Le bilan des noyades de Nantes fait encore débat. Il faut d’abord comprendre que plusieurs instances républicaines sont amenées à prononcer la peine de mort contre les « brigands de la Vendée », de la commission militaire au tribunal révolutionnaire. L’armée et la justice doivent coopérer, à Nantes, avec Carrier pour réprimer le soulèvement vendéen.
Il faut ensuite comprendre que les historiens disposent des registres précis de jugements – au total 3 458 condamnés à mort, mais qu’ils ignorent le nombre exact de noyades, de 7 à 11 selon les témoins de l’époque, et de noyés, entre 1 800 et 4 800 qu’on menait au supplice sans en rendre compte officiellement. Certains complices de Carrier, eux aussi inquiétés après Thermidor, exagèrent le rôle de leur chef, pour mieux souligner leur impuissance devant ce « système » implacable. Ils parlent alors de 9 000 noyés.
Au moment du procès de Carrier, les rumeurs les plus affreuses courent sur la mise à mort des noyés. Les « mariages républicains », où des prisonniers, souvent vieux et parfois prêtres réfractaires, sont attachés à des femmes jeunes et dénudées, sont alors évoqués pour mieux souligner la déshumanisation des prisonniers au moment ultime. Sont relatées à la Convention les orgies organisées par Carrier et ses sbires, où des prisonnières sont amenées, violées puis conduites au supplice.
Alain Gérard montre bien comment Carrier fut un homme abruti de travail, révolutionnaire convaincu et cruel. Comme l’écrit l’historien Robert Palmer, « la cruauté lui semblait la façon la plus simple de résoudre un problème difficile ». Carrier semble alors tout-puissant dans une ville jugée complice, indifférente ou en proie à la peur. Autrement dit un homme ordinaire qui bascule dans la violence pour asseoir jour après jour son pouvoir, sans contrôle ni obstacles venus d’en haut avant le début 1794.