Des Bretons « gaullistes » (1958-1969) ?
La guerre d’Algérie et la crise du 13 mai à Alger, qui ramène le général de Gaulle au pouvoir, signent la naissance de la Ve République en réactivant les souvenirs de la guerre 1939-1945, de la Résistance et pour certains de la période du Rassemblement du Peuple Français (RPF), le premier parti gaulliste (1947-1954). Comme l’ensemble des Français, les Bretons soutiennent massivement le changement de régime, le nouveau chef de l’État, ses politiques algérienne et de modernisation de la France. Lors des référendums de 1958 à 1962, ainsi que celui sur la réforme de l’élection présidentielle au suffrage universel, les Bretons accordent au général de Gaulle de 5 à 12 points de plus que sa moyenne nationale. Ce gaullisme présidentiel des Bretons ne se dément pas : à l’occasion du référendum du 27 avril 1969 qui signe le départ de De Gaulle du pouvoir, le « oui » l’emporte avec 55,8 % des suffrages exprimés alors que le « non » est majoritaire en France (53,2 %). Il est vrai que De Gaulle, presque majoritaire en Bretagne dès le 1er tour des élections présidentielles (48,5 %), y avait été réélu en décembre 1965 avec 62,5 % des suffrages (54,5 % en France).
Pourtant, contre les centristes et les indépendants de droite, l’Union pour la nouvelle République (UNR), le nouveau parti gaulliste formé pour les élections législatives de novembre 1958, n’avait obtenu que six députés sur 33 dans la région. La percée de l’UNR n’intervient qu’en novembre 1962 à l’issue de la crise politique qui voit la grande majorité des députés de droite et les centristes bretons voter la censure du gouvernement de Georges Pompidou, provoquant la dissolution de l’Assemblée nationale. L’UNR-UDT rafle alors 16 sièges sur 33. En outre, la majorité gaulliste peut compter sur l’appui des Républicains indépendants (RI) giscardiens, représentés en Bretagne par Raymond Marcellin. Mais l’enracinement local (maires, conseillers généraux, sénateurs) sera difficile, limité et assez tardif.
La Bretagne, terre de « parachutage » de « barons » du gaullisme (1967-1974)
Dans les années 1960, la Bretagne s’affirme comme un bastion électoral du gaullisme. En mars 1967, alors que l’usure du pouvoir se fait sentir, suivant l’exemple d’Yvon Bourges élu à Saint-Malo en 1962 et devenu ministre, plusieurs cadres de l’UNR, rebaptisée UD Ve, et de jeunes hauts-fonctionnaires des cabinets ministériels viennent se faire élire dans la région. Des hommes visant souvent un ministère sont « parachutés » en Bretagne : Edmond Michelet à Quimper, Olivier Guichard à Guérande-La Baule, Michel Cointat à Fougères. Tous ces « barons » du gaullisme s’enracinent durablement. Le seul échec notable est la défaite de Pierre Messmer, le ministre des Armées, à Lorient en raison de l’union des gauches. Les socialistes SFIO et PSU remportent alors cinq sièges en Bretagne.
Le parti gaulliste, qui devient l’UDR (Union pour la défense de la République) lors de la crise de Mai 1968, conserve 14 députés en 1967 avant d’atteindre son apogée en juin 1968 avec 20 élus sur 33 et au total 28 députés pour la majorité. Député de Landerneau depuis 1958, Gabriel de Poulpiquet est le mieux élu de France avec 88,3 % des voix au premier tour. Les centristes et la gauche sont laminés. Dans les années 1968-1974, l’UDR fournit cinq, six, voire huit ministres aux gouvernements dirigés par des gaullistes, preuve du poids des personnalités gaullistes ou ralliées (l’ex-MRP Marie-Madeleine Dienesch) élues en Bretagne.
C’est en Bretagne, lors de son discours de Quimper du 2 février 1969 que le général de Gaulle vient annoncer son référendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat.
S’il quitte le pouvoir après la victoire du non, son ancien premier ministre Georges Pompidou devient président de la République le 14 juin en battant le centriste Alain Poher avec 63,1 % des suffrages exprimés en Bretagne (57,5 % en France). Pompidou y a en effet bénéficié au second tour du ralliement d’une fraction des centristes emmenée par René Pleven. En recul au niveau national, l’UDR résiste bien lors des élections législatives de mars 1973 alors que la gauche socialiste progresse. Mais la surprise vient de Dinan où René Pleven, le ministre de la Justice de Georges Pompidou, est battu de quelques voix par Charles Josselin, un jeune socialiste inconnu.
