Dans les histoires générales de la marine, on passe généralement rapidement sur l’état d’insurrection de l’Ouest de la France au début de l’affrontement entre la République et l’Angleterre. Celui-ci rend pourtant toute comparaison avec les autres grands conflits du XVIIIe siècle caduque. En effet, loin de pouvoir s’appuyer sur son hinterland, Brest se trouve en conflit larvé avec les campagnes qui l’entourent.
Durant l’automne 1793, les courriers entre Paris et Brest sont interceptés, les levées des marins perturbées, l’approvisionnement en subsistances interrompu. Bien que l’insurrection n’ait jamais été généralisée en Bretagne, le rôle de la rumeur et les difficultés de communications renforcent le sentiment d’isolement du port du Ponant. Celui-ci est accentué par le clivage entre campagnes, bretonnantes et catholiques, et ville, francophone et en voie de déchristianisation. Cette opposition ne doit toutefois pas être exagérée, les marins étant largement bretonnants eux aussi. L’amiral Kerguelen met ainsi en avant sa maîtrise de la langue pour demander une mission de recrutement en Bretagne, en 1796 : « Aimé de tous les marins et parlant très bien la langue en usage sur les côtes de l’Ouest je me flattais de ramener des hommes précieux que la malveillance a égarés ». Le ministre de la Marine, de son côté, encourage l’embarquement de binious pour soutenir le moral. Mais point de spécificité véritablement locale ici. On retrouve plutôt en réalité une déclinaison locale de cette opposition ville/campagne qui s’observe partout en France.
Brest se comporte en conséquence durant tout l’an II comme une ville assiégée : elle se ravitaille par la force tant sur terre que sur mer, par le biais de réquisitions dans les campagnes, par la course en mer. Sans cette activité prédatrice, la pénurie aurait été forte dans la ville ainsi que dans l’arsenal, qui s’alimente largement grâce aux captures de munitions navales étrangères.
De manière intéressante, ce complexe obsidional, avec l’impression d’être pris entre les Anglais d’un côté et les campagnes de l’autre, renforce la spécificité politique de Brest. Les républicains y sont majoritaires, avec un fort courant montagnard, et l’on trouve même quelques radicaux hébertistes. La hantise de l’exemple toulonnais, ainsi que la peur d’une jonction des Britanniques et des insurgés des campagnes, agissent comme un puissant aiguillon politique.