 du 30 août 1866) et nous ignorons tout de ses dernières années.
Le 1er août 1857, Charles-Paul Furne et Henri Tournier (voir encadré) se trouvent à Pleyben d'où ils ramènent sept épreuves de la procession et de la foire qui se déroulent à l'occasion du pardon annuel8. Les deux jeunes gens ne sont alors qu'au tiers d'un périple photographique qui ne comptera pas moins de quarante-sept étapes différentes. De cette expédition ils rapporteront 233 clichés stéréoscopiques et 45 épreuves grand format (20 x 30) inégalement répartis entre les quatre départements bretons et privilégiant la Basse-Bretagne bretonnante9.
Malgré leur abondante moisson d'images, les deux voyageurs n'ont apparemment laissé aucune information écrite sur les raisons et les circonstances de leur voyage et nous ne pouvons, pour le moment, qu'avancer diverses suppositions à partir d'un petit nombre de documents administratifs, seuls renseignements qui nous soient parvenus et seules certitudes sur lesquelles nous pouvons nous appuyer.
Furne et Tournier
Voyage en Bretagne, 1857
79. Crozon - Les grottes de Morgat à mer basse.
Collection Musée départemental breton, inv.2000.8.1.47.
Posant devant l'une des trois petites grottes de Morgat accessibles à marée basse, Furne et Tournier ont certainement eu recours aux services d'un tiers pour réaliser ce cliché où ils sont réunis. Charles Furne, de onze ans plus âgé que son cousin Henry Tournier, est au premier plan.
L'acte établissant une société en nom collectif entre Charles Furne et son cousin Henri Tournier, bien que signé officiellement à Paris le 25 janvier 1858, stipule de façon claire que cette association fut convenue le 15 mai 1857, quelques semaines avant le départ des deux partenaires. Avant de s'adjoindre un collaborateur, Charles Furne avait déjà réalisé plusieurs photographies stéréoscopiques10 qui furent déposées entre le 27 avril et le 27 juin par l'imprimeur-lithographe Joseph Lemercier (1803-1887) à qui il louait un atelier 62, rue Mazarine, dans le 6e arrondissement11.
Le 7 juillet 1857, l'employé chargé de tenir le registre de dépôt légal enregistre, au nom de Furne, « Douze vues et groupes divers » consignés sous les numéros 4380 à 4391. Charles Furne a-t-il porté en personne ces images ou a-t-il chargé quelqu'un de les déposer en son nom ? Le registre ne peut hélas éclaircir ce mystère qui nous donnerait une indication quant à la date supposée du départ des deux hommes pour la Bretagne.
Nous possédons tout aussi peu d'indications sur les raisons qui les ont poussés à choisir cette région comme terrain d'essais. Bien que leur collection d'épreuves ait été présentée, après coup, comme un reportage photographique sur les traces de l'Empereur Napoléon III12, il paraît peu vraisemblable qu'ils aient été au courant de ce déplacement plus d'un an à l'avance, à une époque où cette visite officielle n'était pas encore définitivement arrêtée13.
On peut néanmoins penser que leur choix fut influencé par la lecture d'écrivains tels qu'Emile Souvestre qui n'hésitait pas à écrire dans l'un de ses nombreux ouvrages sur le sujet : « Nous touchons au moment où la vieille Armorique ne sera plus qu'un souvenir. Déjà l'empreinte antique qui la frappait au coin du passé s'efface chaque jour ; le commerce, les institutions communales, les écoles, et surtout le recrutement, tendent à faire disparaître de plus en plus son caractère primitif.... [Sur] le point de voir disparaître tout un ordre d'idées auxquelles se rattachent nos sympathies d'enfance, nos admirations les plus vives, et nos plus doux souvenirs, nous éprouvons le besoin de recueillir jusqu'aux moindres attitudes de cette Bretagne qui va périr. »
Les craintes de l'auteur de ces lignes, décédé en 1854, auraient sans doute été plus grandes s'il avait vécu pour voir l'achèvement de la ligne ferroviaire Paris-Rennes. L'arrivée du train en Bretagne en avril 1857 fut présentée dans la presse parisienne tantôt comme un bienfait tantôt comme une calamité qui annonçait, dans un cas comme dans l'autre, de profonds changements. L'Illustration considérait que le passage du train, « dans cette contrée classique de la superstition et de la sainte ignorance, va introduire les usages et les habitudes qui doivent bientôt faire rentrer la Bretagne dans le concert de notre civilisation »14. Edmond Texier, journaliste au Siècle, prétendait au contraire que le chemin de fer serait la ruine irrémédiable de ce qui constituait la Bretagne, de sa langue, de ses mœurs et même de ses costumes.
Facteur de progrès ou au contraire de destruction, le chemin de fer ne pouvait manquer de modifier profondément les traditions « du vieux pays des druides et de la chouannerie », et c'est peut-être pour garder la trace de la Bretagne d'avant tous ces bouleversements annoncés que Furne et Tournier décidèrent d'en fixer les principaux types, sites et paysages sur leurs glaces collodionnées. Se déplaçant dans une carriole aménagée en chambre noire et tirée par un unique cheval15, les deux hommes choisirent Vannes comme première étape d'une expédition qui les mena jusqu'à Saint-Malo. Nous ignorons encore par quel moyen ils gagnèrent le Morbihan et comment ils retournèrent à Paris, mais nous savons par contre qu'ils conservèrent leur carriole pendant plusieurs années. On l'aperçoit en effet dans une photographie réalisée ultérieurement en Normandie et dans deux autres vues prises en Provence.
