Les plus anciens témoins de l’occupation humaine en Bretagne

Auteur : Jean-Laurent Monnier / novembre 2016
Les caractères géographiques et géologiques du Massif armoricain ont influé sur les premières occupations humaines en Bretagne, notamment du fait des climats et environnements très fluctuants au cours de la période quaternaire. La Bretagne n’était pas encore « la Bretagne » ; mais son territoire actuel doit être perçu dans le cadre naturel géologique de l’extrême ouest de l’Eurasie. C’est pourquoi on ne peut la dissocier du reste du Massif armoricain, pas plus que l’on ne peut dissocier l’étude de la préhistoire ancienne de celle de la géologie du quaternaire. La forme humaine la plus ancienne présente dans l’Ouest est très probablement Homo heidelbergensis. L’Homme de Néandertal est, quant à lui, très présent, avec notamment des restes fossiles à Jersey. Aux alentours de 35 000 ans, il est remplacé par notre espèce Homo sapiens. Ce sont les outillages et les traces d’habitats mis au jour en fouille qui témoignent de cette présence cependant bien affirmée.

Les tout premiers habitants de la Bretagne (500 000 à 300 000 ans)

On en trouve les traces principalement sur le littoral sud et le long des grands cours d’eau. Ils appartiennent au Paléolithique inférieur.

Situé sur la Vilaine, le gisement de Saint-Malo-de-Phily est en position secondaire, dans les alluvions anciennes. L’outillage sur plaquettes de grès est difficile à identifier. Il pourrait dater de 500 000-600 000 ans environ.

La coexistence d’outillages dominés par les bifaces ou par les outils à simple tranchant sur galets appelés « choppers » illustre la variabilité du Paléolithique inférieur. Le second groupe dit « Colombanien » est essentiellement localisé sur la côte sud-armoricaine. L’habitat de Saint-Colomban à Carnac, vers 400 000 ans, était installé dans l’abri d’un couloir d’érosion marine, sur une plage ancienne, au début d’une période de régression. Il est de nos jours sous le niveau des plus hautes mers. L’outillage est caractérisé par des outils à tranchant aménagé sur galets associés à un outillage léger sur éclats de petites dimensions avec notamment beaucoup d’encoches et de bords denticulés.

Le gisement de Menez-Dregan à Plouhinec (Finistère), en cours de fouille depuis 1987, est une ancienne grotte marine dont le toit s’est progressivement effondré et qui s’est comblée de sédiments. Le remplissage témoigne de variations climatiques cycliques et d’importantes variations du niveau de la mer. Les premières occupations humaines se situent vers 465 000 ans. L’outillage se compose également de galets aménagés : des « choppers » essentiellement et quelques « proto-bifaces » associés à des éclats utilisés ou « retouchés ». Les hommes de Menez-Dregan sont sans doute des représentants de l’espèce Homo heidelbergensis. Menez-Dregan est particulièrement connu par la présence de « structures » attestant des feux entretenus par l’homme, parmi les plus anciennes connues à ce jour.

Un gisement typiquement acheuléen a été étudié à Planguenoual (Côtes-d’Armor). Il s’agit de la Ville Mein. L’outillage, dominé par des éclats épais et des bifaces de formes amygdaloïdes et ovalaires, est taillé dans des blocs de grès éocène.

Les néandertaliens en Bretagne (300 000 à 35 000 ans)

Goaréva, vue de l'abri en pied de falaise - CNRS/UMR6566 J.L. Monnier

Les outillages qu’ils ont laissés appartiennent au Paléolithique moyen. Mis à part quelques grands gisements de surface liés à des matériaux particuliers, principalement les grès d’époque éocène, l’essentiel du Paléolithique moyen est concentré le long du littoral nord de la Bretagne. Ceci s’explique par la présence du silex et éventuellement de roches complémentaires, par la présence d’abris en pied de falaises accessibles dès le début des régressions marines et par l’existence, notamment dans le golfe normand-breton, de vastes espaces rapidement exondés au début des périodes froides, et couvertes par une végétation de steppe favorable à la vie des grands herbivores.

Le gisement de Piégu (Pléneuf-Val-André, Côtes-d’Armor) a révélé une succession stratigraphique complexe, ainsi que la présence de deux ou trois phases d’occupation paléolithique.

En Ille-et-Vilaine, le site de Grainfollet à Saint-Suliac est un abri en pied de falaise typique de la côte nord-armoricaine. L’occupation se place vers 170 000 ans, dans une phase climatique relativement tempérée. L’outillage, principalement en silex, est bien différencié, avec des outils à bords retouchés convergents assez nombreux. Non loin de Grainfollet, le petit gisement fouillé aux Gastines (Saint-Père-Marc-en-Poulet) peut se rattacher à la même fréquentation humaine. Une organisation de l’habitat y a été mise en évidence.

