Installé à La Roche-Derrien à la fin des années 1760, Jean Toudic est l’un des rares épiciers bretons à avoir laissé derrière lui un livre de comptes permettant de suivre, dix années durant, le rythme quotidien de ses activités. Au cœur du Trégor, ce commerçant débite des marchandises diverses, allant du savon, au sel en passant par la poix – utilisée comme imperméabilisant –, la morue, les épices, les fruits secs et les denrées coloniales comme le sucre, le café et le thé. Elles font de sa boutique un endroit où l’on semble pouvoir trouver de tout, et ce d’autant plus qu’au fil des années, Toudic acquiert de nouveaux produits : du beurre, du fromage, différents types d’huile, des matériaux utilisés comme pigments, de la laine, du coton, mais aussi du charbon de terre et du fer.
Au-delà de cette diversification, le livre de comptes témoigne d’une progressive pénétration des denrées ultramarines dans le quotidien des Trégorois. En effet, entre 1770 et 1779, on observe une nette augmentation des quantités de sucre, de café et de thé débitées par l’épicier. Alors que ses clients – dont beaucoup sont probablement détaillants et dont près d’un tiers sont des femmes – achetaient en moyenne deux fois par an une vingtaine de livres de sucre et de café en 1770, ils quittent sa boutique avec plus de cinquante livres de sucre et une soixantaine de livres de café dix ans plus tard, leurs visites étant également plus fréquentes. Les ventes de thé progressent mais dans une mesure moindre. Toudic vend un peu plus de thé bouy et davantage de thé vert (bien plus cher), mais sa clientèle reste limitée à quelques individus. Cette croissance des quantités débitées traduit indéniablement une diffusion plus large des produits coloniaux dans les campagnes du Trégor. On est encore loin d’une « consommation de masse » comme cela a pu être observé en Angleterre, mais les habitants connaissent désormais au moins un peu la saveur des denrées venues d’outre-mer. Parallèlement, un produit sucré et traditionnellement consommé dans les campagnes comme le miel, reste présent dans les consommations courantes. Et Toudic l’a bien compris. Il ne manque pas d’investir son argent dans cette production au cours des années 1770.