Furne et Tournier
Sans localisation ni date
Collection Denis Pellerin
On distingue nettement sur cette image, prise en Normandie, la carriole photographique utilisée par Furne et Tournier lors de leur périple à travers la Bretagne.
Outre leurs effets personnels, la carriole servait au transport de deux chambres photographiques (une chambre binoculaire et une chambre grand format), de tout un arsenal de cuves et de bouteilles de produits chimiques indispensables au traitement des clichés, ainsi que de plusieurs boîtes en bois permettant le rangement de près de trois cents plaques de verre16.
En l'absence de tout document écrit, il est impossible de déterminer avec exactitude la durée de leur séjour dans les différentes villes traversées ou de deviner dans quels hôtels et auberges ils sont descendus. Si l'on en juge par les récits de voyages publiés au XIXe siècle, le choix d'un gîte d'étape était pourtant une question importante qui n'a pas manqué de donner lieu à de longues descriptions et d'abondants commentaires17. Une seule image, prise à Quimperlé, montre que, dans cette ville, leur choix s'était porté sur l'Hôtel des Voyageurs18. Il est vrai que c'est l'endroit, avec Roscoff, que les deux hommes semblent avoir le plus apprécié, si l'on se réfère au nombre d'images qu'ils lui ont consacré19.
L'activité photographique des deux compères ne manquait pas d'attirer une foule de curieux, surtout d'enfants, comme en témoignent de nombreuses épreuves du Voyage en Bretagne. Moyennant une petite rétribution, les curieux devenaient modèles et apprenaient à rester immobiles le temps nécessaire à l'exposition de la plaque. On aimerait savoir comment les deux Parisiens communiquaient avec les personnes qu'ils rencontraient au hasard de leurs prises de vues. Le français était peu pratiqué dans la partie de la Bretagne qu'ils photographièrent si l'on en croit les témoignages d'autres voyageurs. Furne et Tournier s'étaient-ils assurés les services d'un guide-interprète ou se débrouillaient-ils en mimant ce qu'ils désiraient obtenir ? Disposaient-ils d'un manuel de conversation français-breton du genre de celui qu'un éditeur de Saint-Brieuc fit justement paraître en 185720 ?
Nous n'en saurons sans doute jamais rien mais il est plaisant d'imaginer les efforts déployés et la patience nécessaire pour expliquer à ces modèles d'un instant ce que l'on attendait d'eux. On remarque l'un ou l'autre des deux hommes dans plusieurs vues de la série, comme si, toute explication s'étant avérée vaine ou incompréhensible, le photographe avait décidé de montrer par l'exemple ce qu'il souhaitait obtenir. Furne et Tournier photographièrent indifféremment les châteaux, les édifices religieux (chapelles, églises, enclos, calvaires), les rues médiévales, les paysages de bord de mer ou de rivière, les activités humaines (battage, construction navale, tanneries, femmes au lavoir, pêcheurs de crevettes) et les costumes les plus typiques. La grande majorité de leurs vues stéréoscopiques sont animées par un ou plusieurs personnages tantôt présents pour fournir un plan supplémentaire à l'image, tantôt interrompant leurs activités pour poser devant l'objectif21.
L'eau tient une place importante dans près d'un tiers de leurs compositions et la mer leur a fourni plusieurs sujets de paysages. On a l'impression en regardant leurs images que les deux hommes ont souhaité fournir un panorama aussi complet et varié que possible de la Bretagne. De la grève de Batz au petit chemin creux des environs de Guingamp en passant par la baie de Douarnenez, rien ne semble manquer des éléments pittoresques susceptibles d'intéresser les clients citadins auxquels ces vues étaient destinées. Des villes importantes comme Saint-Brieuc, Vannes, Brest ou Quimper, ils ont choisi de ne retenir que quelques vues générales et lointaines ou des détails généralement pris loin du centre.
Un an après la visite de Furne et Tournier, c'est au tour de trois Anglais de promener leur appareil stéréoscopique aux quatre coins de la Bretagne. Deux d'entre eux s'occupèrent de photographie, tandis que le troisième, complètement indépendant, se chargea de donner à ses compatriotes des impressions littéraires détaillées sur la région.
Jephson, Taylor & Reeve
Le révérend John Mounteney Jephson (voir encadré) était un homme établi, marié et père de quatre enfants lorsqu'il se mit en tête de traverser la Bretagne à pied. Il exerçait son ministère dans le petit village d'Hutton, comté d'Essex, « région, tristement célèbre, même en Angleterre, pour son atmosphère trouble, domaine privilégié de la fièvre des marais. » Après plusieurs années passées dans ce qu'il nomme ironiquement « cette Béotie anglaise », Jephson avoue en ressentir les effets néfastes, tant au physique qu'au mental et, redoutant une dépression, décide de partir à l'aventure et d'abandonner provisoirement ses enfants et sa femme enceinte. Après avoir envisagé un périple en Devonshire (« le changement n'y sera pas assez grand ») puis sur le Rhin (« trop de touristes anglais »), il porta son choix sur la Bretagne où il était certain de trouver de beaux paysages et un dépaysement assuré. La région présentait également l'avantage d'être facilement accessible depuis l'Angleterre, d'avoir conservé des traditions séculaires disparues ailleurs, d'être peu fréquentée — voire peu connue — et d'être bon marché.
