Peut-on se permettre d’écrire un livre ou un article sur le front d’Orient sans qualifier ce théâtre d’oublié ? La question mérite d’être posée, tant ce lieu commun s’est répandu dans toute évocation du devenir des soldats qui combattent en Macédoine. Le front d’Orient est pourtant loin d’être un front « oublié », tant il a bénéficié d’une couverture médiatique et mémorielle ample durant le centenaire, en comparaison avec les autres théâtres dits périphériques. De même, des historiens de premier rang, comme John Horne, Emmanuelle Cronier ou Jean-Yves Le Naour, ont attiré l’attention des chercheurs sur l’intérêt de ce champ d’investigation.
Le front d’Orient fait en revanche figure de « front oublieux ». En effet, la production historiographique et mémorielle dédiée à ce théâtre valorise, depuis maintenant des décennies, le triste sort de ces soldats voués à des conditions de combat rudes et privés de la gloire qu’ils auraient mérité. Mais on euphémise largement la présence de ces soldats alliés sur le territoire grec, présence qui n’est rien de moins qu’une occupation dont les populations civiles et la société grecque ont eu à s’accommoder. De même, si on évoque amplement la part prise par les soldats français sur ce théâtre, on évoque peu la dimension coloniale de cette armée et très peu la coopération interalliée, alors que c’est le théâtre sur lequel se sont battues le plus de nations belligérantes différentes, sans même inclure dans le décompte les différentes nationalités composant les armées impériales présentes en Macédoine. Enfin, si on regarde un peu le combattant voisin serbe, très peu l’italien, on ne prête toujours aucune attention sérieuse à la tranchée d’en face où se tenaient les combattants bulgares, ottomans, allemands et austro-hongrois. Jusqu’à preuve du contraire, il faut pourtant deux camps pour faire une guerre…