La pomme en Bretagne avant 1960

Auteur : Jean-François Aubert / mars 2019

Pour une grande partie de la Bretagne, le pommier est l’arbre fruitier par excellence grâce à sa simplicité de culture et à sa bonne adéquation au sol et au climat doux et humide. Les terres issues de la dégradation du granit (le grou, autrement appelé le péré) produisent des pommes riches en sucre et de très bonne qualité. Certains terroirs ou crus étaient recherchés, comme celui de la vallée de la Rance dont les pommes étaient expédiées par « barques » aussi bien dans le Trégorrois qu’à Jersey. À Paimpol existe le « quai aux pommes ».

Avant 1960, les pommes sont la production agricole qui rapporte le plus. Leur vente permet de payer le fermage, les impôts et, dans les bonnes années, de construire un bâtiment ou d’acheter du matériel. Dans la région de Lamballe, elle permet d’acheter les premiers tracteurs. La valeur d’une terre, d’une ferme est ainsi basée sur le nombre, la taille, la vigueur des pommiers. Ils sont alors plantés dans tous les champs cultivés, surtout en Haute-Bretagne et dans le sud de la Basse-Bretagne. Sur les photos aériennes de 1950-1952, tous les petits points dans les champs représentent des pommiers, une véritable forêt. C’était, avec les haies, un élément très fort dans le paysage.

La collation sous les pommiers, carte postale. Le Carton voyageur : AA00000172.L’agriculteur prend soin de ses arbres. Lors des labours d’automne, à l’approche du pommier, la charrue est couchée sur le côté pour ne pas abîmer les racines. La récolte, la vente des pommes, la pilerie, la plantation du pommier, son greffage... rythment la vie rurale. Le greffage se pratique le lundi de Pâques. Pourquoi ? Faut-il y voir une métaphore du renouveau ?

Les variétés

Depuis trente ans, l’association des Mordus de la Pomme recense les variétés de pommes dans le quart nord-est de la Bretagne. Dans deux communes, celle de Pleudihen (22) et celle d’Acigné au nord de Rennes, l’association a retrouvé, à chaque fois, plus de 50 variétés dont 6 étaient endémiques à la commune. La diversité des pommiers est très importante en Bretagne et l’association estime à plus de 3 000 le nombre de variétés existant sur la péninsule armoricaine.

Cette grande diversité préservait l’agriculteur d’une année sans pomme, ce qui aurait été une catastrophe. Elle limite les risques climatiques et parasitaires et permet une meilleure adaptation aux différentes qualités de sol ainsi qu’aux divers besoins des paysans. Il faut en effet des variétés à la maturité échelonnée, d’autres à chair très dure pour la vente, notamment aux « barques ». Certains fruits sont réservés pour la « bouillotte », le « pommé » ou pour confectionner le cidre du propriétaire, « notre maître ». Les plus lourds, riches en sucre, sont destinés aux négociants, alors que les pommes aigres et acides partent par train vers l’Allemagne. Quelques variétés ont un usage particulier comme Pomme de Roux et Souris Cuite : elles sont roulées dans le four à pain après la cuisson de ce dernier (d’où le nom de « pomme à la roulée »). N’éclatant pas à la cuisson, elles ne salissent pas la sole du four. Les écoliers les emportent dans la poche pour le dix-heures.

Chaque terroir, chaque commune et parfois chaque agriculteur a son pommage, ensemble des variétés cultivées. Lorsque l’agriculteur déménage, pour cause de mariage par exemple, il emporte le meilleur de son pommage. C’est un marqueur d’identité autant que les « coiffes ».

Carte postale. Le Carton voyageur : AA00016851.

Ces variétés sont issues d’une sélection empirique mais continue par les agriculteurs afin d’obtenir une meilleure adaptation aux différents besoins. Elles sont issues d'un semis de hasard : la variété « Justine du marais de Dol » provient par exemple d’un pommier qui a poussé dans le courtil d’une vieille femme de Roz Landrieux (Ille-et-Vilaine). Celle appelée « Château » est un pommier qui a germé sur la motte féodale du château de Coëtquen en Saint-Hélen (Côtes-d’Armor). Toutes ces variétés appartiennent au patrimoine de la Bretagne. Les noms peuvent être celui de « l’inventeur », « Justine » par exemple, ou bien celui du lieu d’origine, « Château ». Les agriculteurs ont une imagination fertile. Suivant la forme de la pomme, la variété s’appellera : « Toupie », « Nez de Chien »... ou bien suivant que l’épiderme est rugueux, ce sera « Cûr d’Ane », ou s’il a un anneau liégeux autour de l’œil, ce sera « Cul Nâ ». Les pommiers au port plus ou moins érigé sont appelés « Monte en l’Air », « Monte le Mont » et même, à Rimou (Ille-et-Vilaine), « Monte aux Cieux ». Certaines variétés ont des noms difficiles à transcrire : la variété prononcée « Tocfish » par les habitants des communes de Saint-Pierre-de-Plesguen et Pleudihen est une pomme conique avec un épiderme rayé de rouge sur fond jaune clair. Pourquoi ce mot anglais de « fish » ? Il est aujourd’hui bien difficile d’avancer la moindre explication…

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Auteur : Jean-François Aubert, « La pomme en Bretagne avant 1960 », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 7/03/2019.

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Proposé par : Bretagne Culture Diversité