Du Guesclin, traître ? Mythe et réalité

Auteur : Frédéric Morvan / novembre 2016
La publication d’un livre sur Bertrand Du Guesclin par Michael Jones en 2004 permet aujourd’hui de répondre à ces questions : Bertrand Du Guesclin a-t-il trahi ? Mais trahi qui ? Son souverain ? Mais lequel ? Le roi de France ou le duc de Bretagne ? Et trahi quoi ? La Bretagne ou la France ou un autre État ? En effet, Bertrand Du Guesclin apparaît très tôt comme un héros de la guerre de Cent Ans aux exploits romancés par le trouvère Cuvelier tandis qu’il n’est qu’un traître aux yeux de certains Bretons.

Un seigneur de bonne noblesse

Bertrand Du Guesclin, né vers 1319, ne fut pas un petit hobereau de second rang, mais le chef d’un lignage  prestigieux et riche. Au début du XIVe siècle, à une époque où l’adoubement était un luxe ruineux, tous les Du Guesclin, mêmes les cadets, le furent. Bertrand hérita de deux fiefs considérables : Broons, lui venant de son père et relevant de la seigneurie de Dinan, et Sens, dépendante de la terre de Fougères, et qui avait appartenu à sa mère, une Malesmains, issue d’une grande famille normande. Du Guesclin, comme il était de son devoir de seigneur et de chef de famille, s’occupa toujours de ses vassaux et de sa parenté – qui l’accompagnèrent dans son ascension et dans ses guerres –, les couvrant de biens et de fiefs.

Un vassal fidèle

Toute sa vie, il accomplit ses devoirs vassaliques, surtout envers Jeanne de Penthièvre, héritière non seulement des Avaugour, seigneurs de Dinan, mais aussi du duché de Bretagne. Tous les contrats de guerre qu’il scellera comporteront une clause restrictive : à son appel, il quittait tout pour aller combattre pour elle. Pour Du Guesclin et la presque totalité de l’aristocratie bretonne, elle fut constamment la duchesse de Bretagne et Jean de Montfort n’était qu’un usurpateur. Du Guesclin était pour Jeanne son chef de guerre, succédant ainsi à deux membres de son réseau parental, Rolland de Dinan-Montafilant (1341-1349) et le héros du Combat des Trente, Jean de Beaumanoir (1349-1355).

Le chef de guerre

Statue équestre de Bertrand Du Guesclin à Dinan - Photo Philippe LanoëDu Guesclin sortit réellement de l’ombre en 1354 à Pontorson dont il sera le capitaine toute sa vie. Cette place forte du duc d’Orléans, frère du roi Jean II, commandait l’entrée du Nord-Est de la Bretagne et permettait ainsi non seulement de surveiller Mayenne et Dinan appartenant à Jeanne de Penthièvre mais aussi Fougères, dont le seigneur était le comte d’Alençon, cousin du roi. Ce sont ces seigneurs, mais aussi les gendres de Jeanne de Penthièvre, Charles de La Cerda, connétable de France et favori du roi Jean II, et le fils de ce dernier, Louis, duc d’Anjou, qui imposèrent Du Guesclin comme chef de guerre en Normandie où il fit merveille contre les Anglo-Navarrais (mai 1364 victoire de Cocherel). Le nouveau roi Charles V le paya en lui donnant le comté de Longueville à charge pour lui de le conquérir. Du Guesclin combattit à la défaite d’Auray où il avait été appelé par Charles de Blois, mari de Jeanne, qui y trouva la mort (29 septembre 1364). Prisonnier des Anglais, ce sont ses seigneurs qui payèrent sa rançon.

Libéré, il suivit les directives du duc d’Anjou devenu le défenseur des intérêts de sa belle-mère, Jeanne de Penthièvre. Il partit alors pour l’Espagne et plaça sur le trône de Castille l’allié du duc d’Anjou, Henri de Trastamare. Il s’y constitua un territoire assez grand entre son comté de Borja et son duché de Molina pour accueillir ses Bretons qui y reçurent terres et châteaux. Ce fut à l’instigation de Louis d’Anjou que le roi Charles V le nomma connétable de France (2 octobre 1370), c’est-à-dire chef de toutes les armées royales. La situation était grave. Une grande offensive anglaise avait commencé en France. Force est de constater que Du Guesclin défendit en priorité les biens de ses seigneurs et de leurs alliés, ceux du roi venant en second.

Du Guesclin et l’Affaire de Bretagne

Armoiries de Du GuesclinEn 1373, il chassa le duc Jean IV et ses alliés anglais de Bretagne. Mais le roi Charles V ne rendit pas la Bretagne à Jeanne. Pendant cinq ans, Du Guesclin agit en Bretagne comme gouverneur sans le titre. En décembre 1378, le roi de France annexa purement et simplement la Bretagne à son royaume. De Pontorson, Du Guesclin observa les mouvements de ses vassaux, parents, amis, compagnons de guerre qui avaient formé une Ligue pour empêcher l’annexion. Alors qu’il disposait de troupes considérables, il laissa Jean IV, appelé d’Angleterre par cette Ligue, débarquer dans l’estuaire de la Rance (10 août 1379). Il est vrai que Jeanne de Penthièvre avait accepté ce retour. Charles V fut si mécontent que Du Guesclin aurait voulu lui rendre son épée de connétable. Mais le duc d’Anjou s’y opposa. Du Guesclin repartit en guerre et mourut de maladie le 13 juillet 1380 lors du siège de Châteauneuf-de-Randon.

L’échec d’une stratégie

Pour conclure, force est de remarquer que Du Guesclin demeura fidèle toute sa vie non seulement à Jeanne de Penthièvre et à sa famille, mais aussi à ses amis et vassaux. Et pour la Bretagne ? Il y chassa les Anglais qui la pillaient. En 1378, alors qu’il disposait d’une force de frappe inégalée, il n’intervint pas, laissant le duc Jean IV, souverain anglophile, se réinstaller sur le trône breton. Il est vrai que pour lui comme pour les autres seigneurs bretons, l’annexion de la Bretagne au Domaine royal signifiait devenir vassal direct du roi Charles V et ainsi avoir l’obligation de combattre gratuitement pour ce roi. Et puis il suffisait de laisser faire la nature : Jean IV n’ayant pas d’enfant, selon le premier traité de Guérande sa seule héritière était Jeanne de Penthièvre. À la mort de ce duc, tôt ou tard, le roi de France serait contraint d’accepter le retour de la duchesse sur son trône breton. Mais ce plan échoua car Jean IV eut une descendance, les ducs Montforts, qui firent en sorte de faire passer le champion de Jeanne pour un traître à la Bretagne.

Gisant de Bertrand Du Guesclin connétable de France, dans la Basilique Saint-Denis, près de Paris. Ses restes ne laissèrent pas indifférent car le couvent franciscain du Puy eut le privilège d’inhumer ses entrailles. Ses chairs revinrent aux Dominicains de Montferrant (en face de Clermont). Son cœur fut placé dans l’église franciscaine de Dinan, et transféré après la Révolution en l’église Saint-Sauveur de Dinan. Charles VI, roi de France (1380-1422), ordonna de placer ses os dans la nécropole royale de Saint-Denis. Une cérémonie grandiose y fut organisée réunissant toute la famille royale et la fine fleur de l’aristocratie militaire du royaume de France - Photo David Monniaux, Wikimedia

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Auteur : Frédéric Morvan , « Du Guesclin, traître ? Mythe et réalité », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 30/11/2016.

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