Brittany Ferries, l’aventure des paysans armateurs

Auteur : Erwan Chartier / janvier 2017
En 1972, André Colin, Alexis Gourvennec et Jean Hénaff créent l’armement BAI et lancent l’aventure de la Brittany Ferries. Destinée à favoriser les exportations agricoles bretonnes, la compagnie s’est rapidement imposée comme l’un des acteurs du trafic passagers transmanche.

Organisés et déterminés, les paysans du Léon et leur leader, Alexis Gourvennec, ont été une force efficace de contestation tout autant que de propositions dans les années 1960. La Société d’intérêt collectif agricole (SICA, puis Sica) de Saint-Pol-de-Léon et des membres du Comité d'étude et de liaison des intérêts bretons (CELIB) s’entendent ainsi pour proposer, en 1968, trois projets structurants à un pouvoir central aux aguets qui s’empresse de les concéder après les événements de mai : un plan routier breton, une université à Brest et un port en eaux profondes à Roscoff. Ce dernier doit permettre aux agriculteurs d’exporter leur production vers les îles Britanniques, à 130 kilomètres de là. « L’histoire nous apprenait que la mer était un élément de richesse fantastique », confiait Alexis Gourvennec à la revue ArMen en janvier 1996. Les travaux débutent au port du Bloscon en 1970 afin d’édifier un môle capable d’accueillir les ferries. Mais aucun armateur ne se manifeste ou ne veut prendre le risque de lancer une ligne entre petite et grande Bretagne.

La solution va venir d’un autre Breton, Jean Hénaff, capitaine de la marine marchande, préoccupé par la montée du chômage des marins après le choc des décolonisations. Pour Hénaff, si les armateurs ne créent pas d’emplois, il faut créer des armateurs. Au printemps 1972, André Colin, président du conseil général du Finistère, organise une réunion capitale dans les locaux de la CCI de Morlaix entre Gourvennec et Hénaff, le paysan et le marin sans bateaux. Ils décident de créer une nouvelle société d’armement anonyme, Bretagne-Angleterre-Irlande (BAI), dont le siège est basé rue Saint-Mathieu à Quimper. Le capital de 15 000 francs est réuni par les trois fondateurs, face aux 18 millions de francs du navire que Jean Hénaff déniche en Galice, à Vigo. Il a été construit pour la marine israélienne qui n’en veut plus et il peut très bien convenir à la jeune entreprise. Reste quand même à trouver la somme. Alexis Gourvennec met tout son poids pour convaincre les milieux agricoles et économiques bretons de s’engager dans un pari plus que risqué. Il réunit 5 millions de francs et les banques suivent pour avancer le reste. Le navire est baptisé Kerisnel, le marché aux légumes et le quartier général de la Sica. Deux ans plus tard, le « paysan-directeur-général » Alexis Gourvennec prend la présidence de la BAI, rebaptisée Brittany Ferries, et convainc la Sica de régler la note d’un nouveau ferry, le Penn ar Bed.

Armement choux-fleurs

Le 18 décembre, le Kerisnel a fait son entrée au port du Bloscon. Deux jours plus tard, il met le cap vers Plymouth. À vide. Début janvier, trois camions traversent la Manche. La Grande-Bretagne vient d’intégrer le Marché commun. Les débuts sont néanmoins difficiles. En 1973, plus de cinq mille camions sont embarqués. Mais une autre demande émerge, celle des passagers et des touristes, à laquelle le Kerisnel avec ses douze cabines n’est pas à même de répondre. Le Penn ar Bed peut, quant à lui, transporter un demi-millier de personnes et entre en service au début de 1974. À la même période, Jean Hénaff crée une filiale entre Saint-Nazaire et Vigo. Le Kerisnel y est affecté, notamment pour Citroën, qui possède des usines à Rennes et dans le port galicien. En 1974, 83 000 passagers et plus de 8 000 véhicules sont transportés par la BAI. Alexis Gourvennec réalise un joli coup médiatique durant l’été, en transportant de Roscoff à Plymouth la caravane du Tour de France.

Face au succès, la Brittany Ferries envisage d’ouvrir une seconde ligne au départ de Saint-Malo. C’est alors que la compagnie allemande sous pavillon chypriote, la TT. Line, qui avait refusé quelques années plus tôt d’ouvrir une liaison à Roscoff, annonce son intention d’ouvrir une ligne transmanche à partir de la cité corsaire. Alexis Gourvennec dénonce la trahison de la CCI de Saint-Malo qui s’était engagée avec Brittany Ferries pour une ouverture en 1976. Dans les milieux malouins, on se méfie en effet de ces Léonards ambitieux… Ces derniers s’installent sur les quais de la cité corsaire, sans que les forces de l’ordre n’interviennent. Le navire de la TT. Line fait demi tour… Les Allemands renoncent.

En 1978, une nouvelle ligne est ouverte avec l’Irlande. Le sonneur Polig Montjarret n’y est pas étranger et, via l’association Bretagne-Irlande, travaille à développer les jumelages qui vont « doper » le trafic entre la Bretagne et l’île verte. Dans les années 1980, Brittany Ferries s’implante dans les ports normands et ouvre une deuxième plateforme logistique à Ouistreham. La ligne Portsmouth-Caen est aujourd’hui la principale en nombre de passagers. Cette expansion est appuyée par les collectivités locales. Alexis Gourvennec n’a, en effet, jamais rechigné à demander d’importants investissements publics pour son armement. En 1982, la Région Bretagne, plusieurs départements et le Crédit agricole entrent dans une société d’économie mixte pour capitaliser la compagnie. Les Normands la rejoindront ensuite.

Depuis son origine, la compagnie, toujours contrôlée par les « paysans-armateurs » du Léon, a connu un développement spectaculaire. En 2015, elle arme une dizaine de navires et déclare un chiffre d’affaires de plus de 300 millions d’euros.

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Auteur : Erwan Chartier, « Brittany Ferries, l’aventure des paysans armateurs », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 10/01/2017.

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