Fils d’un ingénieur des Ponts et Chaussées, Émile Souvestre est né en 1806 à Morlaix. Il obtient une bourse pour le collège royal de Pontivy (1818), avant de poursuivre des études de droit à l’université de Rennes (1824) puis de gagner Paris (1826). Parallèlement il s’intéresse à la poésie, collabore au Lycée armoricain de l’imprimeur nantais Mellinet qui, en 1828, l’engage comme commis de librairie. Avocat à Morlaix (1832), il s’installe ensuite comme journaliste à Brest, puis occupe, en 1836, un poste dans l’enseignement à Mulhouse dont il démissionne pour rejoindre Paris. Là, il cherche à se faire une place dans les milieux littéraires, et, après des premiers essais poétiques, dès 1829, aborde le théâtre.
Souvestre collabore au Magasin pittoresque et à la Revue de Bretagne qui voient le jour en 1833. Dès lors, il multiplie les articles sur la Bretagne, et celui consacré aux « Poésies populaires de la Basse-Bretagne » dans le numéro du 1er décembre 1834 de la Revue des Deux Mondes, est pour beaucoup une révélation. « Cela m’a enthousiasmé [...]. Quel trésor admirable et complètement inconnu », écrit, le 6 janvier 1835, Montalembert à Lamennais. Souvestre vient attester l’existence en Bretagne de chants narratifs à caractère historique (les gwerzioù) que l’on recherchait en vain depuis plusieurs décennies dans l’Hexagone où, par défaut, l’on avait dû se contenter de la traduction de recueils étrangers. Souvestre ne donne pourtant que des traductions françaises de quelques chants, dont celui de « L’Héritière de Keroulas », sans doute emprunté à Aymar de Blois.
Il reprend la matière de ses articles dans Les Derniers Bretons, ouvrage en deux volumes qui paraît en 1836, année où il propose également Le Finistère en 1836, une réédition commentée et annotée du Voyage dans le Finistère de Jacques Cambry. Mais son ouvrage le plus connu demeure, en 1844, Le Foyer breton : l’objectif de Souvestre est d’y proposer, pour les contes et légendes, un équivalent du Barzaz-Breiz de La Villemarqué pour le chant. Une fois encore, Souvestre joue un rôle prépondérant : premier ouvrage en Bretagne consacré à la prose narrative, Le Foyer breton restera pendant un quart de siècle l’exemple à suivre en la matière, et déclenchera la vocation de futurs collecteurs tels que Paul Sébillot et Adolphe Orain. S’il affirme sa fidélité à la source à laquelle il dit avoir recueilli ses différents récits – il parle même de la nécessité de « sténographier un récit entrecoupé où le geste et l’inflexion avaient autant de valeur que la parole » – Souvestre a emprunté et arrangé, voire inventé, la plupart des récits de ces « Mille et Une nuits de la Bretagne ». Mais ce sont là des principes éditoriaux largement répandus à l’époque, qu’un Luzel suivra encore, jusqu’en 1869, pour ses premières publications de contes. Dans une volonté affirmée de mise en scène, Souvestre inscrit chaque récit dans un « pays » – l’un des anciens évêchés bretonnants – et l’attribue à un personnage, ce qui lui permet de brosser une galerie de portraits pittoresques. Il est habituel, dans la presse de l’époque, de publier des feuilletons où le récit, souvent quelque peu dramatique, s’inscrit dans le cadre d’une vie quotidienne parfois décrite avec soin. Il convient également de souligner que Le Foyer breton, comme Le Finistère en 1836 ou La Bretagne pittoresque (1841) sont des ouvrages qui font la part belle à l’illustration. Parmi les artistes sollicités, certains travaillent aussi pour le Magasin pittoresque, ou pour La Mosaïque de l’Ouest (1844-1847) dont Souvestre est le rédacteur en chef et son ami Prosper Saint-Germain, le directeur artistique. Cela participe bien entendu à la construction d’une image de la Bretagne.
Émile Souvestre a publié quantité d’ouvrages et d’articles (romans, pièces de théâtre, poésies, critiques...), qui lui ont valu une réelle notoriété en France et à l’étranger où ses ouvrages sont traduits en anglais et en allemand. Si l’on excepte Le monde tel qu’il sera (1846), un curieux roman d’anticipation, sans doute le premier du genre en France, ou Un philosophe sous les toits (1850), on ne lit plus guère de Souvestre que pour ses ouvrages sur la Bretagne. À défaut d’être collecteur, Souvestre est un vulgarisateur qui joue un rôle essentiel dans la prise de conscience par les milieux lettrés, ceux de la capitale notamment, de l’existence en Bretagne d’une culture populaire de tradition orale d’une grande richesse. « Ce livre, écrit Anatole Le Braz, en introduction aux Soniou Breiz Izel de Luzel (1890), à propos des Derniers Bretons, fit époque dans l’histoire de nos mœurs, de nos traditions, de nos chants. Il eut le mérite de révéler la Bretagne à la France, d’attirer l’attention sur la plus originale des provinces françaises. Il écrivit en particulier, sur notre littérature orale et sur nos mystères, des chapitres presque définitifs ».
Souvestre, dont il convient de souligner les convictions républicaines et sociales – il fut saint-simonien au début des années 1830 – est mort à Montmorency en 1854.