Jepshon, Reeve et Taylor
Narrative of a walking tour in Brittany, 1859
58 - Carnac - Near view of the last Menhir seen in the proceeding Stereograph (« Vue rapprochée du dernier menhir visible dans le stéréogramme précédent »).
Collection Musée départemental breton, inv.998.13.1.58.
Reeve note qu'il fut d'abord déçu par les menhirs qu'il avait imaginé beaucoup plus grands puis qu'à force de les observer et de les mesurer du regard ils lui étaient finalement apparus intéressants à photographier. On le voit ici posant assis pour augmenter l'impression de gigantisme de la pierre dressée et l'immensité de la plaine du Ménec. (D.P.)
Jepshon, Revve et Taylor
Narrative of a walking tour in Brittany,1859
59 - Carnac – Rows of Menhirs in the fields at Ménec (« Rangées de menhirs dans les champs de Ménec »).
Collection Musée départemental breton, inv.998.13.1.59.
Le photographe Henry Taylor pose ici pour donner l'échelle du menhir contre lequel il est adossé et animer le premier plan. On remarquera que les intervalles entre les menhirs sont remplis par des pierres qui délimitent des parcelles. (D.P.)
Une fois son choix arrêté, Jephson s'interrogea sur la meilleure manière de découvrir l'Armorique : la diligence lui parut présenter de trop grands inconvénients (inconfort notoire, promiscuité peu agréable, poussière, fatigue) ; la location d'une carriole, si elle lui garantissait une plus grande liberté, le mettait néanmoins à la merci d'un « conducteur ivre et insolent ». Il choisit donc la marche à pied qui lui permettait à la fois de conserver une totale indépendance, de découvrir le paysage à son rythme et d'entrer plus facilement en contact avec la population.
Jephson mentionna son projet à l'un de ses voisins, l'éditeur Augustus Lovell Reeve (voir encadré) qui « s'amusait alors à photographier notre village. » Reeve fut enthousiasmé par l'idée de Jephson et lui suggéra d'écrire le récit de son voyage, qu'il s'engageait à publier, agrémenté de stéréogrammes. Les deux hommes décidèrent que Reeve, accompagné du photographe Henry Taylor (voir encadré), voyagerait en carriole et prendrait des vues stéréoscopiques des sites ou monuments susceptibles d'intéresser le public, pendant que Jephson suivrait à pied un itinéraire identique ou approchant.
Les trois hommes se croisèrent en de multiples occasions au cours de leur périple et partagèrent certaines visites et expériences. Ils conservèrent néanmoins une totale autonomie et les notes de Reeve complètent, sans le répéter, le récit du révérend, dont, à l'inverse de ses compagnons, nous ignorons totalement les traits.
John Mounteney Jephson épouse à une date inconnue Ellen Jermy qui lui donna cinq enfants. Le dernier d'entre eux, né quelques semaines après la fin du périple breton de son père, devint célèbre au cours d'une expédition africaine. Il fut nommé messager de la reine Victoria en 1895 et garda son poste sous le roi Edward VII.
John Mounteney Jephson eut une carrière littéraire relativement importante. Outre la rédaction d'un ouvrage consacré à la religion catholique, il participa à la publication des poèmes de Geoffrey Chaucer, édita les œuvres de William Shakespeare accompagnées d'un important glossaire et publia un temps The Literary Gazette. Il réalisa en 1864 un second ouvrage illustré de photographies à l'occasion du tricentenaire de la naissance de Shakespeare : Shakespere (sic) : his birthplace, home and grave. A pilgrimage to Stratford-on-Avon in the autumn of 1863. With Photographic illustrations by E. Edwards. A contribution to the tercentenary commemoration of the poet's birth. Il mourut en 1865.
Fils d'un marchand de drap, Augustus Lovell Reeve est né à Ludgate Hill le 19 avril 1814. À l'âge de treize ans, il entre en apprentissage chez un épicier. Un jour un marin de passage lui montre des coquillages. Le jeune homme, émerveillé, les lui achète et devient rapidement un conchyologue distingué. À l'issue de son apprentissage, il se rend à Paris où il lit devant l'Académie des Sciences un mémoire sur la classification des mollusques. De retour en Angleterre, il entreprend la rédaction de son premier ouvrage, Conchologia Systematica dont les deux volumes paraissent en 1841 et 1842. Peu après, il ouvre, près du British Museum, une boutique consacrée à la vente de spécimens d'histoire naturelle et à la publication d'ouvrages sur les coquillages. Il déménage près de Covent Garden en 1848. De 1850 à 1856, il est rédacteur en chef et propriétaire de la Literary Gazette. Il est le premier à publier, dès 1856, un ouvrage illustré par des photographies stéréoscopiques. Deux ans plus tard, il lance la publication du Stereoscopic Magazine, qu'il poursuivra jusqu'à sa mort en novembre 1865.
On ne possède hélas aucun renseignement sur Henry Taylor dont le nom est absent de l'annuaire des photographes de Londres entre 1841 et 1908. Taylor apparaît à deux reprises dans les photographies illustrant l'ouvrage de Jephson. Pris de face dans la vue n° 59, il est également représenté de dos dans l'épreuve n° 68.
