Ville et développement durable : un débat complexe

Yves Lebahy">

Ville durable par essence ?

Vaste et problématique question. Car la ville en tant que phénomène sociétal est-elle durable par essence ?

Rappelons que le « développement durable » a pour objectif essentiel de résoudre les relations entre développement et environnement. Il implique donc une utilisation rationnelle et parcimonieuse des ressources et milieux de la planète et une nouvelle conception du développement, défini comme « écologiquement renouvelable, socialement équitable, économiquement viable » (cf. rapport Brundtland, 1987). Pour qu’une ville soit réellement durable, ne faut-il donc pas qu’au préalable elle soit respectueuse des équilibres environnementaux, naturels et humains du milieu où elle se situe ?
 

Est-ce possible ?

La ville est, par définition, une concentration d’êtres humains dont les impacts sont par nature problématiques sur les milieux et la société elle-même : consommation d’espace, de foncier, pollutions de toutes sortes, ségrégations sociales, nécessité d’un espace de domination pour prélever des richesses (polarisation) et assurer ses besoins élémentaires en eau, énergie, alimentation… Car une loi fondamentale de la nature (physique et chimique) considère que toute concentration de matière ou d’êtres vivants en un lieu est perturbatrice pour l’environnement et facteur de déséquilibres profonds pour les milieux qui la portent. La ville n’échappe donc pas à cette règle.

Ce qui conduit à s’interroger sur le sens de la ville. Anomalie spatiale, à quel point la ville est-elle supportable ? Plus précisément, jusqu’où les avantages offerts à nos sociétés par cette concentration compensent-ils les déséquilibres environnementaux et sociaux qu’elle génère ?
La Cité, à l’origine de nos villes, espace agonal où la différence est admise mais les rivalités soumises à des règles (Aristote), constitue ce fondement de l’organisation politique et sociale de nos démocraties. En cela et à l’origine, elle est une nécessité qui compense les désordres qu’une concentration humaine même limitée génère, car elle génère l’unité politique.

Mais aujourd’hui, depuis l’éclosion du fait industriel et, pire, avec la domination du fait marchand et transactionnel contemporain, la ville devenue « métropole » a des impacts sociaux énormes : fortes ségrégations sociales en son sein (les quartiers), exclusion sur les périphéries des catégories défavorisées, rurbanisation. Toutes détruisent le lien social et politique propre à la Cité. Sur le plan environnemental, le bilan n’est guère plus réjouissant : consommation irresponsable du foncier, de ressources primaires (eau, énergie), pollutions diverses de l’air, des eaux et des sols, imperméabilisation des sols, infrastructures multiples pour répondre aux besoins des flux de tous ordres (migrations alternantes, approvisionnements). Cette évolution métropolitaine tourne le dos à un véritable développement durable et à ses principes d’usage parcimonieux des biens de la planète et d’équilibre social.

Aussi, les divers aménagements réalisés sous le label de la « ville durable » ne sont-ils que des ajustements cosmétiques à la marge, destinés au mieux à réduire les impacts des déséquilibres produits par de telles concentrations humaines ? Transports collectifs (tramway, métro, réseaux de bus), réduction de la consommation du foncier par densification urbaine, énergie verte et réduction de la consommation énergétique (bâtiments HQE), exclusion de l’automobile, voies cyclables et incitation à l’usage de ce mode de transport, verdissement des bâtiments et des espaces, les exemples d’initiatives sont légion en ces domaines et parfois ambigus dans leur finalité. Les grandes villes de la région n’y échappent pas. Mais est-ce cela la véritable « ville durable » ?
 

Bibliographie 

Collectif Géographes de Bretagne, sous la direction d’Yves Lebahy et de Gaël Briand, Réunifier la Bretagne ? Région contre métropoles ?, Morlaix, Skol Vreizh, 2015.

20 dossiers pour construire la Bretagne, Institut culturel de Bretagne/Diavel éditions, 2016.

Rapport « Territoires Bretons en perspective et prospective. Territoires 2040 », Agences d’urbanisme de Bretagne, juin 2015.

Dossiers complémentaires