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La société des anciens combattants

Les associations d’anciens combattants et victimes de guerre rappellent combien l’après Première Guerre mondiale est une période de développement de l’action sociale, à tel point qu’il ne semble pas erroné de parler d’ancêtre de l’Etat providence. Entrer en paix, c’est donc quelque part prendre soin des victimes, des plus faibles, de celles et ceux que la Guerre a touchés dans les chairs et les âmes.

Mais ces associations rappellent également le rôle central joué par les anciens poilus dans la société française des années 1918-1926. Eléments essentiels de la sociabilité villageoise, ces groupements de vétérans organisent de nombreux bals, lotos et autres banquets qui sont autant de moments qui rythment la vie des campagnes.
Véritables groupes de pression, les anciens combattants peuvent également, à l’occasion, servir de tremplin. On ne compte en effet pas le nombre d’individus dont l’ascension socio-professionnelle démarre en militant dans les rangs de ces associations, véritable fabrique de réseaux.

 

Aux racines de l’Etat providence

En France, au tournant des années 1930, l’Etat vient en aide à 800 000 mutilés et 600 000 veuves et orphelins de guerre. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, les diverses pensions accordées aux anciens combattants concernent 10% de la population française. En 1968, soit 50 ans après l’Armistice, l’Etat verse encore 600 000 pensions au titre de la Première Guerre mondiale.

La mention « mort pour la France » est la condition sine qua non pour toute personne souhaitant bénéficier du « droit à réparation » instauré par la loi du 31 mars 1919. Du fait de la situation critique des finances publiques, il importe donc pour l’Etat de vérifier scrupuleusement qui a le droit, ou non, à une pension, un secours ou un emploi réservé.

Mutilé du bras en rééducation professionnelle. Archives départementales d’Ille-et-Vilaine : 7 M 72416.

Mutilé du bras en rééducation professionnelle. Archives départementales d’Ille-et-Vilaine : 7 M 72416.

 

Du point de vue de l’Etat, les sommes allouées pour venir en aide aux victimes de la Grande Guerre (les mutilés, les veuves, les orphelins…) sont énormes. Du fait de la situation critique des finances publiques, il importe donc de vérifier scrupuleusement qui a le droit, ou non, à une pension, un secours ou un emploi réservé.

Les pensions allouées par l’Etat sont néanmoins notoirement modestes. En 1917, un soldat aveugle de guerre reçoit par exemple une pension de 975 francs. Cette parcimonie prend sa source dans la croyance aux vertus positives du travail, par opposition à l’oisiveté. Mutilé, amputé ou trépané, l’ancien poilu doit pouvoir continuer à servir son pays en occupant un emploi, en fonction bien entendu de ses capacités. Les officiers, eux, ne sauraient être astreints à un tel traitement, ce qui serait contraire à leur rang. Aussi leurs pensions sont-elles singulièrement plus élevées : 2760 francs par an pour un sous-lieutenant devenu aveugle de guerre, 12 600 pour un général de division.

 

Le soutien aux mutilés

Le retour au travail des mutilés est une question essentielle, 80% environ des mutilés sont des cultivateurs. Ce chiffre permet de se rendre compte du nombre des invalides qu’il faudra faire rentrer dans les cadres de l’activité de la France. L’état investit donc en faveur des mutilés pour favoriser au maximum leur réinsertion. En avril 1918, le Conseil général d’Ille-et-Vilaine octroie par exemple une subvention de 5 000 francs au Centre de rééducation agricole de Rennes.

 

Parmi les paysans mutilés pris en charge par le Centre de rééducation de Rennes, on retrouve Léon Cruble et Alphonse Tardif, tous deux cultivateurs de Talensac et ayant perdu un bras à la guerre.

