L’île de Sein est un éperon rocheux d'à peine 1 km carré affleurant la mer d’Iroise et prolongeant la pointe du Raz. Elle est donc au bout du Finistère. Mais en juin 1940, alors que la IIIe République s’effondre et qu’émerge d’une part le régime de Vichy, d’autre part la France libre du général de Gaulle qui, de Londres, entend poursuivre le combat, elle se trouve au cœur de la bataille de l’Atlantique. C’est bien cette proximité géographique qui, en premier lieu, explique le départ de 128 Sénans pour l’Angleterre. L’historien J.F. Muracciole le rappelle d’ailleurs très clairement : « dans le contexte politique et militaire de l’été 1940, il était beaucoup plus facile à un jeune Breton qu’à un jeune Pied Noir de rejoindre Londres et de s’engager dans les FFL ».
Car en ce printemps 1940, l’isolement de l’île est tout relatif. Certes, la mobilisation générale, décrétée en septembre 1939, la prive de bon nombre de ses hommes en âge de porter les armes, ou plutôt de servir dans un bâtiment de la Royale. Mais l’île n’est pas étrangère aux pulsions du monde. A partir du 10 mai 1940, et de la percée allemande dans le secteur de Sedan, la situation se crispe et les communications deviennent de plus en difficiles, signe d’un climat dégradé sur le champ de bataille. Le courrier n’arrive que deux fois par semaine et les journaux, notamment La Dépêche de Brest, sont donc toujours passablement en retard par rapport aux événements. Les Sénans suivent néanmoins à la radio le désastre de la Campagne de France et apprennent au cours du mois de juin la chute de Rennes, puis de Brest. Ils voient également de nombreux navires transiter par leur île et refluer vers l’Angleterre : dans bien des cas il ne s’agit pas encore de « résister » mais de fuir l’ennemi.
Le 22 juin 1940, les Sénans apprennent du gardien du phare d’Ar-Men que l’appel d’un général français sera rediffusé le soir même par la BBC, la radio anglaise. Il s’agit d’un officier français quasiment inconnu, éphémère sous-secrétaire d’Etat à la Guerre et à la Défense nationale du dernier gouvernement dirigé par Paul Reynaud – le dernier de la IIIe République – resté en poste seulement dix jours. Son nom ? Charles de Gaulle.
A l’écoute du message, la décision est rapidement prise de rallier l’Angleterre et de poursuivre le combat aux côtés du général de Gaulle. Cinq navires sont disponibles dans le port – le Velleda, le Rouanez ar Mor, le Corbeau des mers, le Marius Stella ainsi que le Rouanez ar Péoc’h – et les départs s’échelonnent entre le 24 et le 26 juin 1940 : au total, 128 Sénans, âgés de 14 à 54 ans, quittent leur île et leurs familles. Les survivants de la France libre ne la reverront pas avant 1945.
Les Allemands arrivent pour leur part sur l’île de Sein dans les premiers jours du mois de juillet 1940. Minuscule, ce territoire n’en constitue pas moins un site stratégique de grande importance : avec ce caillou, c’est tout le trafic sur la chaussée de Sein qui est contrôlé et, par extension, l’arrivée sur Brest. Véritable tête de pont défiant l’Angleterre, l’île constitue une sorte d’avant-garde de la Kriegsmarine en Atlantique. C’est pourquoi elle est minée et jonchée de barbelés, afin de prévenir toute tentative de débarquement. Sans surprise, la réglementation imposée par l’occupant est drastique.
Pour les 128 Sénans ayant fui, c’est le début d’un gigantesque saut dans l’inconnu. La traversée s’effectue sans difficultés notoires : il est vrai que ces marins sont rompus aux rudesses de la Manche. Arrivés en Angleterre, ils sont d’abord affectés au service du Courbet, un cuirassé construit à Lorient qui, ayant participé à la Grande Guerre, se replie en juin 1940 à Portsmouth où il est finalement réquisitionné par les Britanniques pour servir à la défense antiaérienne de la ville.
Quelques jours plus tard, le 7 juillet 1940, les 128 Sénans sont envoyés à l’Empire Hall de Londres pour être présentés au général de Gaulle, chef de la récente et alors groupusculaire France libre. Si cette dernière entend incarner « la France éternelle » face à celle de Vichy, dirigée par le maréchal Pétain, elle n’en repose pas moins, en cette fin du mois de juin 1940, que sur quelques petites centaines d’hommes. C’est d’ailleurs cette réalité statistique qui aurait conduit l’homme du 18 juin à déclarer devant ces marins bretons : « Sein est donc le quart de la France ! ».
Les 128 français libres de l’île de Sein connaissent des destins contrastés. Beaucoup combattent au sein des Forces navales françaises libres. Âgé de 14 ans en juin 1940, et le plus jeune de tous, Louis Fouquet sert d’abord sur le contre-torpilleur Léopard, chargé de la protection des convois transatlantique vers l’Angleterre, puis est affecté sur le Maréchal Galliéni, un paquebot de la Compagnie des Messageries maritimes transformé en transport de troupes. Âgé de 18 ans en juin 1940, Clet Chévert sert d’abord sur une vedette rapide, sous les ordres du futur amiral Philippe de Gaulle, fils du Général, avant d’être affecté à L’Escarmouche, une frégate chargée notamment de la protection du Débarquement de Normandie. D’autres sont incorporés chez les fusiliers marins et, à ce titre, combattent en Afrique avant de participer à la Campagne d’Italie puis à la reconquête de la France, du débarquement de Provence jusqu’à la Libération de Strasbourg. Sur les 128 îliens partis en juin 1940, 18 manquent à l’appel lors du retour à Sein.