Jephson, qui s'était accordé cinq semaines de vacances, respecta fidèlement le programme qu'il s'était fixé. Parti d'Angleterre le 9 août 1858, il débarqua à Saint-Malo le jour où l'Empereur Napoléon III faisait son entrée dans le port de Brest et rentra chez lui le 11 septembre après avoir parcouru à pied, en diligence, en carriole et dans la voiture de ses compagnons photographes, une grande partie de la Bretagne.
Darjou Alfred (1832-1874), , Vayron (lith.)
Voyage comique et pittoresque en Bretagne
Paris, éd. Au Bureau du Journal Amusant, 1859.
Collection Musée départemental breton, inv.06 392.
On peut lire sous ce dessin une légende que n'aurait sans doute pas reniée le révérend Jephson : « Amoureux du pittoresque, vous vous décidez pour la Bretagne, le pays des mœurs primitives et des diligences. »
Pour éviter toute charge inutile pendant son périple, Jephson avait demandé à un ami habitué aux longues marches de le conseiller dans la constitution de son paquetage : « Ma tenue était composée d'un costume de tweed gris de bonne qualité, d'une casquette légère, d'une paire de solides chaussures souples de fabrication française, d'un paletot imperméable, et d'un sac à dos également imperméable renfermant des chemises, un pantalon de rechange, des chaussons et autres accessoires vestimentaires indispensables ; une petite longue-vue, un carnet, une bouteille d'encre et de quoi écrire, une boussole de marinier et un parapluie à manche de noisetier complétaient mon équipement. »
Il ne voulut pas s'encombrer d'une seconde paire de chaussures, geste qu'il regretta amèrement par la suite quand un domestique peu soigneux de l'Hôtel du Commerce de Vannes laissa brûler les souliers qui avaient été mis à sécher près du feu ! Jephson se vit contraint d'en acheter une paire neuve qui lui meurtrirent les pieds et l'obligèrent à modifier ses plans. Pour compléter ces préparatifs, Jephson se plongea dans la lecture de quelques ouvrages22 qu'il cite d'ailleurs fréquemment dans le récit qu'il rédigea à l'issue de son voyage. Jamais traduit dans notre langue, le texte de Jephson abonde de commentaires amusants, de résumés d'épisodes historiques, d'impressions sur le vif et de comparaisons entre la vie du paysan breton et celle de son confrère britannique. On y trouve aussi de nombreux renseignements sur la qualité des hôtels et des auberges23, des détails sur ce qu'il a bu et mangé au cours de son séjour24, des précisions concernant le coût de la vie, ainsi que quelques réflexions sur les religions anglicane et catholique échangées avec les curés et recteurs qu'il a pu rencontrer25. Ses principales difficultés se résumèrent à des démêlés avec les gendarmes impériaux qui l'ennuyèrent à plusieurs reprises avec son passeport et le prirent même une fois pour un espion26 !
Le texte de Jephson, qui parut en 1859 sous le titre Narrative of a walking tour in Brittany, est accompagné de notes rédigées par Lovell Reeve qui servent également de légendes aux stéréogrammes. Précieuses pour l'historien de la photographie, elles racontent, image après image, les conditions de prises de vue, les difficultés rencontrées et donnent parfois des indications sur le temps de pose ou sur certains détails des épreuves seulement visibles au moyen d'une forte loupe.
“ Notre appareillage se composait d'une chambre binoculaire de Ross, d'une tente noire d'environ cinq mètres carrés sur deux mètres de haut, équipée d'une table et d'un évier. Le tout une fois replié logeait dans une valise de taille moyenne. À cela s'ajoutaient deux boîtes de produits chimiques (l'une destinée à la consommation quotidienne, la seconde servant de réserve) ainsi qu'une caisse renfermant dans un espace aussi restreint que possible une grosse de plaques de verre27 contenues dans six compartiments intérieurs d'une contenance de deux douzaines chacun. Nous décidâmes de nous en tenir à la technique du collodion humide et d'attendre notre retour en Angleterre pour vernir les plaques. ”
Lovell Reeve raconte avec force détails comment, au cours de leur périple, Taylor et lui furent amenés à planter leur tente photographique dans les endroits les plus extravagants : sous les arbres du boulevard de Châteaulin, devant le château de Saint-Malo et celui de la Duchesse Anne à Dinan, sur le balcon de la Mairie de Lannion, dans leur chambre d'hôtel à Guingamp, au milieu des tombes à Guimiliau et à Plougastel-Daoulas, dans une chambre occupée par une femme seule au troisième étage d'une maison située face à la cathédrale de Quimper, à l'intérieur de l'une des tours du château de Suscinio, dans la boutique d'un cordonnier à Saint-Pol-de-Léon, dans un entrepôt de bois à Rennes, ou bien au milieu des orties dans les ruines de l'abbaye de Léhon. Les deux hommes eurent souvent à se protéger des curieux qui voulaient absolument voir ce qui se passait à l'intérieur, ou encore du vent violent qui menaça plus d'une fois d'emporter la tente et le photographe qui y développait ses plaques.
L'équipement photographique et les effets personnels des deux hommes étaient transportés dans une carriole de location que l'on distingue sur le quai d'Hennebont dans la vue n°49.
