L’exil breton

Auteur : Erwan Chartier / novembre 2016
Les Bretons ont la réputation d’être voyageurs et, depuis des siècles, on retrouve un peu partout dans le monde des explorateurs, marchands, militaires ou missionnaires originaires de la péninsule. L’émigration bretonne a également été plus massive vers d’autres régions, comme l’Île-de-France, le Périgord ou New York.

Les migrations bretonnes constituent un phénomène complexe aux aspects multiples qui prend ses racines dans une histoire ancienne. La péninsule doit ainsi son nom à des émigrés, les Bretons, venus d’outre-Manche à la fin de l’Antiquité et au début du Moyen Âge, même si, en l’absence de sources, l’ampleur de cette migration reste difficile à appréhender.

Tombe d’un prêtre breton dans l’église Saint-Yves des Bretons à Rome. Photo : Erwan Chartier
À la fin du Moyen Âge , on observe l’existence de communautés bretonnes à l’extérieur du duché, dans les grandes villes du royaume de France comme Paris, Angers ou Chartres. On y trouve des Bretons à tous les niveaux de la société, étudiants venus dans ces villes faute d’université bretonne (comme Bernard de Moëlan à Chartres) ou migrants d’origine modeste exerçant d’humbles métiers. Ils sont aussi présents en tant que marins ou commerçants à l’extérieur du royaume, comme en Andalousie, ou dans les grands ports européens à l’instar de Bordeaux ou de Bruges. De nombreux marins bretons séjournent ainsi dans cette cité flamande, certains connaissant des destins étonnants tel l’imprimeur Jean Brito, originaire de Pipriac, devenu un notable brugeois.

 

Dans le monde entier

À partir du XVIe siècle, l’émigration bretonne va suivre les aléas de la politique coloniale française. Région maritime, la Bretagne voit ses ports profiter du développement des possessions outre-mer. Fréquentant les bancs de pêche de l’Atlantique nord, les Bretons sont ainsi nombreux à s’installer dans les colonies américaines, particulièrement au Québec, reconnu par le Malouin Jacques Cartier dans les années 1530. La présence de leurs descendants est toujours notable à Saint-Pierre-et-Miquelon.

 

De même les Bretons s’investissent dans les colonies antillaises, et particulièrement la plus riche d’entre elles sous l’Ancien Régime : Saint-Domingue, devenue Haïti. Après son indépendance, les Bretons continuent d’y jouer un rôle important puisque, au XIXe siècle, le Vatican confie à des religieux bretons, et particulièrement aux frères de Ploërmel, la mission de former un clergé autochtone. Le souvenir des Bretons est particulièrement présent dans l’archipel des Saintes, dont une bonne partie des habitants ont des origines dans la péninsule. On retrouve également des missionnaires d’origine bretonne un peu partout dans le monde, notamment en Afrique avec le développement de l’empire colonial français.
Encart publicitaire pour la colonie de Port-Breton dans le Pacifique, paru dans la revue La Nouvelle France : Journal de la colonie libre de Port-Breton, Océanie, 15 novembre 1881. Crédit : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JO-3094

Nombre de Bretons s’illustrent également dans l’expansion militaire et coloniale française, comme René Madec aux Indes, Charner en Indochine ou Bouët-Willaumez en Afrique de l’Ouest. En marge de la politique coloniale française, quelques tentatives de colonies bretonnes de peuplement échouent au XIXe siècle. Un projet commun avec les Gallois vers la Patagonie en 1865, soutenu par le poète Charles de Gaulle, fait ainsi long feu. Des centaines de Bretons émigrent cependant vers l’Argentine, dans d’autres régions que celles où les Gallois s’installent à la fin du XIXe siècle. Quant au projet de Port-Breton , en Papouasie, il se solde par un scandale financier retentissant.

Émigration intérieure

Sans prendre en compte les destins particuliers, l’implantation de Bretons sur d’autres continents ne revêt pas de caractère massif, à l’exception de New York  au début du XXe siècle. En revanche, l’émigration bretonne apparaît souvent comme un phénomène de masse dans d’autres régions françaises, particulièrement entre 1850 et 1950. La Bretagne connaît alors une forte poussée démographique. Région restée rurale, son sous-développement industriel provoque une émigration économique importante.

