La levée des 300 000 hommes : début de la guerre civile

Auteur : Anne Rolland-Boulestrau / novembre 2016
En février 1793 la Convention nationale décrète la levée de 300 000 hommes pour combattre sur le front de l’Est et du Nord-Est. Cette mesure rappelle la milice d’Ancien Régime et provoque l’hostilité de bien des départements français. Mais c’est dans l’Ouest que la contestation va prendre sa forme la plus radicale : la guerre civile commence alors et elle va durer trois ans.

En avril 1792, malgré l’avis de certains républicains, tel Robespierre, la France déclare la guerre à l’Empire. La guerre repose essentiellement sur l’engagement populaire. Malgré la victoire de Valmy, en septembre 1792, la Convention nationale, nouvellement élue, envisage un système de recrutement plus large, d’autant que les volontaires déjà sous les drapeaux peuvent quitter l’armée à compter de décembre 1792. Or les menaces extérieures perdurent.

La loi de février 1793

Les conventionnels adoptent de nouvelles lois, pour anticiper le problème de recrutement militaire et maintenir les capacités militaires du pays : c’est la levée des 300 000 hommes. Tous les départements doivent participer à cet effort de mobilisation, en fonction du nombre d’habitants et de leur précédente contribution à la levée de volontaires. Il concerne les hommes de 18 à 40 ans, célibataires ou veufs, sans enfants, désignés en fonction du nombre de recrues à trouver. Fini le volontariat, la levée s’apparente à l’ancienne milice, mise en place par Louvois sous Louis XIV, et dénoncée depuis par les cahiers de doléances de 1788-1789. Les régions de l’Ouest, du Centre et une partie du Sud-Ouest y furent toujours rétives et assez préservées au final par l’administration royale. La République établit une ponction assez inégalitaire entre départements : celui de Loire-Inférieure (Loire-Atlantique) doit fournir 7 327 hommes, celui de Maine-et-Loire 3 060 hommes, son voisin des Deux-Sèvres, bien moins peuplé, 5 920. Le tirage au sort est annoncé dans les chefs-lieux des districts angevins les 20 et 24 février 1793. Début mars, les premiers troubles hostiles à la levée des 300 000 hommes éclatent en Anjou, plus précisément dans les Mauges (le Choletais).

Carte d'après DUMONT (commandant Georges), étude de l'armée pendant la Révolution 1ère série : les volontaires de 1791, Paris, Charles Lavauzelle, 1914 & Jean-Paul Bertaud, Jacques Bertrand (conception graphique), Atlas de la Révolution Française T3, L'armée et la guerre, Paris, EHESS, 1989

Les débuts de l’opposition

En effet, le dimanche 3 mars 1793, les auberges de Cholet sont prises d’assaut et les conversations tournent autour du prochain tirage au sort. Peu à peu, les « jeunes gens », comme l’indiquent les témoins sur place, s’échauffent et annoncent qu’ils « ne tireraient pas ». La garde nationale essaie de maintenir l’ordre. L’administration du district appelle à l’aide ses collègues d’Angers. Elle n’est pas entendue. Les événements s’accélèrent brutalement à la fin de la journée et Poché, le commandant de la garde, est mortellement blessé. Sans prendre la mesure de cet événement, les autres districts annoncent le tirage pour les jours à venir. Ainsi, le district voisin de Saint-Florent-le-Vieil convoque-t-il tous les jeunes hommes pour le 12 mars 1793. Cette fois-ci, l’affrontement est immédiat, entre la garde nationale, les autorités du district et les ruraux venus des communes environnantes. Les papiers sont brûlés, un cri de ralliement s’impose : « Pas de tirage et vive nos bons prêtres ! ». L’affaire dépasse la seule levée des soldats.

