À partir de la fin des années 1950 et au cours des années 1960, de grandes structures d’aménagement du territoire sont mises en place par l’État. Elles accompagnent les perspectives du plan quinquennal de 1962, qui oriente la société française vers la consommation de masse. La mission Racine (de son nom officiel : Mission interministérielle d’aménagement touristique du littoral du Languedoc-Roussillon) et la MIACA (Mission interministérielle d’aménagement de la côte aquitaine) sont suivies avec attention par le gouvernement. D’autres programmes d’aménagement sont également portés par les élus locaux : la Société d’Aménagement Touristique du Morbihan (SATMOR) est l’un d’entre eux.
Ne pas rater le virage du sport à la mode : le nautisme
Plusieurs conditions favorables sont réunies pour l’essor du nautisme en France dans les années 1960 : une augmentation du temps libre et du revenu moyen, un développement des centres d’apprentissage avec la création d’écoles de voile et de centres nautiques, l’utilisation de nouveaux matériaux (contreplaqué, polyester) permettant de construire des bateaux en série et donc à meilleur prix. La médiatisation des régates océaniques suscite l’intérêt du grand public : en 1964, Éric Tabarly, jeune officier de marine encore inconnu, remporte la Transat anglaise sur Pen Duick II, victoire aujourd’hui présentée comme un tournant en France pour la course au large.
Les stations balnéaires comprennent l’avantage qu’elles peuvent tirer de cette activité en expansion. Le premier port dédié uniquement à la plaisance est édifié en 1964, à Cannes, par le promoteur Pierre Canto. La même année, la société Paul Ricard crée le port Saint-Pierre sur l’île des Embiez. S’annonce une période d’environ quinze ans d’intenses collaborations entre les services de l’État, les collectivités territoriales et les promoteurs privés. En 1950, le nombre de bateaux de plaisance s’élève à environ 20 000 en France. Un quart de siècle plus tard, il atteint les 320 000.
En 1965, la Société d’aménagement touristique du Morbihan (SATMOR) est créée sous l’impulsion du président du Conseil général du Morbihan, Raymond Marcellin, et du sénateur-maire de Quiberon, Victor Golvan. Ses actionnaires majoritaires sont le Conseil général et la Caisse des dépôts et consignations. Elle peut être sollicitée par les collectivités territoriales pour aménager et gérer les futures concessions des ports de plaisance. À ses débuts, seules les communes de Carnac et de La Trinité-sur-Mer font appel à ses services, avant d’être rejointes par celles d’Arzon et de Quiberon.
Des aménagements touristiques progressivement en porte-à-faux
La SATMOR travaille à augmenter les structures d’accueil intégrées dans un cadre national, à favoriser le développement d’un habitat pouvant convenir à des retraités afin de prolonger la saison touristique et à garantir à la population du travail pendant des années, tout en enrayant l’exode rural. Ces opérations immobilières s’inspirent de l’esprit qui anime l’aménagement de la côte languedocienne à l’époque : agencement d’un lieu où l’espace « vierge » ne manque pas, concentration de l’urbanisation sur certains points du littoral, végétalisation des espaces urbanisés, développement de la plaisance.
Ces grands projets d’aménagement rencontrent toutefois rapidement l’hostilité, en particulier dans les années 1970, au nom de la protection de la nature et du cadre de vie. Les projets sont imposés à la population, qui les critique vivement. En 1968, le commissaire-enquêteur parle d’une assemblée houleuse quand il présente le projet Kerjouanno-Le Crouesty mais, après deux heures d’explications, il estime qu’il y a une nette majorité d’acquise, ce qui le conduit à produire un avis favorable. Le comité de défense de la presqu’île de Rhuys se met alors en place, avec la Société pour l’étude et la protection de la nature en Bretagne (SEPNB, actuelle Bretagne Vivante), des élus et des citoyens, pour annuler le projet de Penvins (village de Sarzeau) et modifier celui d’Arzon. Durant l’été 1970, un tract dénonce la « main basse sur la presqu’île ». La SATMOR est ainsi présentée dans le journal Le Peuple breton comme une menace sur Guidel, Erdeven, Arzal, Ploërmel, article qui donne lieu à une condamnation judiciaire de ses auteurs… La SATMOR fait face à de nombreux recours en justice. En 1975, un incendie détruit même le bâtiment de vente des Remparts de Kerjouanno.
La SATMOR parvient tout de même à mener divers projets : La Trinité-sur-Mer (1962-1969), Port-Haliguen (Quiberon, 1968), le port du Crouesty (1974), Port-Blanc (1975), Arradon (1976)... Elle défend son modèle économique original en réclamant, en 1978, à l’Institut de gestion des entreprises commerciales de Lorient une étude d’impact des ports de plaisance sur l’économie locale. Celle-ci conforte les municipalités dans le choix d’une économie basée sur le tourisme, notamment en ce qui concerne les retombées en termes d’emploi. Mais, confrontée à de lourdes dettes, la SATMOR est menacée. Elle disparaît en 1982, remplacée par deux structures : la Société anonyme de gestion et des équipements du Morbihan (SAGEMOR) – remplacée depuis 2012 par la Compagnie des ports du Morbihan, une société publique locale –, et la Société d’aménagement du Morbihan (SAM), qui récupère quelques dossiers d’aménagements lourds qu’elle concrétise pour partie jusqu’à sa disparition en 1995.