Jephson, Reeve et Taylor
Narrative of a walking tour in Brittany, 1859
49. Hennebont - Quay and Shipping on the Blavet, from Suspension Bridge (« Quai et bateau sur le Blavet, depuis le pont suspendu »).
Collection Musée départemental breton, inv.998.13.1.49.
Le véhicule utilisé par Reeve et Taylor pour leurs déplacements et le transport de leur équipement photographique est visible sur la gauche.
Plus d'une fois, l'état des chemins empruntés les obligea à descendre du véhicule et les fit trembler pour leur précieuse et fragile cargaison. Ils eurent quelques problèmes avec leur conducteur, un jeune homme qui nourrissait son cheval avec force coups de fouets et très peu de picotin. Ils furent même obligés de lui donner une bonne correction pour lui faire passer le goût de l'eau de vie. Ils l'utilisaient pour porter la tente et le matériel, demander aux passants d'éviter de traverser le champ de l'appareil photographique et recouraient encore à ses services lorsqu'ils avaient besoin d'un interprète. La promesse d'une pièce ou deux leur fournissait plus de modèles qu'ils n'en pouvaient photographier et, à Quimperlé, il fallut l'intervention de deux gendarmes pour disperser la foule, presque hostile, qui menaçait leurs personnes et leur équipement.
Les photographies de Reeve et Taylor, triées à leur retour en Angleterre il est vrai, se répartissent équitablement entre trois des quatre départements bretons, l'Ille-et-Vilaine, déjà considérée comme trop « française », constituant l'exception28. Si on retrouve dans cette collection un ensemble tout aussi varié que dans la précédente, on relève cependant moins de vues animées29 et, plus curieusement peut-être, aucune vue de bord de mer. Ceci peut s'expliquer par le fait qu'habitant sur une île dotée d'un paysage côtier très diversifié, les Anglais ont été moins frappés par l'élément marin que les Parisiens Furne et Tournier sans doute peu habitués à le contempler.
Pendant que Jephson, Reeve et Taylor sillonnaient la Bretagne qui à pied qui en carriole, deux photographes installés en Bretagne fixaient pour la postérité le passage dans leur région du couple impérial.
Bernier & Carlier
Lorsque l'Empereur et son épouse, quittant le vaisseau La Bretagne qui les avait amenés de Cherbourg, arrivèrent en rade de Brest le 9 août 1858 à bord d'un canot ayant servi jadis à Napoléon Ier, le photographe Alfred Bernier (voir encadré) était présent pour saisir l'événement. Deux de ses clichés stéréoscopiques, expédiés à Paris, servirent aux graveurs du journal L'Illustration pour deux planches publiées dans le numéro du 21 août 185830. La première représente la salle du banquet à la préfecture de Brest, la seconde, l'arrivée du canot impérial à la cale de l'Intendance. Le même Bernier réalisa vingt-huit autres clichés à l'occasion du séjour de l'Empereur. Ceux-ci furent d'abord mis en vente chez un opticien de Brest31.Vingt-quatre d'entre eux, enregistrés au dépôt légal, furent vendus à Paris par le photographe-éditeur Victor Ninet32.
Bernier Alfred
Brest - 1 - Salle à manger de LL. MM. EI, préfecture, 9 août 1858
Collection Bibliothèque Nationale de France, DL 1859 - n°478.
Arrivés à Brest vers deux heures de l'après-midi, l'Empereur et son épouse se rendirent d'abord à l'église Saint-Louis avant de se diriger vers la préfecture maritime où ils virent défiler du balcon les députations bretonnes par cantons, maires et curés en tête. Le soir, un dîner auquel assistaient tous les notables de la ville leur fut servi. Cette photographie fut certainement prise dans l'après-midi du 9 août car le vin est déjà mis dans des carafes sur la table. (D.P.)
Gravure d'après l'épreuve de Bernier publiée le 21 août 1858 dans le journal L'Illustration. On remarquera que les personnages ont été ajoutés, pratique fort courante à l'époque.
Quelques jours après Bernier, ce fut au tour du photographe Ferdinand Carlier (voir encadré) de photographier la foule se pressant autour de la Scala Sancta de Sainte-Anne d'Auray où Napoléon III et son épouse entendirent la messe le 15 août, à l'occasion de la fête de l'Empereur. Sur l'image, reprise dans l'Illustration33 le dessinateur a ajouté les augustes visiteurs. La photographie de Carlier parut dans un ouvrage intitulé Vues de Bretagne, groupes et portraits pris par le photographe Carlier en 185834.
Fils d'un notaire royal, né à Chinon (Indre-et-Loire) le 16 janvier 1822, Alfred Bernier fut d'abord chirurgien dans la Marine avant de se tourner vers la photographie. Il se trouve à Brest, rue des Malchaussés, au moment de la visite impériale. Il opère ensuite à Nantes au 10, rue du Calvaire. Il retourne à Brest au 1bis de la rue Kleber (nouveau nom de la rue des Malchaussés) et meurt dans cette ville le 19 avril 1900. Il participa à la 3e exposition de la Société française de photographie qui se tint à Paris du 15 avril au 1er juillet 1859 où il exposa plusieurs vues de Brest dont des forçats aux mines et des forçats au déblaiement des mines. On connaît également de lui des paysages de Bretagne.