Les partis gaullistes contraints de passer la main
Les élections présidentielles de 1974 puis celles de 1981 remettent en cause l’hégémonie exercée à droite par le gaullisme et le pompidolisme depuis 1958. Le décès en avril 1974 du président Pompidou redistribue les cartes. Candidat de l’UDR, l’ancien premier ministre (1969-1972) Jacques Chaban-Delmas est nettement distancé au premier tour par le leader des RI Valéry Giscard d’Estaing élu au second, le 19 mai 1974, avec 50,8 % des voix contre François Mitterrand (PS), le candidat unique de la gauche. Au premier tour, Chaban-Delmas n’a recueilli que 13,7 % des suffrages en Bretagne, moins qu’au niveau national (15,1 %). L’électorat de droite abandonne un gaulliste, qui a mené une politique considérée comme trop libérale, au profit de son adversaire. Il est vrai que trois députés UDR du Finistère ont signé l’appel des 43 initié par Jacques Chirac qui a torpillé de fait la candidature de Jacques Chaban-Delmas.
Jacques Chirac devient premier ministre (1974-1976) et prend le contrôle de l’UDR en marginalisant les « barons » du parti gaulliste qui, comme Yvon Bourges et Olivier Guichard, tentent de résister à la « chiraquisation » de leur parti. En Bretagne, Chirac est appuyé par Guy Guermeur, le nouveau député de Douarnenez. En décembre 1976, ayant quitté Matignon en désaccord avec le Président, Jacques Chirac transforme l’UDR en RPR, le Rassemblement pour la République, une formation qui doit lui permettre de gagner l’Élysée. Yvon Bourges et Olivier Guichard sont alors ministres des gouvernements de Raymond Barre. Tandis que l’Union de la gauche et surtout le PS progressent en Bretagne (cantonales de 1976, municipales de 1977), les élections législatives de mars 1978 traduisent une bonne résistance des droites dans la région comme au niveau national.
Mais l’érosion électorale du RPR entamée en 1974 au profit des giscardiens se poursuit, même si les gaullistes conservent 14 députés. Elle est accélérée par l’alternance de 1981. Au 1er tour, contre le président sortant, Jacques Chirac n’a recueilli que 18,7 % des voix en Bretagne (18 % en France), ce qui traduit l’affaiblissement du gaullisme présidentiel au profit du giscardisme (30,9 %). Au second tour, le 10 mai 1981, François Mitterrand n’est pas encore majoritaire dans la région (49,2 %) mais lors des élections législatives de juin, une « vague rose » déferle sur la Bretagne donnant 19 députés au PS en dépit de candidatures uniques à droite. Le RPR n’y conserve que sept députés dont des anciens ministres.
Désormais, et jusqu’en 2017, la Bretagne devient une terre favorable au PS qui résiste bien au retour des droites en 1986, car elles sont divisées dans trois départements sur cinq. Au scrutin de liste à la proportionnelle, sur 36 sièges le RPR en obtient neuf mais il retombe à sept en 1988 après la réélection à la présidence, avec 55 % des voix en Bretagne, de François Mitterrand contre Jacques Chirac. La débâcle du PS qui ne garde que cinq députés en mars 1993 permet un sursaut du RPR (14 députés sur 36) mais il est désormais devancé à droite par l’UDF, l’Union pour la démocratie française qui a intégré tous les centristes en 1978 (17 sièges). Après une bataille féroce contre le premier ministre de cohabitation Édouard Balladur, issu du RPR, Jacques Chirac accède à l’Élysée en 1995. Mais la dissolution de l’Assemblée nationale en 1997 permet le retour en force de la gauche bretonne (20 PS, un PCF) alors que le RPR est réduit à cinq députés. La Bretagne n’est plus une terre d’élection du gaullisme, le RPR étant même de plus en plus concurrencé à droite par l’UDF. Dans des circonstances exceptionnelles, la réélection de Jacques Chirac contre Jean-Marie Le Pen (Front national, extrême droite) en 2002, les 88,5 % des suffrages accordés au président sortant montrent plus l’attachement des Bretons à la démocratie libérale qu’au leader du parti néo-gaulliste, car ce dernier n’a obtenu qu’entre 20 et 21 % des voix au 1er tour en 1988, 1995 et 2002.
Dans la foulée, Jacques Chirac lance le rassemblement des droites au sein d’un nouveau parti l’UMP, l’Union pour la majorité présidentielle, qui enlève 22 sièges en juin 2002 dont huit pour le RPR. Le parti gaulliste se fond et disparaît dans l’UMP qui conserve l’Élysée en 2007 grâce à Nicolas Sarkozy. Mais en Bretagne, Ségolène Royal (PS), la candidate de la gauche l’a devancé au second tour avec 52,7 % des voix en recueillant une partie de l’électorat centriste de François Bayrou qui avait refusé de rejoindre l’UMP. Le gaullisme a marqué l’histoire politique de la Bretagne sous la Ve République mais il n’en est plus la force dominante, même à droite.