Au même moment, d’autres insurrections ont lieu dans les départements voisins. Machecoul est investie le 11 mars et Savenay le 12. À Rennes, les domestiques, concernés par la levée, manifestent leur mécontentement. À Pontivy, des ruraux venus des paroisses voisines s’en prennent à des gardes nationaux. Le bilan est lourd : 25 insurgés sont tués. La Sarthe et la Mayenne n’échappent pas aux agitations et, déjà, certains futurs chefs chouans se font remarquer, tels Jean Chouan et ses frères, qui prennent les armes, eux aussi.

Les raisons de l’insurrection

Cette loi est contestée, dans sa forme même. Les hommes ne sont pas tous soumis au tirage : pour préserver les cadres administratifs de la République, les élus et les fonctionnaires ne tireront pas. Le remplacement est toujours possible pour les plus riches. Inégalité, impopularité, opposition traditionnelle à la milice dans ces régions, la République a sous-estimé les résistances. À cela s’ajoute la question de la Constitution civile du clergé (prêtres jureurs qui l’acceptent et prêtent serment contre prêtres réfractaires emprisonnés à Angers) qui met le feu aux poudres.

Dès le 13 mars 1793, des jeunes gens d’un petit village du district de Saint-Florent, Le Pin-en-Mauges, demandent conseil à Jacques Cathelineau, voiturier, petit notable connu de cette région, et exempté du tirage au sort (marié, il est père de 6 enfants). Celui-ci comprend qu’il faut vite fédérer les autres communes de la région, toutes hostiles à cette loi, et prend la tête d’une troupe grossissant au fur et à mesure qu’elle avance dans les Mauges. Les petites villes de la région sont prises les unes après les autres : Jallais, Chemillé, Cholet. Les communes s’organisent autour de « capitaines de paroisse », choisis pour leur capacité à entraîner les hommes au combat, pour leur intrépidité, et de chefs locaux, tels Stofflet, Lescure, d’Elbée, Charette…

Les républicains, dépassés, laissent le terrain aux insurgés, pensant avoir affaire à une révolte liée au tirage au sort. En réalité, leur analyse est totalement erronée. Cristallisées autour de la mobilisation, les frustrations économiques (avec la vente des biens nationaux qui échappe à la plupart des ruraux), les rivalités politiques (avec le nouveau découpage administratif et paroissial) et l’inquiétude religieuse due à la Constitution civile ont conduit l’Ouest à s’organiser bien avant le tirage au sort. Déjà, en 1791, en Vendée, en Anjou, en Bretagne, en Mayenne (du côté de Pontmain par exemple), des processions nocturnes ont lieu dans les campagnes, signes évidents de l’attachement au clergé traditionnel. Des élections de conseils municipaux reflètent aussi des malaises profonds. Quand elle a lieu, l’installation des curés jureurs dans les paroisses rurales se passe mal et est souvent éphémère. À Vannes, des milliers de paysans se rassemblent en janvier 1791, pour soutenir leur évêque, hostile à la Constitution civile du clergé et sous pression de la garde nationale. Dans ce diocèse d’ailleurs, bien des curés « réfractaires » refusent de laisser les paroisses aux « intrus ». Tout conduit à une escalade de violences et la levée des 300 000 hommes est le dernier sujet de mécontentement qui entraîne tout un pays dans la guerre civile.

CITER CET ARTICLE

Auteur : Anne Rolland-Boulestrau, « La levée des 300 000 hommes : début de la guerre civile », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 10/11/2016.

Permalien: http://bcd.bzh/becedia/fr/la-levee-des-300-000-hommes-debut-de-la-guerre-civile

Liens

Bibliographie

  • Dupuy Roger, Les Chouans, collection « La vie quotidienne », Paris, Pluriel, Hachette, 1997. Gérard Alain, Pourquoi la Vendée ?, Paris, Colin, 1990.
  • Martin Jean-Clément, La guerre de Vendée en 30 questions, La Crèche, Geste éditions, 1996.
  • Rolland-Boulestreau Anne, Cathelineau généralissime de l’armée vendéenne (1759-1793) en 30 questions, Geste éditions, 2001.

Proposé par : Bretagne Culture Diversité