« Partir en piste », « aller en riboul » désignent, selon le Dictionnaire des expressions, une « nuit de beuverie intense et déambulatoire ». Une pratique spécifiquement bretonne, note le Dictionnaire des régionalismes de France. C’est dire à quel point l’image de buveurs invétérés colle à la peau des Bretons. Or, il s’avère que cette réputation est en partie exagérée. C’est surtout à partir du XIXe siècle que cette image peu flatteuse est véhiculée. Des notables et des médecins hygiénistes s’alarment en effet de la consommation excessive d’alcool dans la région. Et ils n’ont pas tort : entre 1826 et 1906, dans le Finistère, la consommation individuelle de spiritueux est multipliée par trois. L’eau et le lait demeurent toutefois les boissons du quotidien pour de nombreuses familles. On boit de l’alcool lors de fêtes, comme les foires, les marchés, les mariages ou les pardons. Et à ces occasions, ce n’est pas le cidre mais bien l’eau-de-vie (gwin ardant, en breton) qui est absorbée en quantités peu recommandables.
Du cidre breton et du vin de Bordeaux
Le cidre n’est introduit en Bretagne qu’au Moyen Âge. La culture du pommier se multiplie à partir du XVIe siècle. « C’est alors la ruée vers l’Ouest armoricain pour la culture de cet arbre fruitier », explique l’historien Thomas Perrono. Le pommier s’implante particulièrement bien en Cornouaille et dans le Trégor-Goëlo, mais aussi dans le pays de Rennes. Amateurs de cidre, les Bretons ne boudent pas le vin pour autant. Les nobles ainsi que le clergé en sont même de fins connaisseurs : on cultive la vigne dans quelques abbayes et, surtout, on importe du vin de Bordeaux. L’approvisionnement demande parfois une logistique particulière. Pour rejoindre Rennes, par exemple, le vin est transporté par la Vilaine. Il faut alors changer de bateau à Redon, afin de pouvoir franchir les 13 écluses qui séparent la ville de la capitale bretonne !
À cette époque, la péninsule bretonne est une zone stratégique pour la réexportation de vin vers l’Europe du Nord, les continents américain et asiatique. Quant au cidre, sa production continue d’augmenter : dans les années 1930, un tiers du cidre français vient de Bretagne. Après-guerre, changement de décor : l’agriculture se modernise, il faut agrandir les champs et des milliers de pommiers sont arrachés. Le cidre perd du terrain en Bretagne comme boisson quotidienne, face au vin dit « ordinaire », mais aussi à l’eau qui devient progressivement courante dans les campagnes. Cependant, la Bretagne est à cette époque la région française où l’on décède le plus par alcoolisme.
Vignes et microbrasseries
Aujourd’hui, la production s’est largement diversifiée. On produit toujours du cidre, bien sûr. L’un des plus grands crus, produit dans le Finistère, à Guimaëc, est même servi à l’Élysée ! Quant au vin, c’est une petite révolution que vit aujourd’hui la Bretagne : depuis une loi de 2016 qui assouplit les règles de plantation, de nouvelles vignes poussent en Bretagne. Une production boostée par le réchauffement climatique. Désormais, on compte plus de 50 viticulteurs en Bretagne, essentiellement autour du golfe du Morbihan. La Bretagne est aussi devenue une terre de bières. La péninsule compte aujourd’hui plus d’une centaine de microbrasseries. Et il semblerait que, malgré cette offre alléchante, les Bretonnes et les Bretons soient devenus plus raisonnables. Selon les chiffres publiés par Santé publique France, en 2021, 7,9 % des adultes de 18-75 ans ont déclaré consommer de l’alcool quotidiennement ; une proportion dans la moyenne nationale. Et cette part des consommateurs quotidiens d’alcool baisse de manière régulière depuis 2005. De quoi exciter l’imagination des producteurs et productrices : à quand un pétillant breton aux algues sans alcool ?