« L’idée directrice du Centre de Rennes est de rendre le plus possible à sa profession et à son pays d’origine, le cultivateur mutilé. La plupart des mutilés peuvent reprendre leur métier. Ils le peuvent, parce que, avec un peu d’énergie, d’amour-propre, de constance, le corps se plie à des exigences nouvelles ; ils le peuvent, en outre, grâce aux appareils ingénieux que les chercheurs leur fournissent. Si l’amputé du membre inférieur, muni d’un pilon ou d’un sabot peut reprendre le travail de la terre, cela est encore possible aux mutilés du membre supérieur munis d’appareils, d’outils simples, robustes, d’un prix peu élevé. »

Archives départementales d'Ille-et-Vilaine : 1 N 258, Conseil général, session d’avril 1918, rapport du médecin de 2e classe Chapon médecin-chef du centre de rééducation agricole au préfet d’Ille-et-Vilaine, 10 mars 1918.

Mutilé du bras en rééducation professionnelle. Archives départementales d’Ille-et-Vilaine : 7 M 72416.

Mutilé du bras en rééducation professionnelle. Archives départementales d’Ille-et-Vilaine : 7 M 72416.

Mutilé de guerre

Né le 28 janvier 1891 à Montfort de parents agriculteurs, Henri Hubert part au front dès le 7 août 1914. Il est très grièvement blessé le 4 juin 1918 par un éclat d’obus qui lui brise le bras droit et entraîne l’amputation de ce membre. Pour Henri Hubert, la sortie de guerre est donc non seulement synonyme d’apprentissage de la situation de handicap mais aussi de reconversion obligatoire. C’est donc pour cela qu’un emploi lui est réservé à partir de février 1920 au bureau d’octroi de Montfort, non sans toutefois avoir au préalable satisfait à quelques vérifications.

Cette prothèse de bras articulé a appartenu à François Noblet (1895-1936 à Iffendic).

Prothèse du bras. Cliché: Montfort Communauté.

Prothèse du bras. Cliché: Montfort Communauté.

Il est incorporé au 118e régiment d’infanterie le 15 décembre 1914 puis au 402e régiment d’infanterie en mai 1915. Nommé caporal du 87e régiment le 6 août 1917, il se distingue lors de l’attaque du 23 juillet 1918 en entrainant brillamment ses hommes à l’assaut des lignes ennemies. Blessé à de multiples reprises depuis 1914, il est grièvement touché au crâne et perd son bras à Vouziers en octobre 1918.

Emblème du Bleuet de France, œuvre caritative venant en aide aux anciens combattants et victimes de guerre. Archives départementales d’Ille-et-Vilaine : 13 Fi 4.

Les anciens combattants dans la cité

En Ille-et-Vilaine, il faut attendre le début de 1919 pour que les premiers regroupements de vétérans apparaissent. A Rennes, c’est l’Union nationale des combattants (UNC) qui ouvre le bal en constituant une section qui se développe rapidement sous la présidence de Léon Thébault, ancien lieutenant du 47e RI de Saint-Malo. Souvent considérée comme se situant à droite de l’échiquier politique, cette association est créée sous l’égide de Georges Clemenceau et du révérend-père Daniel Brottier.

A Breteil, le groupement de l’UNC est fondé le 10 août 1919. A Iffendic, c’est à la fin du mois de décembre, qu’est créée une section locale. 80 anciens combattants rejoignent le nouveau groupement présidé par Louis Tréber, un ancien blessé de guerre.

Carte du Combattant. Collection particulière.

Les associations d’anciens combattants sont bien plus que de simples regroupements de vétérans. Bien entendu, les pratiques commémoratives occupent une part essentielle de l’activité mais l’action sociale est aussi au cœur leurs préoccupations.

En décembre 1924, quand la section de l’UNC d’Iffendic sollicite du sous-préfet l’autorisation d’organiser une loterie, elle précise bien que le bénéfice réalisé sera « destiné à l’alimentation de la caisse de secours » du groupement. L’association d’anciens combattants est un rouage essentiel de la sociabilité villageoise d’alors et organise de nombreux bals, banquets et lotos.

Affiche de la Fédération ouvrière & paysanne des associations de mutilés, réformés, veuves et ophelins de la guerre. Archives départementales d'Ille-et-Vilaine.