Devant le local de l’Amicale en 1958. Photo : Collection Amicale des Bretons de Saint-Denis. amicale@bretons-st-denis.fr
Ces mouvements de populations concernent en premier lieu la région parisienne. Les femmes trouvent souvent de l’engagement comme domestiques, le personnage de Bécassine en venant à incarner le stéréotype de la « bonne bretonne ». D’autres sombrent dans la prostitution. Les hommes trouvent de l’emploi dans les usines de la couronne parisienne et Saint-Denis  devient ainsi l’une des plus grandes villes bretonnes. Beaucoup de Bretons de la banlieue participent, dans l’entre-deux-guerres, à la montée en puissance du parti communiste français, dont l’un des leaders, Marcel Cachin, est originaire du Goëlo. Nombre de ces Bretons divroet (émigrés) rejoignent les brigades internationales puis la Résistance. Communistes et catholiques tentent d’ailleurs jusqu’à une époque récente de structurer cette émigration. L’abbé Cadic anime ainsi une paroisse bretonne à la fin du XIXe siècle. La Mission bretonne, créée par l’abbé Élie Gautier en 1947 et animée par son successeur le père Le Quemener, outre son rôle culturel, a eu une fonction d’accueil non négligeable après la Seconde Guerre mondiale. Le PCF a également eu ses organisations comme celle des Bretons émancipés des années 1930.


L’émigration bretonne a aussi été particulièrement importante au Havre , siège de l’une des plus anciennes amicales (50 000 des 180 000 habitants du Havre sont d’origine bretonne), et dans le Périgord, où l’office de Landerneau encourage, dans les années 1920, des paysans à s’installer sur des territoires délaissés. Les Bretons sont également présents dans les deux grands ports méditerranéens de Marseille et Toulon, surnommé dans l’entre-deux-guerres Kermoco (de « ker », maison en breton et « moco », surnom donné aux habitants du sud de la France).

Prestation du bagad lors de la venue du général De Gaulle juillet 1960. Au fond avec une casquette de marin, Mr Colleter très dévoué au groupe qui fabriquait lui-même nos anches. Photo : Association des Bretons du Havre.
Malgré une émigration importante aux XIXe et XXe siècles, les Bretons n’ont pas vraiment constitué de diaspora, comme celle des Irlandais d’Amérique, à l’exception peut-être des réseaux bretons de Paris (on estime à un million le nombre d’habitants d’Île-de-France ayant une origine bretonne). Néanmoins, depuis deux décennies, des efforts réels de structuration des Bretons exilés sont observables.

CITER CET ARTICLE

Auteur : Erwan Chartier, « L’exil breton », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 17/11/2016.

Permalien: http://bcd.bzh/becedia/fr/l-exil-breton

BibliographiE

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  • Le Moal Marcel, L’Émigration bretonne, Spézet, Coop Breizh, 2013, 560 p.
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  • Michel Joseph, Missionnaires bretons d’outre-mer, xixe-xxe siècles, Rennes, PUR, 1997, 302 p.
  • Violain Didier, Bretons de Paris. Des exilés en capitale, Paris, Éditions Parigramme, 1997, 153 p. (réédition Les beaux jours, 2009).

Articles

  • Bernard Lysiane, « L’émigration "américaine" de la région de Gourin et ses conséquences géographiques », Norois, 1962, volume 34, n° 1, p. 185-195.
  • Chédeville André, « L’immigration bretonne dans le royaume de France du xie au début du xive siècle », Annales de Bretagne, 1974, volume 81, n° 2, p. 301-343.
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  • Le Gall Myriam, « Le rêve américain. L’émigration bretonne de 1880 aux années 1930 », revue Kreiz Breizh, n° 7, 3e trimestre 2003.
  • Madec Annick, « Le cas des Bretons de Paris », Ethnologie française, vol. 41/2, 2011, p. 333-341.
  • Perrono Thomas, « Les Bretons de Paris face au concept de diaspora », Enenvor, 2013.
  • Raynaudon-Kerzerho Maïwenn, « Pourquoi tant de Bretons ont émigré ? », Bretons, mars 2013, n° 85, p. 33-38.

Proposé par : Bretagne Culture Diversité