Qu’est-ce qu’une gwerz ?
Pour François-Marie Luzel, grand collecteur breton de la seconde moitié du XIXe siècle, les gwerzioù représentent les chants épiques quand les sonioù caractérisent la poésie lyrique (chants d’amour, chansons satiriques ou comiques, berceuses, chants de noce, etc.). Il parlait des gwerzioù dans ces termes : « [...] chants sombres, fantastiques, tragiques, racontant des apparitions surnaturelles, des infanticides, des duels à mort, des trahisons, des enlèvements et des violences de toute sort : mœurs féodales et à demi barbares qui rappellent les onzième, douzième et treizième siècles, et qui se sont continuées en Bretagne jusqu’au dix-huitième siècle ».
Gwerzioù et histoire
Dès le début du XIXe siècle, les gwerzioù suscitent l’intérêt des collecteurs et des sociétés savantes. Théodore Hersart de La Villemarqué leur donne une place de choix dans son Barzaz-Breiz, dont la première édition paraît en 1839. Il y présente ces chants en tentant de les raccrocher aux faits historiques ayant présidé à leur naissance. Même si nombre de ses analyses apparaissent fantaisistes et déclenchent une polémique dès la seconde moitié du XIXe siècle, cet ouvrage connaît un énorme retentissement en France et en Europe.
Depuis, plusieurs chercheurs se sont attachés à croiser leurs collectes et recherches sur le terrain avec les archives écrites, notamment criminelles, ainsi qu’avec les traditions chantées d’autres aires culturelles. Parmi les nombreuses études consacrées à la datation événementielle de certaines gwerzioù, on peut citer les travaux remarquables de Donatien Laurent, chercheur au CNRS, et notamment ses enquêtes sur la gwerz de Loeiz ar Ravalleg, ou sur la gwerz de Skolvan.
Fonction sociale des gwerzioù
Dans la société rurale traditionnelle de Bretagne, où l’oralité tient une place centrale, voire unique, on attribue à la gwerz de véhiculer un discours véridique, une histoire vraie. Ce sentiment est largement partagé par les chanteurs et leur auditoire, et le récit chanté de la gwerz se prolonge parfois par un ensemble de traditions orales, de commentaires en prose et de précisions relatives aux lieux, aux faits et aux personnes impliquées.
Les chanteurs de gwerzioù, hier et aujourd’hui
Plus près de nous, les enregistrements réalisés en 1959 par Claudine Mazéas auprès de Marie-Josèphe Bertrand, sabotière de Canihuel (22), révélèrent l’extraordinaire richesse d’un répertoire de gwerzioù porté par le talent exceptionnel de cette grande chanteuse disparue en 1970. Les sœurs Goadec figurent également parmi les interprètes majeurs de gwerzioù. Leur accession au vedettariat dans le sillage de Stivell au début des années 1970 contribua à populariser ces chants sur les ondes et les scènes des premiers festivals.
Ces personnalités ne doivent pas nous faire oublier la quantité de chanteurs anonymes porteurs d’un répertoire de gwerzioù. Il est en effet remarquable de constater comment ces chants remontant pour certains à quatre ou cinq siècles, voire davantage, ont pu se transmettre de génération en génération, sans, parfois, subir aucune altération. Les collectes contemporaines consultables sur le site des archives sonores de Dastum contiennent à cet égard de très nombreux exemples collectés sur l’ensemble de la Basse-Bretagne.