Né à Versailles le 9 août 1829, Ferdinand-Casimir Carlier était établi à Vannes, 16, place Napoléon, lorsque l'Empereur visita les départements bretons. On le retrouve à Paris, rue Saint-Paul en 1869 et passage Saint-Louis en 1871. Il est ensuite rue du Cherche-Midi puis rue Saint-Antoine de 1879 à 1890. Il apparaît brièvement rue de Bagneux puis son nom disparaît de l'annuaire du commerce. Il a publié des cartes de visite des paysages et costumes de Bretagne, ainsi que des épreuves stéréoscopiques.
Ce tour d'horizon des séries stéréoscopiques réalisées en Bretagne entre 1857 et 1859 ne serait pas complet si on omettait l'existence de deux collections dues à des photographes anglais pour le moment anonymes. La plus ancienne, dont on ne connaît actuellement que quelques exemples35, est reconnaissable à l'étiquette bilingue imprimée à l'encre bleue au dos de chacune des vues. Une mention manuscrite sur l'une des épreuves atteste qu'elle a été offerte à un certain M. A. Birkett le 31 août 1858. Ceci tendrait à prouver que la série a été réalisée dans le courant de l'été 1857 ou 1858.
Les épreuves de la seconde collection, aux tirages plus contrastés et beaucoup mieux conservés, portent une fine étiquette imprimée où figure une légende précédée d'un numéro. Apparemment circonscrite au seul département des Côtes-d’Armor, cette série comprend au moins soixante épreuves différentes36. Une croix fraîchement peinte photographiée dans le cimetière de Tréguier orne la tombe d'une certaine Françoise Le Saux décédée le 19 mars 1858. Cette croix, ainsi que la qualité du tirage et du carton de montage datent la série de 1858 ou 1859 au plus tard. Si certaines épreuves semblent assez quelconques, d'autres au contraire se distinguent par l'originalité de leur cadrage et par un effet de relief particulièrement saisissant.
Mage & Beau
Signalons également que, quelques années après la période examinée ici, deux autres photographes installés en Bretagne se lancèrent dans le commerce de vues stéréoscopiques. Du premier, Alfred Beau (voir encadré), plus renommé aujourd’hui comme faïencier et conservateur de musée, nous ne connaissons que quelques vues de paysages montées sur un carton bleu. Le second, Emile Mage (voir encadré), présente la particularité d'avoir vendu des centaines d'images stéréoscopiques dont aucune n'est en relief. Voulant sans doute profiter de l'engouement du public pour les stéréogrammes mais ne disposant pas de clichés binoculaires, ce photographe peu scrupuleux se contenta de coller côte à côte deux tirages identiques d'un même cliché. Si ses vues ressemblent à s'y méprendre à des épreuves stéréoscopiques, seule une bonne dose d'imagination permet au spectateur d'y percevoir le moindre relief. Cette pratique présente néanmoins l'intérêt de souligner, s'il en était besoin, la vogue que connurent à cette époque les épreuves stéréoscopiques.
Emile Mage opéra à Brest, 107, rue de Siam, jusqu'aux premières années du XXe siècle. Il participa aux expositions de la Société française de photographie en 1874 et 1876. Il a laissé de nombreuses vues de Brest ainsi que des paysages et costumes de Bretagne.
Né à Morlaix le 23 juillet 1829, gendre de l'écrivain Emile Souvestre, Alfred Beau fut successivement surnuméraire des douanes, contremaître dans une papeterie, aquarelliste, photographe, directeur artistique de la faïencerie Porquier et premier conservateur du musée départemental de Quimper. On sait peu de choses sur sa carrière photographique qui semble avoir débuté vers 1860. Il avait un atelier à Morlaix, 40 rue de Bourrette, et pourrait également avoir exercé à Quimper. Il reste de lui quelques portraits signés ainsi qu'un petit nombre d'épreuves stéréoscopiques portant son timbre sec. Il mourut à Quimper le 11 février 1907.
Mage, Émile
Brest, la rade et le château
Collection Musée départemental breton, inv.2000.8.4.6.
Voici l'un des nombreux pseudo-stéréogrammes édités par Émile Mage. L'image est intéressante d'un point de vue documentaire mais dépourvue de tout relief.
Beau, Alfred
Lannion - Vue générale de la ville prise du sud-ouest
Collection Musée départemental breton, inv.2000.8.4.4.
Le pont en pierre qui enjambe la rivière du Léguer au premier plan était celui de Kermaria. Derrière, on aperçoit l'ancien pont de Sainte-Anne et à sa gauche le couvent des Hospitalières. A l'arrière-plan, la ville est dominée par la tour sans clocher du XVIe siècle de l'église de Saint-Jean-du-Baly. Dans le fond, les hauteurs de Brélévenez. (D.L.)
- 1. Jules Coignet, Camille Corot, Eugène Isabey, Johan Barthold Jongkind, François Hippolyte Lalaisse, Charles Pierre Poussin, etc. cf. DELOUCHE Denise, Peintres de la Bretagne – Découverte d’une province, Rennes : éd. Université de Haute-Bretagne, 1977
- 2. On pense évidemment aux Voyages pittoresques et romantiques dans l'ancienne France, du baron Taylor (1843-1846).
