Près de deux siècles d’histoire
Nés à Jérusalem en 1120 dans le but de défendre les pèlerins du Saint-Sépulcre et, plus encore, d’appuyer les États latins d’Orient, les Templiers sont apparus en Bretagne avant même que leur ordre, neuf ans plus tard, ait été reconnu par l’Église et doté d’une règle. En 1128, une donation intéressant Coudrie (Challans, en Vendée) mentionne pour la première fois un seigneur breton, Garsire, sire de Retz et de Machecoul. La même année, sans doute, une concession ducale installait les frères à Nantes, sur l’île de la Hanne. En 1141, elle était complétée par différents droits et par un terrain, au Pré d’Anian , destiné à être construit. Outre les ducs, qui n’ont jamais remis en cause leur soutien au Temple, c’est toute la population bretonne qui a favorisé son essor. Servis par un intérêt réel pour la Terre sainte, les frères demeuraient populaires au tournant des XIIIe et XIVe siècles. Sans doute leur expansion s’était-elle localement ralentie, mais il n’y a pas eu de crise. Le procès, né de la volonté de Philippe le Bel, était étranger à la Bretagne. Cependant, comme dans toutes les terres appartenant à la couronne de France, les frères y ont été arrêtés et leurs biens placés sous séquestre. Des enquêtes bretonnes – si tant est qu’elles aient existé – il ne reste rien, et les rares Templiers interrogés à Paris ayant servi dans la région paraissent innocents des charges dont ils ont été accusés. On ignore le sort qui fut le leur une fois l’ordre supprimé, même s’ils sont sans doute revenus dans le duché finir leur existence dans leurs anciennes commanderies, désormais passées au pouvoir de l’Hôpital.
Une forte présence régionale
Prendre la mesure de l’implantation bretonne du Temple n’est pas simple. Le document indispensable pour ce faire est une charte datée de 1182 et attribuée au duc Conan IV recensant, sans nullement les détailler, une centaine de lieux où les frères possédaient des biens. L’acte est précieux car sans équivalent, mais il s’agit d’un faux. Ayant pour finalité d’être cru, il n’est pas sans intérêt pour l’historien, qui doit néanmoins le dater convenablement afin d’établir à quelle époque se rapporte cette liste des biens de l’ordre en Bretagne. Tout porte à croire que la charte a été rédigée autour de 1312, à l’occasion du passage des possessions du Temple à l’Hôpital, et c’est donc du patrimoine des coreligionnaires de Jacques de Molay à la veille du procès qu’elle attesterait. Présents de façon ancienne et probablement plus forte dans le diocèse de Nantes, les Templiers s’étaient établis dans chacun des évêchés bretons, excepté le Léon. Leur temporel ne s’était pas formé au hasard, et, en dépit de l’aléa des donations, les frères ont toujours œuvré au mieux de leur intérêt, s’intégrant au système seigneurial et favorisant des activités spéculatives, aux débouchés souvent urbains, pensées pour aider leurs missions. Au Temple, le secours de la Terre sainte était essentiel et l’organisation de l’ordre était conçue en fonction. La Bretagne n’a nullement fait exception et, dépendant de la province d’Aquitaine, elle était divisée en six à dix commanderies, où vivaient une trentaine de frères – chevaliers, chapelains et surtout sergents – qui, dans la gestion des hommes et des ressources, se chargeaient du lien avec l’Orient.
Vestiges et mémoires du Temple
D’un passé aussi riche on pourrait attendre qu’une mémoire abondante soit apparue dès la fin du Moyen Âge. Il n’en est rien. Les traditions mettant en scène les Templiers en Bretagne sont légion, mais, pour la plupart, elles ne remontent pas au-delà du XIXe siècle. Terribles ou au contraire propices, toutes prêtent aux frères une puissance et en font d’exceptionnels bâtisseurs, leur attribuant églises et châteaux. Les vestiges bretons de l’ordre ont fait abondamment couler l’encre, et, face aux mythes, encore trop souvent tenus pour avérés, la réalité historique court le risque de décevoir. Les chapelles templières de Bretagne ont presque toutes été reconstruites et, si plusieurs abritent des restes antérieurs au début du XIVe siècle, seules deux n’ont subi que des modifications mineures, Saint-Jean-Baptiste, à La Nouée (Yvignac), et surtout la Madeleine, à Clisson. La trace des édifices civils du Temple est encore plus ténue : les châteaux relèvent de la légende et les logis ou les bâtiments agricoles des commanderies ont été remaniés à l’époque moderne par les Hospitaliers, quand ils n’ont pas purement disparu. En Bretagne plus encore qu’ailleurs, l’histoire des Templiers doit se garder du mythe. Il incombe assurément aux professionnels et aux spécialistes la responsabilité de divulguer le fruit de leurs recherches plus qu’ils ne le font, mais sans doute peut-on espérer en retour que le public leur accorde sa confiance et se garde de prêter foi aux racontars de tous ordres qui circulent sur le Temple.
Bet troet diwar ar galleg gant J-D Robin