Sonerien Du : 50 ans de festoù-noz (1972-2022)

Auteur : Gilles Simon / janvier 2022
Créé en 1972 au sein du cercle celtique de Pont l’Abbé, Sonerien Du est le plus vieux groupe de musique bretonne toujours en activité. Mélangeant, dès le début, sonorités traditionnelles et contemporaines avec énergie, il se caractérise aussi par une évolution continue de la composition du groupe qui a eu, en tout, pas moins de 23 musiciens « permanents ».

C’est en septembre 1972 que le sonneur Yann-Korentin Ar Gall (27 ans) fonde le groupe Sonerien Du avec son compère sonneur Dani Tanneau (27 ans), le chanteur-guitariste Raymond Riou (22 ans) et l’accordéoniste Gilles Rolland (16 ans). Tous sont nés à Pont-l’Abbé, dans le pays Bigouden. La formation choisit son nom en référence à une légende bigoudène. L’idée musicale est d’associer les instruments du couple de sonneurs bretons (biniou, bombarde) et les instruments contemporains (accordéon, guitare folk, basse électrique, pedal-steel, etc.). Elle a émergé dans le cercle celtique de Pont-l’Abbé quand des musiciens jouaient des intermèdes entre les différentes danses. C’est au retour d’une tournée du cercle en Allemagne et au Danemark que Sonerien Du a été créé.

L’essor d’un groupe tonique

Voguant sur une grande « vague celtique », Sonerien Du se lance en 1973 dans une activité frénétique. Deux albums 33 tours sont publiés chez ArFolk. Bal breton est vendu à 6 000 exemplaires en deux mois (100 000 exemplaires au final), un succès donc, qui autorise un deuxième disque. Ce Vol.2 comprend le fameux laridé « Jean-Marie » qui clôture, encore aujourd’hui, la toute fin des prestations des « Du ». Le groupe joue de la musique à danser, en chantant en français ou en breton. Le concept de « bal breton » permet d’associer les danses de différents pays bretons. La composition du groupe évolue vite. Dès le début de 1973, Yann-Korentin Ar Gall (1945-1995) passe le relais à Yann Goas (1937-2021). ArGall préférait une approche traditionnelle de la musique. Sonerien Du inaugure là une pratique originale : le changement en continu de son agencement. Au total, depuis 1972, le groupe s’est appuyé sur 23 musiciens « permanents » (une année au moins de présence). Deux autres musiciens arrivent aussi en 1973 : le guitariste Didier Quiniou (1954-2014), et Jean-Pierre Le Cam (né en 1949) qui va prendre la basse électrique. Le groupe acquiert une solide réputation, avec son entrain et sa force vocale. D’autres groupes sont peut-être plus virtuoses, mais Sonerien Du a la pêche.


Jean-Pierre Le Cam en 2013 © Gilles Simon

En 1975, un troisième album (Volume 3) est enregistré avec le guitariste Dan Ar Braz (né en 1949), et Michel Santangeli (1945-2014) qui a été aussi le batteur de Stivell et d’Higelin. Puis, Sonerien Du devient professionnel en 1976. C’est l’un des tout premiers groupes de fest-noz, sinon le premier, à faire ce pas. La formation évolue encore. Didier Quiniou a déjà quitté la formation car il n’était « pas fait pour ce métier ». Dani Tanneau passe le relais à Christian Desbordes (né en 1957). Être professionnel permet d’accepter toutes les dates qui sont proposées, notamment dans les pays d’Europe du Nord. Sonerien Du débute une nouvelle manière, alternant les festoù-noz, l’été en Bretagne, et les concerts en Allemagne, aux Pays-Bas, etc. Cette activité se traduit en 1977 par le « record » du groupe toutes périodes confondues : 126 dates, avec 109 festoù-noz et 27 concerts à l’étranger. 
Après le départ de Christian Desbordes (« pas fait » non plus pour un mode de vie rabelaisien propre à Sonerien Du), la formation accueille le multi-instrumentiste Hervé Kernéis (né en 1954). Deux nouveaux albums sont publiés : Gwerz Penmarc’h en 1978, et Feunteun Aod en 1981. Ce dernier comprend l’an dro « L’Artilleur » qui est l’un des « tubes » des Du. Cet album fait aussi référence à la lutte de Plogoff, dans laquelle le groupe s’est engagé. Sonerien Du a joué aussi en soutien à Diwan. Il appartient à la mouvance qui vit la revendication régionaliste sur la gauche de l’échiquier politique.

