L’Île de Sein tient assurément une place à part dans le destin du général de Gaulle. Mais, comme souvent chez ce personnage aussi secret qu’hors du commun, il est difficile de faire la part des choses entre ce qui relève de l’homme privé et de celui qui incarne « une certaine idée de la France ».
Le décret conférant à l’île de Sein la Croix de Compagnon de la Libération est pris le 1er janvier 1946. Charles de Gaulle est alors à la tête du Gouvernement provisoire de la République française. Mais, ne parvenant pas à imposer ses vues institutionnelles, il en démissionne 19 jours plus tard. Aussi, lorsqu’il vient à l’île de Sein, le 30 août 1946, remettre la prestigieuse décoration, il est à l’aube d’une longue « traversée du désert ». D’ailleurs, comme une sorte de clin d’œil des éléments, la visite du Général intervient avec deux jours de retard : la tempête qui fait rage empêche en effet la traversée depuis Brest… La « traversée du désert », elle, ne s’arrête qu’en 1958, à la faveur de la crise algérienne mais non sans encore une fois un crochet par Sein.
Pour autant, les actes politiques n’empêchent visiblement pas une certaine sincérité, pour ne pas dire une réelle affection. Dans ses Mémoires de guerre, rédigées au cours de sa traversée du désert, Charles de Gaulle écrit : « Dans les derniers jours de juin, abordait en Cornouailles une flotille de bateaux de pêche amenant au général de Gaulle tous les hommes valides de l’île de Sein. Jour après jour, le ralliement de ces garçons resplendissant d’ardeur et dont beaucoup, pour nous rejoindre, avaient accompli des exploits, affermissait notre résolution ». Evoquant au soir de sa vie les jours sombres de juin 1940, il confie à Pierre-Louis Blanc, l’un de ses proches collaborateurs à l’Elysée dont il dirigeait le service de presse : « Qu’avais-je comme Français autour de moi ? Des Juifs lucides, une poignée d’aristocrates, tous les braves pêcheurs de l’île de Sein ».