- 3. La Société française de photographie, fondée en 1854, succède à la Société héliographique créée dès 1851. Elle est encore active aujourd'hui, édite la revue Etudes Photographiques et possède un fonds important d'incunables de la photographie. La SFP possède un négatif et un tirage positif (réalisé à partir d'un cliché différent) représentant le calvaire de Pleyben.
- 4. Cf. Louis Robert – L’Alchimie des images. Catalogue d’exposition, Paris - Galerie Baudoin-Lebon, 16 novembre 1999-8 janvier 2000, NBC Editions, 1999.
- 5. Cf. Une passion française – Photographies de la collection Roger Thérond / Anne de Mondenard, Éd. Filipacchi, 1999. (n°77, p. 323)
- 6. Le corpus examiné ici est constitué de : 233 épreuves stéréoscopiques intitulées Voyage en Bretagne, prises pendant l'été 1857 par deux photographes français, Charles-Paul Furne et Henri-Alexis-Omer Tournier, et publiées l'année suivante ; 90 clichés stéréoscopiques effectués en août 1858 par deux Anglais, Augustus Lovell Reeve et Henry Taylor, publiés en 1859 pour illustrer l'ouvrage du révérend John Mounteney Jephson qui accomplit, à la même époque, une randonnée pédestre de cinq semaines à travers la Bretagne ; 24 vues stéréoscopiques réalisées à Brest par Alfred Bernier au moment de la visite du couple impérial ; 18 épreuves stéréoscopiques anonymes anglaises de 1858 ou 1859, faisant partie d'une série, hélas incomplète, comportant plus de soixante numéros et apparemment circonscrite au seul département des Côtes-d'Armor ; une seconde série de vues stéréoscopiques anonymes anglaises, datées de 1857 ou 1858, dont seuls quelques exemplaires ont été rassemblés à ce jour. À ces stéréogrammes, il faut ajouter les 45 vues grand format réalisées par Furne et Tournier parallèlement à leur reportage stéréoscopique et quelques épreuves de Ferdinand Carlier prises entre août et novembre 1858 dans le Morbihan.
- 7. Arrivé à Brest le 9 août 1858, le couple impérial passa une dizaine de jours en Bretagne. L'Empereur et l'Impératrice visitèrent Quimper, Lorient, Sainte-Anne d'Auray, Napoléonville (Pontivy), Saint-Brieuc, Saint-Malo et Rennes d'où ils regagnèrent Paris le 21 août.
- 8. Vues 91 à 97 de leur Voyage en Bretagne. Les vues 93 à 97 portent la date du 1er août sur l'étiquette qui y est apposée.
- 9. Morbihan : 29 vues ; Finistère : 170 vues ; Côtes-du-Nord : 27 vues ; Ille-et-Vilaine : 7 vues.
- 10. Lemercier déposa plus d'une centaine de scènes composées réalisées essentiellement en extérieur. Au début de son association avec Tournier, Furne était considéré comme le seul photographe. Les premiers tirages du Voyage en Bretagne portent dans le coin inférieur gauche le timbre sec « Furne fils » imprimé à l'encre rouge et le commentaire de présentation de la série, paru en novembre 1857, parle au singulier de l'auteur de ces images.
- 11. Un décret du 17 février 1852 assimilait les productions photographiques à celles de la librairie et du commerce des estampes et faisait obligation aux photographes de déposer trois exemplaires de leurs productions au ministère de l'Intérieur pour autorisation préalable. Cette mesure avait pour objet de limiter la prolifération des épreuves obscènes ou jugées politiquement incorrectes. Les contrevenants étaient punis d'une forte amende souvent assortie d'une peine de prison.
- 12. « Quoi de plus intéressant que de pouvoir, la photographie sous les yeux, suivre l'itinéraire officiel, à travers une population enthousiaste... » écrivait à propos du Voyage en Bretagne le commentateur H. de Nielles dans le numéro de novembre 1858 de La Photographie, journal des publications légalement autorisées.
- 13. Dans le discours qu’il prononça devant le ministre de l’Intérieur à l'occasion de l'inauguration de la gare de Rennes en avril 1857, l'évêque de Rennes le chargea de faire savoir à l'Empereur que la Bretagne réclamait sa visite. Le ministre ne fit aucune allusion à un éventuel voyage en Bretagne dans la réponse qu'il adressa au prélat.
- 14. Journal L'Illustration du samedi 9 mai 1857.
- 15. Cette carriole est visible sur la vue n° 147 du Voyage en Bretagne, rangée sous un arbre devant le château de Kérouzéré.
- 16. Au moins 233 glaces 17x8 cm et 45 glaces 21x30 cm, sans doute stockées dans des boîtes rainurées.
- 17. Il suffit de lire toutes les remarques souvent mordantes écrites par Gustave Flaubert et Maxime Du Camp dans Par les Champs et par les Grèves qui raconte un périple de deux mois à travers la Bretagne en 1847.
- 18. Aujourd'hui disparu, le bâtiment qu'il occupait abrite désormais une pharmacie.
- 19. On compte en effet 19 vues de Quimperlé et 20 de Roscoff. On trouve ensuite, au palmarès des endroits les plus photographiés, 12 vues de Douarnenez et 11 de la pointe Saint-Mathieu. En 1847, Gustave Flaubert écrivait que Quimperlé resterait comme l’« une des plus agréables fortunes que nous ayons rencontrées dans notre voyage. »
- 20. Nouvelles conversations en breton et en français - Divizou brezonek ha gallek. Saint-Brieuc, chez Ludovic Prud'homme, imprimeur libraire. 1857.
