Origines du théâtre en breton
Les bretonnants développent très tôt un théâtre populaire dans leur idiome. Léon Fleuriot, étudiant le vieux breton (VIe-XIe siècle), était certain de l’existence « d’une sorte de théâtre indigène, dans lequel les histrions, et les bouffons paraissent avoir tenu les premiers rôles ». Les interprétations divergent quant aux origines du théâtre breton. Pour Théodore de La Villemarqué, il s’agit d’un art développé dès l’Antiquité celtique. Anatole Le Braz affirme au contraire que le théâtre est dans la péninsule armoricaine pratique récente, venue au Moyen Âge en même temps que la langue française. Au début des années 1960, Lucien Blocklander avance une explication médiane, celle d’un théâtre puisant son inspiration dans de vieux textes français mais enrichis d’apports bretons. Yves Le Berre affirme pour sa part en 2015 que le théâtre ne devient véritablement populaire qu’avec la Révolution française, et que les sources ne permettent pas d’en avoir une connaissance fine avant cette période.
Le théâtre se joue fréquemment hors les murs, et rythme la vie villageoise. Pendant les veillées, rappelle François Luzel, on continuait à jouer ou à réciter des scènes, en toute liberté ! En apparence essentiellement religieux, le théâtre se mêle toutefois de scènes profanes, et parfois très réalistes comme l’accouchement de la Vierge. Le chevalier de Fréminville, au début du xixe siècle, rappelle que des « représentations dramatiques, exécutées par des paysans bas-bretons, ont lieu […] au milieu d’un champ ou d’une lande ». Et l’Anglais Asolphus Trollope donne même en 1840 des détails : « Ce fond de décor tout blanc était orné de bouquets de laurier et de fleurs sauvages, avec, plutôt moins judicieusement, deux ou trois gravures en couleurs, provenant des maisons voisines et représentant Bonaparte et la Vierge ».
On a longtemps prétendu que la vie littéraire de langue bretonne se réduisait à quelques chansons ou poèmes de tradition orale. Cela est faux et le théâtre le rappelle parfaitement puisque ce sont environ 250 manuscrits en breton qui sont conservés, voire édités, entre l’an 1530 et la guerre de 1870. Toutefois, cette pratique connaît un réel déclin et, à la fin du xixe siècle, le théâtre en breton n’est plus attesté que dans le Vannetais et le Trégor.
La célèbre représentation de Ploujean, donnée le 14 août 1898, marque néanmoins un tournant et le début du xxe siècle voit, sinon une renaissance, au moins un renouveau avec des auteurs talentueux et publiés comme Job Ar Bayon ou Tanguy Malmanche, qui annoncent d’autres grandes voix : Jakez Riou, Roparz Hémon, Jarl Priel, Per-Jakez Helias... On prendra d’ailleurs soin de noter tout le paradoxe de cette chronologie : au moment où la langue bretonne commence à être moins parlée dans les campagnes, un théâtre populaire reprend vie, et ce dans des directions parfois très divergentes ! Job Ar Bayon pense ainsi poursuivre une tradition qu’il juge immémoriale en essayant de raviver le théâtre religieux tandis que Roparz Hemon, dans les années 1920-1940, veut au contraire ouvrir le théâtre breton à la modernité.
Théâtre contemporain en breton
C’est du reste la voie empruntée par la Jeunesse agricole catholique (JAC), qui encourage, depuis les années 1930, un théâtre permettant de donner la parole au paysan et de faire passer, lui aussi, un message de modernité. Dans les années 1960 se crée une association attachée à la Fédération catholique du théâtre amateur (FECTAF), devenue par la suite Art Dramatique Expression Culture (ADEC – à Rennes et dans le Morbihan) et offrant des formations aux personnes désireuses de découvrir la pratique d’un théâtre amateur exigeant. Au même moment, les Veillées bretonnes initiées par Roger Laouenan accordent une large place au théâtre – par l’intermédiaire notamment du Strollad Beilhadegoù Treger de François Danno – et rencontrent un vif succès, comme une sorte de prémices du renouveau culturel des années 1970. Les médias modernes participent aussi de cet essor. Per-Jakez Hélias et Pierre Trépos s’efforcent de donner des émissions radiodiffusées en breton qui se rapprochent d’un théâtre populaire tandis que la télévision régionale parvient à capter certaines représentations. En 1963, Jean Moign adapte avec succès Gurvan de Tanguy Malmanche. Il poursuivra avec des œuvres de Jakez Riou avant de développer un théâtre à l’intention des scolaires, touchant ainsi un large public dans les années 1970 et 1980 avec des pièces du répertoire classique, mais aussi des créations et des adaptations en breton. Il tentera même d’implanter un Théâtre d’arts celtiques à Paris. En 1983 naît enfin le Festival régional de théâtre amateur de Lizio, aujourd’hui Festival de Josselin.
Le théâtre en Breton est donc encore bien vivant. D’ailleurs, le 3 octobre 2016, Tanguy Malmanche, avec une représentation de Kou le Corbeau, la version francisée de sa comédie mise en scène par Nell Reymond, tenait l’affiche au Théâtre de la Huchette.