Plantes protectrices et plantes de santé d’hier
Les systèmes de pensée populaire ne segmentent pas, comme la science, la réalité en autant de disciplines et de sous-disciplines. Élaborés selon une conception globalisante du monde, ils ne découplent pas le visible de l’invisible, la maladie du malheur, le monde des vivants du monde des morts.
Aussi les propriétés des plantes, dites « médicinales » aujourd’hui, n’ont pas toujours été séparées d’autres fonctions de protection « magique » des cultures agricoles et de l’espace domestique. Bouquets suspendus dans les étables (houx et gui contre les dartres) ou dans la maison (buis ou laurier bénits lors de la fête des Rameaux), plantes sur le toit des granges (joubarbe pour écarter l’orage), mais aussi les amulettes suspendues au cou (pour protéger de sortilèges ou de maladies spécifiques) témoignent de la batterie des plantes instrumentalisées pour se prémunir contre un monde environnant imprévisible et jugé hostile. La pratique ritualisée du végétal en Bretagne doit être pensée dans le cadre global de la médecine populaire, en complémentarité avec le recours au sacré (pierres, fontaines, arbres et saints guérisseurs) ou l’intervention de thérapeutes populaires (diskonter « décompteur », conjurateur de sorts, leveur de feu, de verrues, etc.). Aujourd’hui en grande partie obsolète, cette médecine a amplement décliné au cours de la première moitié du XXe siècle.
D’autres usages de plantes tendaient plus vers des emplois empiriques, proches des conceptions actuelles du remède : la tisane de camomille avant de s’endormir, les pousses de ronce pour le soin des maux de gorge, le suc de la joubarbe contre les maux d’oreille, la pellicule des feuilles grasses du nombril-de-Vénus ou les pétales de lys comme remèdes souverains contre les brûlures, la racine de tamier pour soulager les rhumatismes, etc.
Des différences ville/campagne étaient notables dans le rapport au végétal. À la campagne, les soins de santé étaient majoritairement externes et laissaient moins de place aux tisanes et prises de remèdes en interne. La non-incorporation du végétal, également notée pour les plantes comestibles sauvages, serait la traduction d’une réserve face à un monde mal maîtrisé et à l’égard duquel on nourrissait une méfiance. Le recueil des procédés de conservation, et notamment le peu de recours au séchage des plantes, va dans le sens de cette observation [encart 1].
Savoirs contemporains sur le végétal : un regard renouvelé
L’époque des Trente Glorieuses et la fin de la paysannerie sonnent le glas de la transmission orale des savoirs. Depuis les années 1990, on voit fleurir des animations-nature, des promenades de découverte des plantes et de leurs propriétés, des ateliers de cuisine à base de plantes sauvages et une littérature abondante dédiée aux usages du végétal. Un vif attrait pour les salades printanières – mâches, laitue et chicorée sauvages, crépis, pissenlits, nombril-de-Vénus, etc. – est assorti d’un renouveau des représentations de fonctions médicinales qui étaient en voie d’obsolescence (dépuratives, régénérantes, etc.). Ce n’est que récemment que les fleurs se dégustent à table (bourrache, capucine, soucis...) ou qu’on agrémente les fleurs d’acacia, les fleurs de sureau et les feuilles de plantain en beignets.
Le sureau symbolise à lui seul les changements survenus dans les rapports au végétal. Les enquêtes en Bretagne rapportent que, sur le plan de la santé, traditionnellement, sa valorisation était relativement peu diversifiée. Son emploi requérait souvent une mise en condition magico-religieuse, en liaison avec des puissances occultes ou au moment de la Saint-Jean. Du point de vue alimentaire, sur la majeure partie du territoire, le fruit du sureau était considéré comme toxique. L’expansion récente des connaissances en a fait une « pharmacie naturelle » (rhumatismes, rhumes, bronchites et toux, grippes, fièvres...) et une plante bien en vue des amateurs de préparations culinaires buissonnières (confitures, sirops, limonades et vins de sureau).
Ces usages nouveaux, ou du moins renouvelés, des plantes en Bretagne nourrissent une diversité de savoirs, qu’ils proviennent de la tradition orale d’autres régions ou qu’ils soient d’origine livresque. Il est notable que les apports récents, inspirés par une approche savante et par la phytothérapie moderne, suivent une impulsion de représentations d’origine urbaine, positives envers la nature, et reflètent symétriquement l’abandon des us et coutumes du monde paysan ancien.