La chapelle Saint-Joseph, une création bretonne moderne

Auteur : Jean-Jacques Monnier / novembre 2016
Peu connue du grand public, la chapelle du collège Saint-Joseph à Lannion, édifiée dans les années 1930, mérite pourtant le détour. Elle nous apprend beaucoup sur le réveil culturel et artistique breton du xxe siècle, notamment dans le cadre de l’association des Seiz Breur (Sept Frères).

Historique

Au XIXe siècle, la petite chapelle de l’ordre des Capucins édifiée au début du XVIIe siècle est utilisée par les Frères des écoles chrétiennes et leurs élèves. Au début du XXe siècle, les Frères sont expulsés du fait des lois laïques. En 1907, les prêtres séculiers, enseignants du Petit séminaire de Tréguier confisqué par l’État, viennent s’installer dans les locaux vacants de Lannion. Devenu l’institution Saint-Joseph, le nouvel établissement prospère. La chapelle existante s’avère trop petite. On fait appel à un architecte local, James Bouillé, installé à Perros-Guirec, membre des Seiz Breur depuis 1928 et fondateur en 1929, avec Xavier de Langlais, de l’Atelier breton d’art chrétien. Ils pourront travailler beaucoup plus librement que dans une église paroissiale, sans la pression de l’opinion publique.

L’Atelier breton d’art chrétien fonctionne comme une confrérie de bâtisseurs du Moyen Âge regroupant tous les corps de métier. Il donne la priorité aux artisans locaux : les Trégorrois Kerambrun pour la maçonnerie, Le Bozec pour la sculpture, Le Merrer pour l’ébénisterie, Garzunel et Le Mercier pour la ferronnerie, les frères Rault (de Rennes) pour les vitraux. Tout est créé ex nihilo et réalisé entre 1936 et 1937.

Le porche d’entrée de la Chapelle Saint-Joseph de Lannion - photo Philippe Carvou

 

Modernisme

Dès l’extérieur, on remarque l’ensemble monumental harmonisé : le porche qui s’ouvre au Nord alterne granit blanc et schistes foncés. Il est précédé d’un parvis de grandes dalles de schiste en « pierre de Lannion » bleu-vert. La grande porte de chêne est percée de pavés de verre jaunes pour éclairer l’intérieur. Au-dessus, un Christ-Roi en béton bicolore étend les bras et s’inscrit en partie dans une croix celtique.
À l’intérieur, on est saisi par les formes, la lumière, les couleurs. La voûte, très légère, est en ellipse. Les arcs paraboliques sont en béton armé bleu pervenche, séparés par des espaces jaunes. Le vaisseau lui-même est bleu marine. Avec la clarté qui émane à la fois des vitraux, des lucarnes triangulaires et des couleurs, on est très loin de l’église bretonne traditionnelle. On a construit un univers frais et joyeux adapté aux jeunes qui fréquentent alors la chapelle pour la messe obligatoire du matin. Les vitraux sont constitués de larges dalles de verre teinté dans la masse – surtout de bleu et de jaune – et serties dans des mailles de ciment : une technique totalement nouvelle à l’époque.

La décoration n’est pas en reste : l’architecte a créé le dessin des carrelages de la nef comme du chœur, en les harmonisant avec les couleurs utilisées à l’intérieur du bâti, notamment pour la voûte. Il a dessiné les deux chaires en granit de Ploumanac’h et les fers forgés, l’exécution étant confiée à des artisans locaux. Pour la décoration de l’intérieur, le peintre, poète et romancier Xavier de Langlais (1906-1975), professeur aux Beaux-Arts de Rennes, a su se mettre au diapason de cette ambition. Derrière le chœur, il a réalisé une grande fresque murale qui décore le chevet. Elle évoque l’hommage d’enfants et de scouts à la sainte Famille, avec des dominantes pastel. On est surtout saisi par le Chemin de Croix, une peinture à l’huile très expressionniste réalisée sur de la toile marouflée. Les visages, doux, agressifs ou poignants de douleur, sont traités comme dans certaines bandes dessinées modernes, avec un mélange étonnant de haine et de compassion. Les scènes de la Passion prennent une réalité très forte.
Le non-conformisme de l’architecte s’exprime ailleurs également : faute de place dans le prolongement de la nef, le clocher est sur le côté, sa flèche est en béton, l’embase en pierre abrite la sacristie. En descendant quelques marches, on débouche dans une crypte avec un oratoire et une salle de réunion.

