Exigences fiscales et libertés bretonnes
Tout commence avec les exigences fiscales de la monarchie, qui cherche à financer la guerre de Sept Ans (1756-1763) qu’elle vient de livrer contre l’Angleterre. Aux états de Bretagne, les députés de la province rechignent, au nom des privilèges fiscaux de la Bretagne. Bientôt, le parlement de Rennes affiche sa solidarité avec les états, et accuse de despotisme le duc d’Aiguillon, principal représentant du gouvernement (1764). L’affaire de Bretagne est lancée.
Alors que le gouvernement espère un prompt apaisement, et donne pour cela quelques gages, le parlement maintient une position forte qui conduit à radicaliser la situation. Durant quelques mois, une véritable partie d’échecs se joue entre Versailles et Rennes, qui voit l’exacerbation des tensions. Trois gentilshommes bretons jugés trop agités sont exilés par d’Aiguillon. De son côté, le parlement ordonne la lacération d’un ordre du roi exigeant le prélèvement d’une taxe. Puis, l’ensemble du parlement est convoqué par le roi, ce qui ne change rien : en mai 1765, les magistrats décident de démissionner.
La Chalotais
Que lui reproche-t-on ? De ne pas avoir joué pleinement son rôle de représentant du roi au parlement sans doute, d’être l’âme de l’opposition aussi certainement, mais également, apparemment, d’avoir été associé à d’obscures menées politiques impliquant des maîtresses de Louis XV et dont le but ultime aurait été de le propulser au gouvernement.
Mais La Chalotais ne se laisse pas faire et, depuis sa prison, rédige un texte enflammé dans lequel il se pose en martyr de l’arbitraire. Voltaire lui-même s’enflamme pour sa cause, et La Chalotais devient rapidement à la fois un héros des Lumières et de la Bretagne, dans ce qui prend l’allure d’une véritable bataille d’opinion. À Paris, Louis XV impose au parlement, qui se déclare solidaire des Bretons, une spectaculaire leçon d’absolutisme restée célèbre sous le nom de « séance de la Flagellation » (1766).
Les Ifs et les Orangers
La société politique bretonne – noblesses et bourgeoisies – se fracture alors de son côté comme jamais sans doute depuis la Ligue, entre une minorité qui choisit de rester fidèle au roi (les Ifs, pour « jean foutre »), et la majorité qui entend défendre les « libertés bretonnes » (les Orangers). Le duc d’Aiguillon parvient à reconstituer un parlement avec quelques fidèles, qui sont littéralement ostracisés. L’affaire, de libelles en pamphlets, de chansons en gravures, a cessé alors d’être une banale et feutrée querelle politique, pour devenir un sujet passionnel, alimenté par une multitude de rebondissements. À Rennes en particulier, épicentre du conflit, la querelle devient le centre de toute la vie publique.
Face au blocage, un apaisement se dessine à la faveur de la démission de d’Aiguillon, qui polarisait toutes les haines. En 1769, un arrangement fiscal est même trouvé et le parlement démissionnaire est rétabli. À Rennes surtout, mais aussi à Quimper, Nantes ou Saint-Malo, la Bretagne est en fête. Toutefois, La Chalotais, exilé entre-temps à Saintes, n’est pas autorisé à rentrer en Bretagne.
L’affaire des parlements
L’affaire tend alors à prendre une tournure nationale quand s’ouvre le procès du duc d’Aiguillon par le parlement de Paris. Le roi interrompt la procédure, ce qui suscite l’émoi des magistrats et de l’opinion éclairée. La crise reprend donc, et débouche sur la réforme Maupeou, du nom du chancelier en place : les incommodes parlements sont remplacés par des cours de justice avec des magistrats qui ne sont pas propriétaires de leurs charges. À nouveau, l’accusation de despotisme fuse de toutes parts. Entre-temps, d’Aiguillon est lui-même devenu ministre des affaires étrangères et constitue, avec l’abbé Terray (aux finances) et le chancelier Maupeou, un redoutable « triumvirat ».
La mort de Louis XV en 1774 marque l’ultime tournant. Son successeur, en effet, entend commencer son règne dans la sérénité et renvoie l’équipe ministérielle qui a opéré le virage autoritaire des dernières années de Louis XV. Louis XVI rappelle en outre les parlements dans leur ancienne forme et autorise La Chalotais à revenir en Bretagne. Le retour de celui-ci dans la capitale de la Bretagne est un triomphe.