- 21. Sur les 233 vues de la série, seules 21 ne comportent aucun personnage.
- 22. Nous savons ainsi qu'il lut : A Vacation in Brittany, dû à l'Anglais Charles-Richard Weld (1813-1869) et paru en 1856 ; Wayside Pictures through France, Belgium and Holland, de Robert Bell (1800-1867), un livre écrit en 1849 dont une seconde édition augmentée publiée en 1858 ; Les Derniers Bretons, du Morlaisien Emile Souvestre (1806-1854) qui connut de nombreuses éditions après sa parution en 1836 ; le Barzaz-Breiz de Théodore Hersart de la Villemarqué (1815-1895) dont la première édition remonte à 1839.
- 23. Bien qu'il ne cite pas nommément tous les endroits où il a dormi, il mentionne les hôtels suivants : Auray, Hôtel du Pavillon d'en Haut ; Carnac, Hôtel du Commerce (Veuve Gildas) ; Dinan, Hôtel de Bretagne ; Guingamp, Hôtel de France ; Landerneau, Hôtel de l'Europe ; Landivisiau, Hôtel du Commerce (Mme Rolland) ; Lannion, Hôtel de l'Europe (Veuve Piriou) ; Lorient, Hôtel de France ; Paimpol, Hôtel Gicquet ; Ploërmel, Hôtel du Lion-d'Or ; Quimper, Hôtel de Provence (Barreau) ; Quimperlé, Hôtel du Lion d'Or ; Rennes, Hôtel de la Tête de Cerf ; Saint-Malo, Hôtel de France ; Vannes, Hôtel du Commerce (Vincent Dauphin).
- 24. Il cite parfois le menu dans son intégralité, souvent agrémenté d'appréciations.
- 25. Il cite, sans les nommer, Yves Mesmeur (1810 - 1877), recteur de Guimiliau ; Pierre Kervennic (1810 - 1892), curé doyen de Lesneven ; François Le Neuder (1815 - 1869), recteur de Lanleff ; Joseph Gautier (? - 1870), curé de Montfort-sur-le-Meu. Je remercie les Archives de l'évêché de Saint-Brieuc et des diocèses de Rennes et de Quimper de m'avoir fourni ces renseignements.
- 26. Jephson les désigne sous le nom de « tricornes » et ne cache pas son hostilité à leur égard. Méfiants envers les étrangers à la région en temps ordinaire, les gendarmes devaient avoir reçu des instructions très strictes en raison de la présence de l'Empereur dans les départements bretons et de l'attentat auquel il avait échappé en Janvier 1858. A l'époque tout voyageur, qu'il fut français ou étranger, devait être muni d'un passeport pour l'intérieur donnant, outre son signalement précis, sa destination et le parcours qu'il avait prévu d'emprunter pour s'y rendre. Ce document était dressé dans les mairies, les sous-préfectures ou les préfectures. Son usage, jamais officiellement aboli, finit par tomber en désuétude vers 1860.
- 27. Une grosse est constituée de douze douzaines, soit 144 plaques de verre. Il faut signaler que cette quantité se révéla insuffisante et que les photographes durent effacer quelques-uns des clichés les moins réussis pour récupérer les glaces et prendre de nouvelles images.
- 28. Morbihan : 28 vues (31,11 %) ; Finistère : 28 vues (31,11 %) ; Côtes-du-Nord : 25 vues (27,77 %) ; Ille-et-Vilaine : 9 vues (10,00 %)
- 29. Alors que les vues non animées sont au nombre de 21 chez Furne et Tournier (soit environ 9% du total) on en totalise 30 chez Reeve et Taylor (soit exactement le tiers).
- 30. L'Illustration, n° 808, du samedi 21 août 1858, pages 116 et 117. Gravures pleines pages. Si la première image est très fidèle à l'original, on remarque dans la seconde que les personnages ont été rajoutés, pratique courante à l'époque.
- 31. Annonce du 31 octobre 1858 publiée dans la Photographie, journal des publications légalement autorisées (édité par Furne et Tournier) : « Brest au stéréoscope. 24 sujets. 30 photographies. Marines, Ports de Brest, par A. Bernier. Chez Schiavetti-Bellieni, opticien à Brest. »
- 32. Les épreuves, qui se sont beaucoup altérées avec le temps, ont été déposées le 28 janvier 1859 (DL 478 à 501). Voir la liste complète en fin d'ouvrage.
- 33. L'Illustration, n° 808, du samedi 21 août 1858, page 113
- 34. Ce livre comprend essentiellement des portraits de militaires ainsi que deux photographies de Sainte-Anne d'Auray (août 1858), deux images du château de Suscinio (septembre 1858) et deux vues du port de Vannes (novembre 1858).
- 35. Je n'en connais pour le moment que trois : Portail de la Cathédrale de St. Sauveur, Dinan ; Château de Chateaubriand, Combourg ; Hôtel du Commerce, Dinan (Collection Musée départemental breton, inv.2000.)
- 36. On en a répertorié 18 à l'heure actuelle. Voir la liste en fin d'ouvrage.