Origine du droit coutumier breton
La Bretagne d’Ancien Régime se place parmi les « Pays de coutume ». Elle s’oppose aux « Pays de droit écrit » de la France méridionale, où prédomine l’influence du droit romain.
Le droit coutumier est aussi contraignant qu’une loi, mais résulte d’un processus d’élaboration différent : il est issu de solutions imaginées à l’origine spontanément par les habitants d’un territoire. La multiplication de précédents concordants durant une longue période finit par constituer une « coutume territoriale ». Celle-ci s’applique à la totalité de la Bretagne, y compris l’actuelle Loire-Atlantique.
La phase de naissance de ce droit se situe dans l’obscurité des XIe et XIIe siècles. Les éventuelles influences celtiques sont très faibles. La question ne se pose qu’à propos du domaine congéable, système d’exploitation agricole spécifique à la Basse-Bretagne.
La Très Ancienne Coutume de Bretagne (XIVe siècle)
Le texte en est rédigé pour la première fois vers 1320, à titre privé, par trois juristes anonymes, probablement diplômés de l’Université. Ils se fondent surtout sur la pratique juridique. Ils font aussi d’importants emprunts au droit romain et aux autres coutumes du « Grand Ouest » (Anjou et Maine). Ils y intègrent des considérations morales et religieuses, bien plus présentes que dans les autres coutumes. On peut y voir la marque du prestige de saint Yves, patron des juristes, décédé en 1303 et canonisé en 1347.
La Très Ancienne Coutume comporte 336 chapitres, écrits dans un français très archaïque. Elle encadre avec précision le déroulement d’un procès civil, et donne des garanties équitables aux parties. Elle précise également les étapes d’un procès pénal. Elle autorise le combat judiciaire, permettant à un accusé de vol, de parjure ou de trahison de prouver son innocence.
Un droit fortement marqué par l’organisation féodale
Le droit breton applicable à une situation juridique dépend de la situation sociale des personnes concernées : membres de la noblesse ou du tiers état. Les successions roturières se font en respectant un partage égalitaire des biens du défunt entre tous ses enfants, tant garçons que filles. Le droit d’aînesse triomphe pour les successions nobiliaires. Le but est d’éviter le morcellement des seigneuries, qui aboutirait à en affaiblir le caractère défensif. À défaut de descendance masculine, le fief est dévolu au mari de la fille aînée.
Une propriété immobilière coutumière inscrite dans un cadre seigneurial
Les personnes non nobles peuvent être propriétaires en Bretagne avant la Révolution. Bourgeois et paysans aisés n’ont toutefois qu’un droit de propriété relatif : la « propriété utile ». Ils peuvent vendre, louer ou transmettre leurs biens fonciers par succession ou donation. Mais leurs terres sont obligatoirement situées dans un fief seigneurial : elles constituent de simples « censives », sur lesquelles les seigneurs conservent un droit de « propriété éminente ». Ils imposent des corvées et perçoivent des droits de nature fiscale : « cens » annuel et droits de mutation.
Manuscrit de la « Très ancienne Coutume de Bretagne » réalisé avant 1476, ayant appartenu à François de Plusquellec, fils du seigneur de Kergastel (seigneurie située en la paroisse de Penvénan, 22710), étudiant en Droit. Crédit : Archives départementales des Côtes-d’Armor, référence : 1 Ms 25. Cliché T. Hamon.
Extrait du chapitre 2 : « Justice est une volenté estable certaine, qui doit donner droit à chacun. Et le commandements de droit sont ceulx qui vivent honnestement. Et ne doit nul autre despiter ou domaiger : ains doit l’en à faire à chacun sellon droit. Et il est de droit escript enseigné, arresté au commancement de l’Institude, qui parle de ceste matière ».
On remarque que les auteurs de la « Très ancienne Coutume » font expressément référence à la définition de la Justice donnée par l’Empereur Justinien, au début de ses Institutes, rédigés en 533 : « La Justice est une ferme et constante volonté de rendre à chacun le sien ».
L’Ancienne Coutume de Bretagne (1539), première rédaction officielle du droit breton
L’intégration définitive du duché à la France (1532) a une incidence directe sur la forme de son droit, mais peu sur son fond. Depuis l’ordonnance royale de Montils-lèz-Tours (1453), toutes les coutumes du royaume doivent faire l’objet d’une rédaction officielle.
Pour la Bretagne, celle-ci est rapidement conduite en 1539 par une commission de cinq magistrats nommés par François Ier, dont deux Bretons. Un nouveau droit coutumier n’est nullement créé alors, car la Très Ancienne Coutume est prise pour base. Sa syntaxe est modernisée ; un aspect plus normatif lui est donné, par une subdivision en 24 titres thématiques et 632 articles. Ce texte – dit « Ancienne Coutume » – est débattu et solennellement approuvé par l’assemblée des États de Bretagne. Il est promulgué en octobre 1539. Ce travail, trop rapidement mené, doit être repris en 1580, ce qui aboutit à la Coutume réformée ou Nouvelle Coutume. Cette dernière reste en application, sans aucun changement, jusqu’à la Révolution française. Pouvant être assimilée à un véritable Code, elle prépare intellectuellement les juristes bretons à l’adoption du Code civil (1804).