Fresque du chemin de croix de Xavier de Langlais (extrait) - photo Philippe Carvou

D’autres créations

James Bouillé et ses collègues ont aussi travaillé sur des édifices religieux à Glomel, Gouarec, Larmor-Pleubian, Loguivy-de-la-Mer, Rostrenen, Scrignac, Saint-Brieuc (Sainte-Thérèse). Xavier de Langlais a réalisé sept chemins de Croix, dont celui de Surzur. Mais la chapelle Saint-Joseph est celle qui concentre le plus d’innovations. C’est pourquoi le musée de Bretagne en a réalisé en 2000 une belle maquette en bois dans son cadre paysager pour une grande exposition consacrée au mouvement Seiz Breur. Elle est visible dans le fond de la chapelle.
Le chantier de Lannion marque le sommet de la carrière de Bouillé, qui s’est vu confier la maîtrise globale du projet. Il n’y a pas eu d’autre commande de cette ampleur et Bouillé est mort jeune, en 1945. Des édifices plus tardifs, comme l’église de Donges, reprendront certaines innovations architecturales et esthétiques des Seiz Breur.

Un étonnement persistant

Dans une petite ville de 6 000 habitants éloignée des grands axes, on a été capable de concevoir et de réaliser une création complètement originale, essentiellement avec des artisans locaux. L’architecte James Bouillé s’avère un concepteur audacieux, au fait des techniques les plus modernes. Il a réalisé un aménagement paysager et bâti d’ensemble, intégrant la chapelle à son environnement tout en jouant avec les contraintes (espace limité, vestiges de bâtiments plus anciens).
Même si des milliers de jeunes ont fréquenté (et fréquentent encore) les lieux comme, occasionnellement, leurs parents, peu se sont rendu compte du trésor qu’ils représentent. La chapelle est inscrite à l’inventaire des Monuments historiques depuis 1995 mais elle demeure privée et non classée. Cela rend le financement des travaux d’entretien et de restauration plus difficile – un appel aux dons privés est en cours – et limite l’accès au public.

L’intégration de la chapelle nouvelle à l’existant, avec la mise en valeur d’éléments anciens qui l’accompagne, demeure une belle leçon d’intelligence architecturale dans une Bretagne qui accumule souvent les échecs dans un domaine qui demande du temps, une vision à long terme et de l’argent.
Bien des guides touristiques français ignorent cette chapelle. Un peu comme si le local – présumé en retard ou au mieux exotique – ne saurait être ni novateur ni universel. Ici, on a une œuvre locale d’intérêt universel, ou au moins européen, qui se rattache à un mouvement artistique breton et ouvert.

CITER CET ARTICLE

Auteur : Jean-Jacques Monnier, « La chapelle Saint-Joseph, une création bretonne moderne », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 30/11/2016.

Permalien: http://bcd.bzh/becedia/fr/la-chapelle-saint-joseph-une-creation-bretonne-moderne

Bibliographie

  • Monnier Jean-Jacques, Caillebot Olivier, Histoire de Bretagne pour tous, Morlaix, Skol Vreizh, 1 livre + 4CD.
  • Le Couedic Daniel et Veillard Jean-Yves (dir.), Ar Seiz breur, 1923-1947, la création bretonne entre tradition et modernité, Rennes, Apogée-Musée de Bretagne, 2000 (réédition Palantines).

Vidéo

Proposé par : Bretagne Culture Diversité