Le premier document évoque l’évolution démographique entre 1851 (« le premier recensement qui fait date » selon J. Dupâquier) et 1999 (date du dernier recensement exhaustif en France). Le second permet de suivre l’évolution récente de 1999 à 2013 suite à la nouvelle méthodologie permettant de recenser par roulement les différentes communes afin d’avoir des chiffres annuels.
Ces deux cartes combinées permettent donc de comprendre en profondeur l’évolution du peuplement et des dynamiques spatiales depuis les prémices de la révolution industrielle jusqu’à nos jours. Elle peut être résumée par un jeu d’opposition simplifiée.
« Breton des champs et breton des villes »
Ce qui frappe sur les deux cartes, c’est la présence de taches rouges et oranges de plus en plus élargies qui prouvent le phénomène de métropolisation. La seule commune de Rennes comptait 39 505 habitants en 1851, puis 205 865 habitants en 1999 ! Surtout, si l’on prend en compte la très forte croissance des communes périphériques, l’aire urbaine rennaise comprend désormais plus de 700 000 habitants. Elle regroupe 140 communes envoyant au moins 40 % de leurs actifs travailler dans le pôle rennais ou d’autres pôles liés (technopole de Cesson-Sévigné). Avec 114 communes, l’aire urbaine de Nantes regroupe 897 713 habitants et est désormais la 8e de France. Les pôles d’attractivité du Finistère sont plus diffus, l’aire urbaine de Brest regroupant seulement 51 communes et donc 303 484 habitants. Dans l’ensemble, le renforcement des villes bretonnes est accompagné d’une périurbanisation de plus en plus forte, source d’isolement et d’éloignement pour avoir accès au foncier. On peut, sur la carte récente, remarquer le rôle des axes de communication pour des populations qui raisonnent en termes de distance-temps plus que de distance (axe Rennes-Saint-Malo). Des secteurs à mi-chemin entre les villes connaissent aussi une croissance (Châteaulin entre Brest et Quimper), tout simplement parce que des couples travaillant dans les deux villes trouvent intéressant de se partager les temps et les frais de déplacements tout en bénéficiant d’un foncier plus accessible.
À l’inverse, les zones rurales et surtout agricoles ont vu leurs populations s’affaisser, parfois divisée par près de dix. La puissante mécanisation des campagnes et l’essor de la tertiarisation de nos sociétés font partie des éléments essentiels expliquant cette évolution déterminante.
L’opposition Armor / Argoat
Une deuxième opposition saisissante concerne l’« Armor » (le pays de la mer) et « l’Argoat » (le pays des bois). En un siècle et demi, la population bretonne s’est puissamment littoralisée, notamment sur la côte sud. La plupart des villes bretonnes importantes ou moyennes sont littorales ou proches du littoral, cette croissance s’expliquant par le phénomène de métropolisation, mais aussi par les activités spécifiques générées par le littoral pendant cette période. L’industrie de la pêche a connu un fort développement dans la seconde moitié du XIXe siècle suite à la naissance de la conserverie à Nantes. Les effets initialement bénéfiques du tourisme et l’essor de certaines activités portuaires (DCN à Brest ou Lorient, activités militaires, construction navale à Saint-Nazaire, etc.) ont également davantage profité au littoral. De même, les tracés principaux des voies express ont suivi pour l’essentiel le littoral et concentré davantage les flux sur ce secteur. À l’inverse, l’Argoat était davantage enclavé et moins urbanisé. Ce territoire plus exclusivement agricole subit l’exode agricole puis rural lié à la modernisation de l’agriculture sans trouver véritablement d’alternatives de croissance.
Les oppositions régionales : est / ouest et nord / sud
L’est de la Bretagne s’est nettement plus développé que l’ouest. Rappelons que Brest était plus peuplé que Rennes en 1800. En 1850, il y avait dans ce que l’on appelle la Basse-Bretagne à peu près 450 000 habitants de moins qu’en Haute-Bretagne. La différence est désormais de plus d’1,4 million d’habitants.
Sur la carte récente, on voit que le déséquilibre s’accélère, avec à l’est une zone de forte croissance qui prend l’allure d’un triangle dont les trois pointes sont l’est de Lorient, le sud de Saint-Malo et le sud-est de la Loire-Atlantique. Si toute la Bretagne est désormais attractive (elle a gagné 600 000 habitants entre 1999 et 2013, soit en moyenne 40 000 habitants par an) , le peuplement régional s’opère de façon de plus en plus différenciée. La marginalisation relative de la Basse-Bretagne a commencé dès l’arrivée du chemin de fer et l’oubli par la Bretagne de son potentiel maritime, pour fonctionner davantage avec des logiques terrestres (le rôle des chemins de fer, puis des réseaux routiers). La situation s’est accélérée récemment avec une création supérieure d’équipements ou de centres de pouvoirs à l’est de la région (universités, sièges des conseils régionaux, etc.).
