Déclin de Penmarc’h, mythe et réalité

Auteur : Serge Duigou / novembre 2016
La fin du XVIe siècle est une période désastreuse pour la Bretagne, en proie aux guerres de la Ligue de 1589 à 1598. Reprise et amplifiée par les écrivains-voyageurs du XIXe siècle, la tradition orale veut qu’à la pointe du Cap-Caval, la populeuse ville de Penmarc’h et son port aient sombré à cette occasion. Mythe ou réalité ?

Navire sculpté portail de l'église Saint-Nonna - OT de Penmarc'h
Tout au long de la première moitié du XVIe siècle, le nom de Penmarc’h résonne familièrement aux oreilles des populations maritimes de la façade atlantique. Ses marins sont reconnus comme de hardis pêcheurs de congres, juliennes et merlus et de valeureux rouliers des mers. Ils dominent le transport du vin de Bordeaux et du pastel de Toulouse (une plante tinctoriale qui donne un bleu recherché par les maîtres tapissiers) des rives de la Garonne vers les grands centres urbains de l’Europe du Nord. En 1533-1534, sur 980 navires qui entrent à Arnemuiden, le plus important des avant-ports d’Anvers, 270 sont de Penmarc’h, qui s’affirme comme le grand port d’armement au commerce du littoral atlantique.

 

Retournement de conjoncture

À partir de 1540-1550, la conjoncture internationale porte un coup sévère à Penmarc’h. La construction d’une flottille de charge hollandaise, les guerres civiles aux Pays-Bas et en France, l’arrivée sur les marchés de l’indigo, concurrent direct du pastel sont autant de facteurs qui fragilisent le cabotage breton. Penmarc’h amorce un lent mais constant déclin.

Pillage par La Fontenelle

Ruine de la tour Saint-Gwenolé - OT de Penmarc'h

 

La dernière guerre de Religion, connue en Bretagne sous le nom de guerre de la Ligue, lui porte un coup fatal. En 1596 , La Fontenelle met le siège devant Penmarc’h. Ce chef de guerre impitoyable, partisan du duc de Mercœur, le gouverneur de la province et chef de la Ligue en Bretagne, combat officiellement les partisans d’Henri IV. En réalité, retranché dans son repaire de l’île Tristan à Douarnenez, il mène une politique de rapine et de dévastation qui met la Basse-Cornouaille en coupe réglée. Les habitants de Penmarc’h se retranchent dans leur église paroissiale et le fort de Kerbézec aux issues de Kerity, mais les mercenaires de La Fontenelle n’en font qu’une bouchée.

 

On peut accorder crédit au témoignage d’un contemporain, le chanoine Moreau, qui écrit : « Le butin de l’ennemi fut grand, car tous les plus riches dudit lieu, dont il y avait grand nombre […] perdirent tout ce qu’ils avaient, et surtout grande quantité de navires, bateaux et barques plus de trois cents de tous volumes, dans lesquels La Fontenelle ayant fait charger le butin, les fit rendre à son fort de Douarnenez. Je n’ai pas su le nombre de morts de Penmarc’h, tant il y a que la plupart de la tuerie fut dans l’église. » Moreau conclut, pessimiste : « De ce ravage de Penmarc’h demeura telle ruine qu’il ne pourra de cinquante ans relever ni possible jamais. »

Les malheurs de la pointe bigoudène ne s’arrêtent pas là. Les soudards de La Fontenelle stationnent une année entière à Kerity et on imagine quel sort funeste ils réservent à la population, et notamment aux femmes. Ils sont délogés en 1597 par les troupes du marquis de Sourdéac, le gouverneur de Brest. Les rescapés des tueries sont au même moment confrontés à la double calamité de la famine et d’une épidémie de peste.

Une renaissance difficile

À l’aube du XVIIe siècle, l’agglomération de Penmarc’h n’est plus que l’ombre d’elle-même. C’en est fini de sa brillante vocation maritime ; sa fière flottille de carvelles (des navires de transport de 60-80 tonneaux) a sombré ; ses marins désertent les ports ou avant-ports de Londres, Bristol, Bruges ou Anvers.

Pour autant, contrairement à ce qui a pu être écrit, Penmarc’h ne disparaît pas tout à fait, encore peuplé de quelque 3 000 habitants dans les années 1600-1610. Ses capitaines-marchands arment une flottille de transport et de pêche qui s’efforce de faire renaître le port de ses cendres. Mais le ressort est cassé, les capitaux font défaut, nombre de survivants ont fui ces contrées aux odeurs de désolation. En 1640, on dénombre seulement six entrées de navires penmarchais à Bordeaux, navires au tonnage dérisoire, entre dix et vingt tonneaux. La décadence apparaît dans toute sa cruauté. Ces barques développent un modeste cabotage entre Saint-Jean-de-Luz et les côtes bretonnes, débarquant merlus et blés, embarquant vin et sel. Une misère au regard des années fastes.

La sombre prédiction du chanoine Moreau s’avéra juste : Penmarc’h ne se releva pas des malheurs de la fin du XVIe siècle. Il fallut attendre 1870 et l’implantation des premières conserveries à Kerity et surtout Saint-Guénolé pour qu’elle sorte enfin de son marasme.

CITER CET ARTICLE

Auteur : Serge Duigou, « Déclin de Penmarc’h, mythe et réalité », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 29/11/2016.

Permalien: http://bcd.bzh/becedia/fr/declin-de-penmarch-mythe-et-realite

Bibliographie

Ouvrage général

  • Le Goff Hervé, La Ligue en Bretagne. Guerre civile et conflit international (1588-1598), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010, 576 p.

Histoire de Penmarc’h

  • Quiniou François, Penmarc’h, son histoire, ses monuments, Ar Vorenn, 1984.
  • Montfort Rémy, Penmarc’h à travers ses historiens, Penmarc’h, 1985.
  • Duigou Serge, Les mystères de Penmarc’h, Éditions Ressac, 1994.
  • Duigou Serge, Le BoulangerJean-Michel, Histoire du Pays bigouden, Éditions Palantines, 2002.

Sources

  • Mémoire du chanoine Jean Moreau sur les Guerre de la Ligue en Bretagne, publié par Henri Waquet, Quimper, Archives départementales, 1960, 313 p.
  • Brousmiche Jean-François, Voyage dans le Finistère, 1829, 1830 et 1831, Réédition Morvran, 1977.

Proposé par : Bretagne Culture Diversité