Aménager des villes « durables » : le modèle polycentrique breton, réponse idéale à ce projet
Le territoire crée la ville
Dans un « Monde devenu ville » (Lewis Munford 1961), la véritable « ville durable » ne repose-t-elle pas sur un modèle urbain visant un meilleur équilibre homme/milieu ? Car la ville est un fait de société auquel on ne peut échapper, mais encore faut-il que ses impacts soient le plus limités possible, ses modalités de fonctionnement le plus endogènes et le plus responsables tout en conservant ce rôle de cohésion de la Cité, tout en offrant les services courants dont chaque individu a besoin pour s’assurer d’une qualité et d’un niveau de vie décents.
À l’inverse de ce qui se passe actuellement, et revenant en cela aux principes d’origine, ce n’est pas la ville qui doit créer le territoire, mais bien le territoire qui produit la ville, cela en fonction de ses besoins et des contraintes imposées par les milieux. La ville métropolitaine qui aujourd’hui s’impose aux territoires, Bretagne y compris, n’est plus que le produit d’une économie transactionnelle, valorisé au nom de la performance économique uniquement. À la recherche de la polarisation des flux qu’elle tente de capter par le développement de ses infrastructures de communication (grande vitesse, ports, aéroports, réseaux autoroutiers), ses équipements (universités, recherche, réseaux bancaires, sièges d’entreprises), ses services (équipements culturels, cadre de vie, patrimoine), elle en oublie les données sociales et politiques au sens originel du terme et leurs équilibres nécessaires à toute vie démocratique, imposant mobilités et ségrégations sociales aux populations. Pire, elle s’impose aux territoires environnants afin de subvenir à ses besoins humains (migrations) et financiers (aire urbaine lois MAPAM et NOTRe). Cette polarisation imposée par ce principe perturbe tous les équilibres sociaux et environnementaux des espaces concernés par son expansion. Or, l’actuelle révolution télématique remet en cause cette nécessité de concentration infinie des hommes, de leurs activités (cf. Jeremy Rifkin, La troisième révolution industrielle), sans pour autant ignorer le fait incontournable de la mondialisation. D’autres organisations sont désormais concevables. Et en cela le modèle urbain polycentrique est le seul à réellement répondre à ce projet de « ville durable » pour peu qu’on en limite la taille à un niveau équilibré et humain.
Le réseau dense de « villes petites et moyennes » en Bretagne, ces « villes-pays » qui font l’originalité de notre système urbain traditionnel, constitue donc une réponse judicieuse à ce concept de « ville durable » . Et alors même que ce réseau de villes est malmené par les logiques marchandes et transactionnelles désormais dominantes (rôle de l’économie d’échelle), par les choix politiques qui les accompagnent, il nous faut au contraire le défendre becs et ongles avant qu’il ne disparaisse. Dans une logique de développement durable, ces villes constituent la seule réponse permettant le maintien des fonctions urbaines élémentaires tout en faisant que les externalités négatives ne pèsent pas trop sur l’environnement. Cela suppose alors une autre conception de l’aménagement de la région, tournant le dos au modèle métropolitain qui s’impose actuellement.
Car la ville-pays est le seul modèle urbain à offrir une cohérence géographique, culturelle, économique et sociale permettant de porter un projet de vie responsable, global et soutenable.
Pourquoi ? Car :
- elle constitue un territoire homogène, hérité de longs siècles de symbiose entre l’homme et le milieu
- elle offre un espace de solidarités internes entre élus, socioprofessionnels, monde associatif
- elle est un espace d’interdépendance entre milieu rural et milieu urbain
- elle permet de porter un projet de vie global et interactif
- elle peut être le lieu d’une démocratie participative directe et responsable
- elle offre une qualité de vie optimale
- elle n’est plus, avec la révolution télématique, un monde isolé des enjeux de la mondialisation.
Défendre les villes-pays en Bretagne constitue alors un enjeu fort de société et le moyen de défendre une réelle conception de la « ville durable ». Ne reste qu’à les préserver, les promouvoir, articuler leur réseau par des moyens de transport et d’échanges collectifs plus efficaces et à faire de celles-ci un véritable modèle urbain polycentrique.
« Les nouvelles aires urbaines. L’influence des villes bretonnes se renforce », Octant Analyse, n° 23, octobre 2011.
Professeur agrégé de géographie, ancien enseignant du master professionnel d’aménagement maritime et littoral à l’UBS –Lorient. Président de l’association « Géographes de Bretagne » depuis 2009.
Il a coordonné ou collaboré à la publication de nombreux ouvrages aux éditions Skol Vreizh, PUR et Apogée.