Un ingénieur au service de l’effort de guerre français
Né à Morlaix en 1866, l’architecte et ingénieur breton Joseph Pleyber fait d’abord carrière dans la Marine française où il sert pendant 22 ans. Il enchaîne plusieurs campagnes dans le Génie de la Marine nationale, dont plusieurs séjours dans les colonies françaises, en particulier au Tonkin et au Sénégal. Ces contributions lui valent d’être fait chevalier de la Légion d’honneur en 1910, après quoi il se lance en tant qu’ingénieur dans plusieurs chantiers en Amérique latine où il rencontre un certain succès.
En 1914, lorsque la guerre éclate, Joseph Pleyber quitte l’Argentine et regagne la France avec son fils, également mobilisé. Une fois revenu en Europe, il est affecté au camp retranché de Paris où il est nommé capitaine du Génie et met ses compétences d’ingénieur au service de la défense de la capitale. On craint en effet que la ville ne soit assiégée comme elle le fut en 1870.
Mais, dès 1916, il est affecté à l’Armée d’Orient, à Salonique, où les Britanniques et les Français opèrent depuis octobre 1915 afin de secourir l’allié serbe dont les lignes sont enfoncées par les troupes bulgares. Les coalisés ne parviennent pas à endiguer l’avancée ennemie, et tout comme à Paris aux premières heures de la guerre, la ville se prépare à un siège.
De l’Armée d’Orient à la reconstruction de Salonique
Le port de Salonique passe finalement à côté d’une telle expérience, comme ont pu le vivre des villes comme Przemyśl sur le front Est ou des places fortes telles Kut-al-Amara au Proche Orient. Les travaux de fortification n’en sont pas moins intenses, et certaines traces encore visibles dans la campagne thessalonicienne actuelle. Malgré l’éloignement du front, Joseph Pleyber n’en demeure pas moins en fonction dans l’Armée d’Orient jusqu’à l’incendie de la ville à l’été 1917. C’est à la suite de ce drame qu’il rejoint la commission interalliée chargée de reconstruire, pour ne pas dire refonder la cité. Cette équipe interalliée, composée d’architectes et ingénieurs britanniques, grecs et français, est dirigée par le français Ernest Hébrad. Il supervise le tracé et la reconstruction de la cité macédonienne, pour lui donner le visage qu’elle a encore aujourd’hui.
Joseph Pleyber collabore à cette occasion avec les Grecs Konstantinos Kitsikis et Aristotelis Zachos, ainsi qu’avec l’architecte et urbaniste britannique Thomas Mawson. Dans cet effort interallié à vocation civile mais au déploiement de moyens d’ampleur militaire, Pleyber a la tâche d’établir les plans de la voirie et les modalités d’assainissement des différents quartiers de Salonique. Alors qu’il s’affaire à ce chantier, son fils parvient à se faire affecter dans l’Armée d’Orient en décembre 1917. Jean-Baptiste Pleyber y sert dans l’artillerie et a ainsi l’occasion de voir son père lors de ses permissions. Pour sa contribution à ce chantier herculéen, Joseph Pleyber est fait officier de la Légion d’honneur en 1918, décoration remise par le général Guillaumat.
Ultérieurement, il est également décoré par les Grecs de l’ordre du Sauveur. Cette dernière distinction fait ressortir le caractère éminemment politique de la reconstruction de Salonique : la réédification de ce port, fraîchement ravi par la Grèce à l’Empire ottoman en 1912, est un jalon dans l’arraisonnement de la Macédoine au jeune État hellène et dans la constitution de la Grèce contemporaine. Cette ville, qui était ottomane depuis 1430 (soit 23 ans avec Constantinople!), est encore toute coiffée de minarets quand les troupes françaises y débarquent. Le chantier de reconstruction après l’incendie parachève l’hellénisation urbaine à laquelle participent les membres de la commission, bercés d’humanités gréco-latines : on ouvre de grandes perspectives dans le tracé de la ville pour qu’une grande place Aristote en front de mer, en aval d’un forum romain exhumé et patrimonialisé, offre une vue directe sur le mythique mont Olympe, situé sur la rive opposée de la baie de Salonique.
Poursuite de carrière et fin de vie en Grèce
Après le conflit, Joseph Pleyber propose de grands travaux afin de développer la ville en publiant une étude intitulée Le problème de l’habitation à Salonique et à la campagne. L’ingénieur morlaisien, après un parcours qui le mène des colonies françaises jusqu’au front d’Orient en passant par l’Amérique latine décide de s’établir pour de bon en Grèce. Avec d’autres architectes grecs ou étrangers, il saisit l’aubaine que constitue la lente reconstruction de la ville de Salonique pour laisser sa marque dans le paysage urbain en prenant part à des chantiers tels celui de l’hôtel Excelsior ou encore les immeubles Mallah et Nahmia.
Le visiteur contemporain qui se rend à Thessalonique peut encore découvrir ces hautes façades construites dans le style éclectique des années 1920. Pleyber va même jusqu’à proposer un projet pour la création d’un centre touristique international à Chortiatis, mais celui-ci ne voit pas le jour. L’architecte et ingénieur breton finit ses jours en Grèce en 1947.