 

Le creux de la vague


Dans les années 1980, Sonerien Du connaît le « creux de la vague » comme tant d’autres artistes bretons, mais n’arrête pas pour autant d’innover. Le groupe inaugure en 1982 la pratique de ses soirées d’anniversaire. Il cherche des formules nouvelles. En 1984, succédant à Gilles Rolland (1956-2004), Claude Le Brun apporte sa harpe durant une année. Le groupe enregistre deux albums aux Pays-Bas : Ten Years en 1982 et Roue Marc’h en 1984. Sur Roue Marc’h, on entend un rond de Pagan intitulé « Goueliou ». En 1994, ce titre sera réarrangé, réenregistré et rebaptisé « Kanomp ha roulomp atao » (« Chantons et roulons jeunesse pour toujours »). Une « déclaration de principe » qui est aussi l’un des titres emblématiques du groupe, et qui décoiffe toujours en fin de fest-noz !

  

Gérard Belbéoch en 2011 © Gilles Simon

Après Claude Le Brun, Éric Dureau développe le son des claviers dans la musique bretonne, ce qui, à l’époque, n’est pas toujours bien accepté. Le groupe hésite aussi entre percussions africaines (avec Jacques Moreau, né en 1955) et batterie rock (avec Gérard Belbéoch, né en 1963). C’est Gérard Belbéoch qui, finalement, installe le son de sa batterie. À la fois parce que la mode des folk-clubs décline et parce qu’une batterie impose une autre dimension sur scène, Sonerien Du va beaucoup moins tourner en Europe. En 1986, le graphiste Fañch Le Hénaff pose le logo du « cœur-biniou » sur la pochette de l’album Amzer Glaz. Ce logo devient la marque du groupe. Sonerien Du publie un premier CD en 1987 (Tradition vibrante).


Affiche des Sonerien Du par Fañch Le Henaff, 1986 Musée de Bretagne 2010.0032.86

Raymond Riou, dernier des quatre membres fondateurs, quitte la formation en 1988. Dominique Lardic (né en 1954) lui succède en amenant ses guitares électriques (album Tredan, 1989). Enfin, Dominique Robineau succède à Éric Dureau en 1989 (Robineau conçoit alors les arrangements de l’album Etre mor ha douar, 1992). Les dates se font rares (30 seulement en 1990). On s’interroge : faut-il continuer ? Le sonneur Yann Goas prend sa retraite en 1994. C’est le premier retraité « intermittent du spectacle » de la musique bretonne.

La renaissance

Mais une renaissance se manifeste dans les années 1990. Après le coup de main des musiciens Bernez Quillien, Youenn Le Bihan et Jean-Claude Petit pour remplacer Yann Goas, le sonneur Jacques Beauchamp (né en 1957) entre dans Sonerien Du en 1994. L’ingénieur-son Philippe Férec (né en 1966) pousse Sonerien Du à réenregistrer ses meilleurs titres : l’album Puzzle fait un carton en 1994 (40 000 exemplaires). En 1995, Férec entre dans le groupe, succédant à Dominique Robineau. C’est à nouveau une « vague celtique ». Le groupe se lance dans des albums ambitieux (Reder noz en 1996 et Steir en 1998). Il est devenu une institution en Bretagne. Sonerien Du est approché par deux majors du disque, avec des offres alléchantes, mais ces compagnies veulent le contrôle du groupe. Sonerien Du refuse, craignant d’être propulsé puis « jeté » après un engouement passager. Le groupe a peu à peu rationalisé son fonctionnement, mais il a tenu à conserver son autonomie.