Le gisement emblématique du Mont-Dol (Ille-et-Vilaine), vers 110 000 ans, est à l’abri d’un grand rocher granitique. La faune consommée au Mont-Dol comprend principalement des grands herbivores caractéristiques des vastes étendues herbeuses, tels le mammouth, le cheval, le rhinocéros, de grands bovidés, de grands cerfs, le daim, le chevreuil, le sanglier, le renne, le bouquetin, l’ours, la panthère, le renard, le loup. Les grands mammifères, comme aussi les restes de petits rongeurs, indiquent un climat de type arctique, un paysage ouvert de type steppique avec des zones de toundra, de taïga ou de forêt boréale.

Le gisement du Goaréva (Côtes-d’Armor) est un abri en pied de falaise dont la paroi est constituée par l’une des épontes granitiques d’un filon de dolérite, avec un léger surplomb et une bonne exposition au Sud-Ouest. Le substrat de l’abri se trouve à peu près au niveau moyen des marées. La datation géologique convient d’un âge vers 70 000 ans. L’outillage, pour moitié en silex et pour moitié en dolérite, comprend des racloirs de bonne facture et de types variés, mais peu abondants, associés à des encoches et à des denticulés.

Un groupe bien caractérisé, parfois qualifié de « Groupe du Bois-du-Rocher » correspond à des sites de plein air, généralement très étendus (plusieurs hectares, voire plusieurs centaines d’hectares). Ceux-ci sont tous localisés dans l’arrière pays, et souvent associés à la présence de matières premières abondantes (grès éocène). Les principaux gisements sont ceux du Bois-du-Rocher et du Clos-Rouge (Côtes-d’Armor), de Kervouster (Finistère). Il est possible que ces occupations humaines soient relativement tardives, vers 40 000 ans, donc proches de la transition Paléolithique moyen/Paléolithique supérieur. Les outils bifaciaux (bifaces, outils à retouche bifaciale envahissante, outils sur supports bifaciaux) sont le caractère le plus évident de ces industries. Ce sont des pièces taillées sur éclats, à sections souvent « plano-convexe », de formes ovalaires, cordiformes, triangulaires. Les bords présentent des parties « préhensives » et des parties « actives » simples ou multiples.

Le temps des Homo sapiens du Paléolithique supérieur (35 000 ans à 10 000 ans)

Plasenn-al-Lomm, outils en silex taillés - CNRS/UMR6566 J.L. Monnier

Le Paléolithique supérieur reste peu connu en Bretagne, sans doute du fait de sa localisation sur les fonds de la Manche et de la remontée post-glaciaire du niveau de la mer.

Le gisement de Beg-ar-C’hastel à Kerlouan (Finistère) est caractérisé par un débitage fortement laminaire et lamellaire. Il se rattache à l’Aurignacien. Le Gravettien est présent. La fouille du site de Plasenn-al-Lomm sur l’île de Bréhat a mis au jour un vaste habitat de plein air avec des traces de structures, vestiges d’un campement situé sur une plateforme dominant la paléo-vallée du Trieux. Certains assemblages de blocs peuvent être interprétés comme des calages de poteaux, suggérant la présence de huttes ovalaires. Il s’agit d’un campement saisonnier avec un outillage très spécialisé. À l’époque de l’occupation, vers 25 000 ans, le site n’était pas au bord de la mer, mais proche du Trieux dont la vallée s’étendait sur les fonds de la Manche à sec.

On ne peut aborder le Paléolithique supérieur en Bretagne sans évoquer les sites en grottes de la vallée de l’Erve en Mayenne, objets d’un grand programme de recherche. La présence solutréenne, au plus grand froid de la dernière glaciation (vers 20 000 ans), y est attestée. Cette vallée a joué le rôle de « refuge » et fut probablement à l’origine de migrations saisonnières qui ont laissé les campements de chasse retrouvés sur le nord de la Bretagne. L’une de ces cavernes (Grotte Mayenne-Sciences) est aussi l’une des grottes ornées (datation : 25 000 ans) les plus nord-occidentales actuellement répertoriées en Europe.

Le Paléolithique supérieur final se manifeste dans l’Ouest à la période correspondant à la fin de la dernière glaciation (« tardiglaciaire »), marquée par des oscillations climatiques assez rapides qui conduiront à l’Holocène, notre actuel « interglaciaire ». Un renouvellement important des connaissances sur ces périodes est en cours. La grotte de Roc’h-Toul a livré des éléments (pointes à dos courbe) caractéristiques de l’Azilien ancien ; cette occupation se place chronologiquement sans doute dans l’interstade de l’Alleröd, soit vers 12 à 11 000 ans avant nos jours.

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Auteur : Jean-Laurent Monnier, « Les plus anciens témoins de l’occupation humaine en Bretagne », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 21/11/2016.

Permalien: http://bcd.bzh/becedia/fr/les-plus-anciens-temoins-de-l-occupation-humaine-en-bretagne

Bibliographie

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Proposé par : Bretagne Culture Diversité