Mais si les femmes constituent un enjeu de l’entrée en paix c’est moins pour elles que pour les enfants auxquels elles donnent naissance. Dès lors, leur éducation devient une question essentielle.
Dans ces conditions, comment s’étonner que les femmes ne bénéficient toujours pas du droit de vote, malgré les éminents services rendus pendant la Grande Guerre ? Il leur faudra, pour cela, attendre les élections municipales d’avril… 1945.
Le retour des femmes au foyer
Si quelques exceptions existent, les femmes ne poursuivent alors pas d’études supérieures et la question de « mener une carrière » ne se pose pas. Pour elles, entrer en paix c’est refermer la parenthèse d’une expérience de guerre qui s’apparente à la découverte d’espaces professionnels auparavant uniquement réservés aux hommes. Elles assurent des postes d’ouvrières, de paysannes, d’infirmières, de conductrices de tramways, de factrices…
Première page du Petit journal du 26 novembre 1916. Gallica / Bibliothèque nationale de France.
On pense aussi à la figure de la « munitionnette ». A Rennes, de nombreuses femmes sont employées à l’Arsenal pour fabriquer les obus. Mais il convient de nuancer la dimension émancipatrice des postes qu’elles peuvent occuper pendant la Guerre. Moins bien payées que leurs collègues masculins, elles officient dans des conditions particulièrement dangereuses et sont astreintes à des cadences horaires démentielles. Elles sont de surcroît systématiquement placées au bas de la hiérarchie, aux ordres de contremaîtres recrutés nécessairement parmi les hommes.
Dès le 12 novembre 1918, après l’Armistice, la production des arsenaux de guerre cesse et les désormais ex-munitionnettes retrouvent leurs foyers. Or leur situation est, parfois, pire que ce qu’elle pouvait être en 1914. Certaines de ces femmes, après-guerre, ne parviennent pas à se faire embaucher comme bonnes par les riches familles rennaises ou parisiennes, celle-ci étant effrayées par l’idée d’employer une personne ayant fréquenté ce monde ouvrier immanquablement associé aux « classes dangereuses ».
C’est un entrefilet anodin dans l’édition du 19 novembre 1918 du quotidien breton L’Ouest-Eclair, qui nous informe des modalités de « la démobilisation à l’arsenal » de Rennes. Cet article passe totalement sous silence la situation des femmes qui y sont employées depuis 1914. Le contraste est manifeste avec la surexposition pendant le conflit de la figure de la munitionnette et ce silence, belle métaphore d’un retour expéditif dans le confinement des foyers, loin des promesses d’émancipation entr’aperçues pendant le conflit.
L’obsession démographique
Sur le plan démographique, le bilan de la Grande Guerre est catastrophique. La comparaison des données issues des recensements de 1913 et 1921 est particulièrement éloquente : si l’on compte 41,4 millions de Français avant le conflit, on n’en dénombre plus que 37,5 millions après.
Affiche de 1922. Bibliothèque Marguerite Durand : AFF 210a.
Les statistiques font apparaître un effet baby-boom au lendemain du conflit. A une guerre synonyme de mort s’opposerait donc une entrée en paix indissociable du don de la vie.
Le pays de Montfort n’échappe pas à cette tendance et accuse en 1921 un déficit de près de 6 500 habitants, passant de 58 830 individus recensés en 1913 à 52 336. L’Ille-et-Vilaine perd d’ailleurs sur la période 54 000 habitants et les Côtes-du-Nord, 56 253. Si les villes parviennent à tirer leur épingle du jeu, grâce notamment à l’exode rural, les campagnes, elles se dépeuplent à vitesse grand v.
Affiche. Archives départementales d'Ille-et-Vilaine: 14 Fi.
La femme-mère
Après-guerre, les femmes sont appelées à jouer un grand rôle non plus dans la sphère publique mais en donnant la vie.
Lors des toasts prononcés à la fin du banquet donné pour 700 convives le 4 novembre 1923 à l’occasion de l’inauguration du monument aux morts de Montfort, le maire, Emile Beauchef reprend à son compte un vieux récit qui, à n’en pas douter, a dû résonner familièrement dans les esprits :
« Certes à votre retour triomphal parmi nous, vous n’avez pas eu besoin de recourir à de tels moyens pour conquérir le cœur de celles que vous avez choisies. Heureuses et fières, elles ont mis loyalement leur main dans la vôtre pour devenir vos compagnes.
Puissent vos enfants grandir, robustes et nombreux autour de vous, et vous préparer pour plus tard cette belle couronne de vieillesse qui vous sera aussi chère et aussi douce que celle dont la victoire vous a auréolés, et dont vous resterez toujours parés à nos yeux. »
« Après l’inauguration du monument aux morts », L’Ouest-Eclair, 25e année, n°8088, 6 novembre 1923, p. 5.
Cette priorité accordée à la natalité, volonté politique renvoyant directement les femmes à leurs fonctions procréatrices, est clairement perceptible au travers d’un certain nombre de mesures. Le 24 décembre 1921, à la veille donc de fêter la Nativité, le préfet d’Ille-et-Vilaine prend un arrêté instaurant « un congé de deux mois, avec traitement entier, [qui] sera accordé […] aux employées femmes de la Préfecture et des Sous-Préfectures, à l’occasion de leurs couches ».
Affiche pour la journée des mères de familles nombreuses. Bibliothèque nationale de France : ENTQB-1 (1918)-FT6.
Mais s’il est une disposition qui dit bien cette réduction des femmes à leurs seules fonctions procréatrices et maternelles, c’est la création par un décret du 20 mai 1920 de la Médaille de la famille française. Celle-ci fait suite à la proposition, formulée le 15 août 1919, jour ô combien symbolique, visant à instaurer une « journée des mères de familles nombreuses », qui deviendra en 1926 la fête des mères.
Archives départementales d'Ille-et-Vilaine: 2 Z 46.
Dans le Pays de Montfort, elles sont au moins 45 à recevoir cette décoration et, par la même occasion, à être érigées en modèles. En 1926, tel est ainsi le cas de Clémentine Pihuit qui, à Iffendic, est mère de 9 enfants. Toujours à Iffendic, Anne Morice et Julienne Tertrais sont également décorées de la Médaille de la famille française pour avoir donné naissance à 9 enfants. Le record absolu semble toutefois devoir être tenu dans cette commune par Marie Bédel, mère de 12 enfants. Marie Morand, née Besnard, montfortaise mère de 5 enfants, est désignée en 1923 pour recevoir la médaille de bronze de la famille française. Autrement dit, c’est bel et bien par rapport au référent masculin, et plus encore paternel, que ces mères sont distinguées pour leur œuvre procréative.
Dans ces conditions, comment s’étonner que les femmes ne bénéficient toujours pas du droit de vote, malgré les éminents services rendus pendant la Grande Guerre ? Il leur faudra, pour cela, attendre les élections municipales d’avril… 1945.