Le 14 décembre 1728, l’évêque de Saint-Malo Vincent François Desmaretz annonce une visite (inspection) de sa cathédrale pour le 30 décembre. Il s’agit d’un événement suffisamment rare – elle « n’a point été visitée depuis plus de 80 ans » – pour provoquer l’émoi des chanoines. Estimant que les chapitres généraux leur permettent de vérifier eux-mêmes la bonne gestion des affaires de la cathédrale et la qualité du culte, ainsi que de sanctionner les mauvais comportements des membres du bas-chœur, les chanoines voient d’un très mauvais œil l’intérêt soudain du prélat pour l’activité de son chapitre. Les conclusions de Desmaretz sont cinglantes : l’esprit des conciles a été oublié ; les chanoines ferment les yeux sur les abus qui se sont glissés dans le service divin ; ils se permettent de répondre aux questions de l’évêque avec suffisance. Le 23 juin 1729, une ordonnance rappelant les chanoines à leurs devoirs et imposant un certain nombre de changements clôt la visite épiscopale. Enregistrée en chapitre le 25, elle est durablement contestée par une partie des chanoines et ne sera homologuée que le 16 mai 1733 par un arrêt du Conseil.
Cette visite est un épisode des relations complexes qu’entretiennent Desmaretz et son chapitre. Dès son arrivée, il doit en effet composer avec des chanoines enracinés car largement issus des grandes lignées négociantes malouines et bien souvent en poste depuis de longues années : il lui faut donc s’imposer face à un corps estimant incarner la permanence et l’attachement aux traditions. L’évêque et le chapitre, longtemps proches du jansénisme, ont de plus été marqués par les conditions de leur soumission au pape : le chapitre d’abord, l’évêque ensuite. Les chanoines ont par ailleurs difficilement accepté la perte de leur droit d’être nommés curés de Saint-Malo. Enfin, tout au long des années 1720, les sujets de friction se multiplient à propos de la collation (l’affectation) de certaines cures, des règles de préséance lors des cérémonies, de l’assistance de l’évêque (qui est aussi chanoine) aux réunions capitulaires…
Dernière remarque, et non des moindres, la visite de 1728-1729 permet à l’historien de s’immiscer au sein de la mécanique capitulaire. Du fait des changements demandés par Desmaretz, l’observateur se retrouve au cœur des multiples tensions – si difficiles à saisir d'ordinaire – qui fracturent la compagnie. On voit ainsi s’opposer, chacun défendant ses intérêts, chanoines prêtres et chanoines clercs, chanoines et dignitaires, chanoines et membres du bas-chœur, chanoines ordinaires et chanoines collaborateurs de l’évêque (son secrétaire, ses vicaires généraux, son official ou juge).