La Journée des Bricoles

Auteur : Gauthier Aubert / novembre 2016
À l’hiver 1788-1789, alors que la France commence à préparer les futurs états généraux, la Bretagne, et Rennes en particulier, attirent tous les regards en raison de la vigueur de la lutte politique qui oppose noblesse et tiers état. Le parlement et les états de Bretagne, sont en effet au cœur de débats qui, après coup, seront vus comme d’autant plus annonciateurs de l’orage à venir que la lutte passe, en janvier, dans la rue, où des combats font des morts que Chateaubriand, témoin des événements, dira être les premiers de la Révolution française.

Naissance de la Révolution

Pour les révolutionnaires, Rennes était le « Berceau de la liberté », manière de dire que c’est au confluent de l’Ille et de la Vilaine que la Révolution a commencé. Il est cependant vrai que ce titre prestigieux lui est disputé par Grenoble. En fait, si on considère que la Révolution est l’union autour de l’idée de patrie, alors c’est bien à Grenoble que tout a commencé. Mais si on voit la Révolution comme « le passage à la violence physique et à l’affrontement dans la rue faute de pouvoir s’entendre par la confrontation des idées et des mots » (Michel Denis), violence qui peut conduire à rejeter la noblesse de manière radicale, alors c’est à Rennes que le processus s’est enclenché. En somme, les événements de Grenoble annoncent la Révolution de 1789-1790, quand ceux de Rennes préfigurent celle de 1793-1794.

De la querelle politique…

Dès le printemps 1788, Rennes s’embrase – comme Grenoble –, pour défendre son parlement menacé par le pouvoir royal qui cherche à dénier leur pouvoir politique à ces cours de justice à cause desquelles, pense-t-on, aucune réforme fiscale n’est possible. La foule se mobilise en faveur des magistrats et peu s’en faut que l’armée ne fasse un massacre. Bientôt, le pouvoir recule, mais un autre cycle s’ouvre avec l’ouverture de l’assemblée des états de Bretagne.

Ceux-ci, qui se réunissent tous les deux ans dans le couvent des Cordeliers qui jouxte le palais du parlement rennais, deviennent le théâtre d’une lutte qui fait écho aux débats de la politique nationale. En effet, Louis XVI s’est décidé à convoquer les états généraux, ce qui est une victoire pour les opposants à la politique du gouvernement. Mais ceux-ci se divisent aussitôt entre ceux qui estiment que les états généraux doivent se réunir selon leur forme traditionnelle et ceux qui pensent qu’il faut faire plus de place au tiers état. La même partie se joue à Rennes, où la bourgeoisie exige une réforme destinée à la voir peser davantage et à limiter l’influence de la noblesse au sein de l’assemblée provinciale.

…aux combats de rue.

Plan de 1726 du couvent des cordeliers. Le couvent (à l’emplacement de l'actuelle rue Victor Hugo) accueillait souvent les états de Bretagne au XVIIIe siècle, qui étaient ainsi symboliquement placés sous le patronage du grand défenseur des libertés bretonnes, Bertrand d'Argentré, inhumé dans la chapelle. Situé face au parlement, non loin du présidial, mais aussi (non visible ici) des hôtels du commandant en chef, de l'intendant et de l'évêque, ce haut lieu de la vie politique bretonne était au cœur du quartier décisionnel rennais.

Les esprits s’échauffent, non sans lien avec la circulation de pamphlets, qui, en particulier sous la plume de Volney, peuvent prendre un tour radical et contribuer à durcir les positions. Début janvier, Louis XVI suspend les états de Bretagne dans l’espoir de ramener le calme. La noblesse bretonne, venue en masse, refuse de se séparer et reste dans le couvent. Cherchant à débloquer la situation, elle semble avoir instrumentalisé le fort mécontentement populaire qui agite la ville, où la disette des grains menace.

Ainsi, le 26 janvier, des porteurs en tous genres – repérables aux courroies de cuir qu’ils arborent et qu’on nomme « bricoles » – se rendent devant le parlement pour manifester leur mécontentement. Là, reçus par des membres de la cour de justice alliée historique de la noblesse des états, ils obtiennent la promesse qu’il sera demandé à la municipalité d’agir pour faire baisser le prix du pain. Ils s’entendent aussi dire que la situation est la conséquence de l’attitude égoïste de la bourgeoisie. La manœuvre consistait donc à montrer que cette dernière n’avait pas le soutien du petit peuple, qu’elle ne le représentait pas, et que le tiers état était donc divisé.

De là, les gens de bricoles s’en prennent aux jeunes gens qui observent la scène depuis un café situé sur la place du Palais. Ce sont des étudiants de la faculté de droit, fortement partisans des réformes. Des coups pleuvent, mais l’affaire ne dure pas. Parmi les étudiants figure le futur général des armées révolutionnaires Victor Moreau, qui apparaît comme l’organisateur de la riposte qui va ne pas tarder à arriver.

Les premiers morts de la Révolution

Tout pourrait s’arrêter là, mais le lendemain, 27 janvier, les jeunes gens molestés la veille s’attroupent à leur tour devant le parlement pour protester contre les coups reçus, et ceux qui sont jugés comme les vrais responsables des violences populaires, c’est-à-dire la noblesse. À quelques mètres de là, dans le couvent des Cordeliers, pressentant que la démarche est en réalité une provocation, les gentilshommes décident de faire une sortie. La charge sabre au clair contre les jeunes bourgeois eux aussi armés débouche sur de violents affrontements. Parmi les combattants figure, du côté du second ordre, le jeune Chateaubriand qui laissera bien plus tard un récit fameux de cette journée.

Le bilan est assez lourd. On compte au moins deux morts et plusieurs blessés. Dans le camp « patriote », l’émotion est immense, provoquant un élan de solidarité qui se traduit par l’afflux de centaines de jeunes gens venus de toute la Bretagne pour prêter main forte à leurs « frères ». Alors que s’esquisse ce mouvement de fraternisation qui culminera un an et demi plus tard avec la Fête de la Fédération à Paris, la noblesse, elle, fait le choix de se replier sur ses terres. Considérant que les états généraux ne sont pas réunis dans les formes, elle refuse en outre d’y envoyer des députés. À l’inverse, dans le camp d’en face, l’intense politisation des esprits débouche sur une dynamique qui fera des députés bretons en général et rennais en particulier les fers de lance des débats nationaux, jusqu’à poser les bases du futur club des Jacobins.

CITER CET ARTICLE

Auteur : Gauthier Aubert, « La Journée des Bricoles », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 23/11/2016.

Permalien: https://bcd.bzh/becedia/fr/la-journee-des-bricoles

Bibliographie

  • Dupuy Roger, La Garde nationale et les débuts de la Révolution en Ille-et-Vilaine, Paris, Klincksieck, 1972.
  • Dupuy Roger, « Contre-Révolution et radicalisation : les conséquences de la journée des Bricoles à Rennes, 26 et 27 janvier 1789 », Annales de Bretagne, tome 79, n° 2, 1972, pp. 425-454.
  • Denis Michel, Rennes, berceau de la liberté, Rennes, Ouest France, 1989.
  • Aubert Gauthier, Croix Alain et Denis Michel, Histoire de Rennes, Rennes, Éditions Apogée, Presses Universitaires de Rennes, 2006.

Proposé par : Bretagne Culture Diversité