La « révolution » de l’édit de Nantes

Auteur : Joël Cornette / novembre 2016
En 1598, Henri IV se rend à Nantes pour pacifier la Bretagne, la dernière province ligueuse à se soumettre à l’ordre royal, à la fin des guerres de Religion (1562-1598). L’édit que signe le roi à cette occasion instaure une paix durable entre catholiques et protestants. Et surtout, il instaure la concorde, en accordant à chacun la liberté de sa conscience.

Au terme de huit guerres sanglantes, ponctuées de violences paniques (de la Saint-Barthélemy à la Ligue) et de sept paix signées, toutes fragiles, provisoires et bafouées, l’édit signé à Nantes le 30 avril 1598 instaurait enfin une pacification durable en proclamant le principe d’une concorde entre deux confessions qui, depuis près d’un demi-siècle, ne cessaient de se déchirer : les catholiques et les protestants.

Cette concorde, pourtant, était limitée : l’édit privilégiait, dans tous les cas, les catholiques (les protestants, par exemple, devaient payer la dîme, l’impôt dû à l’Église). Il proclamait principalement la liberté de conscience définie de manière négative (nul ne pouvait être inquiété pour sa conscience), la reconnaissance d’une liberté de culte restreinte et contrôlée pour les huguenots, l’instauration de chambres « mi-parties » permettant, dans certains parlements, d’associer magistrats catholiques et réformés dans l’instruction et les affaires impliquant des protestants, des concessions politiques et militaires, enfin (dans le cadre d’accords secrets et de deux brevets datés du 30 avril 1598).

La Bretagne se soumet à la loi du roi : la fin des guerres de Religion

Si cet édit fondateur fut signé à Nantes, c’est qu’il s’intégrait dans la campagne militaire de pacification entreprise par Henri IV, roi de France depuis l’assassinat d’Henri III en 1589, pour reconquérir son royaume. La Bretagne, commandée par son gouverneur, le duc de Mercœur, acquis à la Ligue, était en effet la dernière province qui résistait encore au roi. Réunis à Rennes, en décembre 1597, les états provinciaux, très tôt fidèles à Henri IV, avaient supplié le souverain de « s’acheminer promptement en Bretagne avec son armée pour la délivrer de l’usurpation et oppression de ses ennemis, et icelle réduire en liberté et en ses anciens droits et privilèges sous son obéissance ». Ils lui offraient même une somme de 200 000 écus (600 000 livres) pour financer une part de l’expédition militaire.

Henri IV quitta donc Paris le 18 février 1598, s’acheminant à petites étapes. C’est à Angers que les Nantais et Mercœur, bien conscients du rapport de forces, cédèrent : Mercœur acceptait de se soumettre sans résister. Le 20 mars 1598, un traité était conclu. Le duc renonçait à son gouvernement et il s’obligeait à marier sa fille unique, Françoise de Lorraine, au bâtard du roi, César de Vendôme, qui lui succédait à la tête de la province : le fiancé avait quatre ans et la fiancée six ! Mercœur obtenait en échange de sa soumission « la somme de 235 000 écus qui devait se lever en deux années sur les deniers des impositions sur le vin », passant par la rivière de Loire, une pension de 16 666 écus par an, ainsi que trois autres sommes de 50 000 écus, 35 000 écus et 15 000 écus destinées « aux gouverneurs des places qu’il tenait encore », et à ceux de ses serviteurs qui avaient fait des pertes pendant la guerre. L’ensemble représentait pour le pouvoir royal un coût – exorbitant pour les fragiles finances de la monarchie – de 4 millions de livres. Contre quoi, Mercœur était tenu de livrer immédiatement Nantes et les dernières villes et forteresses (Blain, La Roche-Bernard) qui lui étaient encore soumises, après en avoir fait sortir les garnisons françaises ou espagnoles (l’Espagne soutenait militairement la Ligue). Lui-même s’engageait à quitter la province.

Et c’est ainsi que le roi pénétra dans Nantes le lundi 13 avril, à six heures du soir, par la porte Saint-Pierre, sans réception solennelle, car il avait refusé toute cérémonie officielle, mais à cheval et en armes : c’était l’entrée d’un soldat victorieux, d’un roi de guerre triomphant. Et magnanime : les officiers rebelles qui faisaient partie de la cour de justice de Nantes instituée par le duc de Mercœur étaient maintenus en possession de leurs charges, s’ils lui prêtaient un serment de fidélité. Chacun devait prêter le serment « d’être bon et fidèle sujet et serviteur du roi » et de « renoncer à toutes ligues et oppositions tant dedans que dehors du royaume ».

 

Edit de Nantes accordé aux Protestants le 30 avril 1598. Signature au château des ducs de Bretagne Crédit : Jan Luyken, Proclamation de l'édit de Nantes, Département des estampes et de la photographie de la BnF, QB-1 (1598)-FOL

La « révolution » de la liberté de conscience

Signé le 30 avril après deux années d’âpres discussions entre catholiques et protestants, l’édit de Nantes confortait l’autorité exécutive de l’État royal, un État bien différent de celui de 1562, au début des guerres de Religion. Fortifié par les événements, c’était un État de raison conçu à la fois comme absolu et arbitral, situé au-dessus de tous les partis, les confessions et les particularismes, confirmant l’autonomisation de la raison politique désormais supérieure aux convictions religieuses.

C’est bien cela la « révolution » instaurée par l’édit de Nantes : en soumettant le religieux à la loi civile, l’État absolu apparaissait comme l’unique garant de l’intérêt commun, contre toutes les factions et les opinions, contre toutes les violences des « guerriers de Dieu ». Régulateur et contrôleur de la religion, l’édit de Nantes marque ainsi une étape importante dans l’histoire de la distinction entre le citoyen, le sujet politique qui doit obéir à la loi, et le croyant, libre de ses choix religieux privés.

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Auteur : Joël Cornette, « La « révolution » de l’édit de Nantes », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 23/11/2016.

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