Julien Tymen et Chim Cadudal en 2011 © Gilles Simon

Au milieu des années 2000, la nouvelle « vague celtique » est retombée. Après deux nouveaux albums (Le Bel âge en 2002 et Puzzle 2 en 2004), Jacques Beauchamp passe le relais en 2004 à Christophe Morvan qui apporte sa cornemuse électronique (albums Be… New en 2006 et Liv an amzer en 2008). Mais la « colle » ne prend pas et Christophe Morvan quitte le groupe en 2009. On imagine alors de refonder le couple de sonneurs initial : biniou et bombarde. C’est l’entrée de Chim Cadudal (biniou, né en 1960) et de Julien Tymen (bombarde, né en 1984). Pour la première fois, les Sonerien Du sont sept sur scène. En 2010, Claude Ziegler (né en 1964) succède à Hervé Kernéis comme « multi-instrumentiste ». Le groupe se propose aussi maintenant en téléchargement (album Live, en 2011).


En 2012, l’album Seizh !! contient le cercle circassien Kervazegan’s Fair qui est devenu l’un des nouveaux titres phares des Du. Le 15 septembre 2013, Jean-Pierre Le Cam (à 64 ans) fête sa retraite à Pont-l’Abbé, après 41 années de musique. Christophe Runarvot lui succède et joue sur l’album Frankiz (2015). Avant l’album Kalon (2019), Sonerien Du joue en Chine en mai 2018. En 2019, Tangi Pensec (né en 1989) devient le 23e Sonerien Du, remplaçant Chim Cadudal. Mais le groupe ne fait que 3 dates en 2020, à cause de la crise de la Covid-19. 

Membres actuels des Sonerien Du et une partie des anciens membres à Pont-L'abbé en 2017 © Gilles Simon

Au cours d’une épopée musicale extraordinaire qui a traversé un demi-siècle, les Du ont assuré environ 4 000 concerts et publié 19 albums originaux (hors compilations et live). Le groupe a marié les instruments et métissé les musiques, en gardant toujours à l’esprit son lien avec la Bretagne. Sonerien Du fêtera son 50e anniversaire à Pont-l’Abbé le 20 août 2022. L’aventure continue !

Archives Sonerien Du

 

CITER CET ARTICLE

Auteur : Gilles Simon, « Sonerien Du : 50 ans de festoù-noz (1972-2022) », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 17/01/2022.

Permalien: http://bcd.bzh/becedia/fr/sonerien-du-50-ans-de-festou-noz-1972-2022

Bibliographie :

 

  • Choutet Arnaud, Bretagne. Folk, néo-trad et métissages, Marseille, Le mot et le reste, 2015.
  • Defrance Yves, L’Archipel des musiques bretonnes, Paris, Cité de la musique/Actes Sud, 2000.
  • Duigou Serge et Le Boulanger Jean-Michel, Histoire du Pays bigouden, Plomelin, Éditions Palantines, 2002.
  • Jigourel Thierry, Festoù-noz. Histoire et actualité d’une fête populaire, Romorantin, Éditions CPE, 2009.
  • Simon Gilles, Sociologie d’un groupe de fest-noz. Sonerien Du, Paris, L’Harmatan, 2016.

 

Discographie :

 

Bal Breton (1973) -vinyle et CD

Bal Breton vol. 2 (1973) - vinyle

Sonerien Du volume 3 (1975) - vinyle

Gwerz Penmarc’h (1978) - vinyle

Feunteun An Aod (1981) - vinyle

Ten Years (1982) - vinyle

Roue Marc’h (1984) - vinyle

Amzer Glaz (1986) -vinyle

Tradition vibrante (1987) – vinyle et CD

Tredan (1989) - vinyle

Etre mor ha douar (1992) - CD

Puzzle (1994) - CD

Reder Noz (1996) - CD

Steïr (1998) - CD

Noz Live (2000) - CD

Le Bel Âge… (2002) - CD

Puzzle 2 (2004) – C

Be… New ! (2006) - CD

Liv An Amzer (2008) - CD

La Komplet’ (2010) – 2 CD

Live 2011 (2011) - en téléchargement

Seizh !! (2012) - CD

Live’niversaire (2012) CD+DVD live

Frankiz (2015) - CD

45 ans de fiesta !! (2017) – CD

Kalon (2019) - CD

Et si on dansait ? (12 inédits live, en téléchargement)

Proposé par : Bretagne Culture Diversité

Documents en lien sur Bretania.bzh 
Bretania - Le portail des cultures de Bretagne