Le sud, déjà plus urbain, s’est plus développé que le nord et a davantage profité de l’essor des activités hauturières ou commerciales (Lorient et Saint-Nazaire notamment). Enfin, la côte sud, au climat plus favorable (environ 1,5 °C de différence annuelle), a bénéficié d’un mouvement classique d’héliotropisme que l’on retrouve de manière générale en France.
Les zones de carrefour et celles de confins
La carte montre aussi le rôle des villes bien desservies et des grands équipements. Au-delà de l’effet des routes, l’estuaire de la Loire est la zone qui a connu de façon relative la plus forte croissance. Elle a bénéficié d’aménagements (pont de Saint-Nazaire), et la zone industrialo-portuaire s’y est puissamment développée à partir des années 1970 (ports de Saint-Nazaire, terminal méthanier de Montoir-de-Bretagne, terminal pétrolier de Donges, etc.). À l’inverse, les zones souffrant d’enclavement sont moins attractives. Situées près des frontières départementales et/ou régionales, les villes de Redon et surtout de Carhaix n’ont pas bénéficié d’un essor correspondant à leur population initiale. Surtout, on suit sur la première carte le rôle des frontières départementales pour susciter une forme de marasme démographique général. Ce point permet de rappeler le rôle des découpages politiques et des aménagements qui ont bénéficié aux chefs-lieux de départements, délaissant des territoires ruraux plus enclavés ou situés sur les marges.
Les zones planes et les zones élevées
Enfin, il faut constater le rôle des conditions topographiques. Dans l’ensemble, les zones les plus planes se prêtent mieux aux aménagements contemporains (zones industrielles ou commerciales). Initialement moins peuplé, le secteur de Vannes par exemple – et plus largement toute la côte sud – se prêtait bien dans l’ensemble aux aménagements contemporains. À l’inverse, on suit sur la carte l’effet repoussoir de certaines zones plus élevées (les monts d’Arrée, les montagnes Noires, même le Mené). Cette réalité participe à la déprise relative des côtes nord bretonnes (évolution démographique plus défavorable de certains abers encaissés dans le Finistère). Elle joue même à l’échelle locale. Près de Châteaulin ou dans les monts d’Arrée, les deux communes élevées de La Feuillée et de Trégarvan ont connu parmi les évolutions démographiques les plus défavorables du département.
On retrouve la même situation pour la commune de Paimpont, la plus élevée de l’Ille-et-Vilaine. Certaines décisions d’aménagement visant à protéger les espaces naturels (le nord du cap Sizun, certaines forêts domaniales, les activités singulières propres à certains marais comme celui de Dol ou de la Brière) ont également limité l’expansion démographique.
Au final, on a donc un modèle simple que l’on peut résumer sous forme d’un tableau :
Croissance démographique | Décroissance démographique |
---|---|
Villes | Campagnes |
Armor | Argoat |
Est | Ouest |
Sud | Nord |
Carrefour | Confins |
Zones planes | Zones élevées ou accidentées |
Le sud-est de la Bretagne, avec notamment l’aire Nantes-Saint-Nazaire, bénéficie de tous les avantages et est la zone qui a connu la plus forte croissance (elle est urbaine, plutôt littorale, au sud, à l’est, plane, etc.). À l’inverse, le centre-nord-ouest breton apparaît comme la zone la plus déprimée (rurale, plus enclavée, etc.). Le modèle fonctionne à l’échelle urbaine puisque l’on voit que la dynamique d’ensemble d’une ville comme Saint-Malo l’a emporté sur Morlaix ; que celle de Vannes l’a emporté sur Quimper, etc. On serait donc tenté de parler d’une forme de déterminisme démographique lié à l’évolution d’ensemble de nos sociétés.
Des exceptions remarquables
Toutefois, des actions locales ou par pays prouvent qu’il n’existe pas de fatalité démographique. Par exemple, les villes proches et comparables de Lannion et de Paimpol n’ont pas du tout connu les mêmes évolutions, la première parvenant, grâce notamment à l’implantation du CNET (la téléphonie et aujourd’hui l’électronique), à doubler sa population entre 1960 et 1970. De même, une ville industrielle et dynamique comme Vitré (le plus faible taux de chômage en France), jugée « sans avenir » par la DATAR dans les années 1960, n’a pas du tout connu le même destin démographique que Fougères, qui était initialement mieux placée. On constate de la même façon que des communes qui se sont précipitées dans l’essor touristique et jouissant finalement d’une attractivité temporaire (résidences secondaires) ont aujourd’hui des difficultés pour maintenir leurs populations permanentes (exode général sur les îles bretonnes en raison notamment du prix du foncier, communes littorales fréquentées deux mois par an). À l’inverse, des petites communes ayant bénéficié de la présence d’un capitaine d’industrie (La Gacilly avec le groupe Yves Rocher) ou ayant parfois abattu une carte originale (Trémargat) connaissent parfois un destin inattendu. Il existe donc des règles démographiques mais il n’y a pas de fatalité dans l’évolution du peuplement. Parfois, la présence d’une seule décision voire d’un seul homme peut changer le destin d’un territoire.