Du Pays basque à la Normandie, et à la Bretagne
D’aussi loin que l’on connaisse l’histoire, la boisson de pomme existe, mais le cidre moderne, assez stable pour être commercialisé en toute sécurité, trouve son origine chez les Basques qui ont su, dès l’an mil, l’apprenant probablement de leurs voisins Arabes, maîtriser la sélection variétale et la greffe, des savoirs indispensables à l’élaboration d’un produit de qualité.
Car pour faire un bon cidre, il faut de bonnes pommes. Les Bretons et les Normands découvrent un jour dans les chroniques de Compostelle que des marcheurs affirment avoir traversé « des forêts entières de pommiers aux fruits égaux en beauté comme en goût. » Ils décident d’y aller. Marin Onfroy, un gentilhomme normand du XVe siècle, ramène de ses navigations des greffons de Biscaye.
Rapidement, les Normands, grâce à une bonne technique d’élaboration, mettent au point le cidre moderne qui part aussitôt à la conquête du Maine, de la Bretagne et de l’Europe du Nord. Au XVIIe siècle il arrive en Cornouaille, où les paysans du bord de mer, instruits des saveurs colportées et réclamées par les marins, le colorent de douceur et d’amertume.
Fastes et malheurs de la boisson des campagnes
En France, la noblesse, le clergé et la bourgeoisie se partagent le vin. Le cidre est la boisson des campagnes. Mais à la fin du XIXe siècle, la maladie ravage le vignoble et les Normands en profitent pour commercialiser les premières bouteilles de cidre fin. Cela ne dure pas longtemps, mais l’effort de guerre incite désormais les producteurs à accroître fortement la superficie de leurs vergers afin de produire les grandes quantités d’alcool nécessaires à la fabrication de la poudre à canon.
La qualité n’est pas la préoccupation du temps, mais dans les crus réputés les paysans s’obstinent à produire du bon cidre, à Guenrouët, Pleudihen, Lanvollon, Clohars-Carnoët, pour n’en citer que quelques-uns en Bretagne. Le plus célèbre est Fouesnant, dont le nectar devient « le meilleur cidre du monde » sous la plume de Frédéric Le Guyader.
La production se maintient avec la guerre, mais à la fin du deuxième conflit mondial, le monde change. C’est la fin de l’alcool d’État et les autorités décident l’arrachage en masse des vergers. La consommation de cidre chute de cinq millions d’hectolitres en 1945 à deux millions en 1975.
Le cidre va très mal, mais en Normandie comme en Bretagne, le goût du bon est toujours là. Dès 1980, les Trente Glorieuses s’essoufflent et il faut diversifier les productions. En Côtes-d’Armor comme en Cornouaille, on se souvient de la richesse apportée par le cidre. On crée le Cidrec et le Cidref, mais seul ce dernier réussit à amener le cidre de Cornouaille à l’Appellation contrôlée (les Normands obtiennent simultanément une Appellation en pays d’Auge).
Marqueur de terroir
Les labels et appellations des cidres bretons n’en font pas une manne, mais ils ouvrent les chemins de la qualité, des saveurs et des arômes. Pendant quelques années, les Bretons du cidre sont désunis, mais ce temps est révolu et désormais toute la filière bretonne évolue dans un même sens.
Les industriels (peu nombreux, mais puissants), les artisans et les petits producteurs profitent de leur complémentarité. La progression des ventes est engagée et, signe du temps, la Bretagne est dans le tempo mondial. De la vieille Europe au Nouveau Monde et jusqu’aux antipodes, le cidre connaît une courbe de production croissante, avec des industriels pour satisfaire le plus grand nombre et des artisans pour donner à chaque terroir son image.
Des cidriers d’excellence mettent de la passion dans leur création et crédibilisent le message d’un produit sain et naturel, aux couleurs, arômes et saveurs façonnés comme la signature du terroir qui le porte.
La légende compte sept grands cidres en Bretagne, sur les terroirs du pays Nantais, du pays de Rennes, de Redon, du Val-de-Rance, du Goëlo, du Guillevic et de Cornouaille. Ce n’est pas tout à fait exact, mais on ne construit de légende que sur des histoires formidables, et le cidre des Bretons du XXIe siècle en est une.