Il est fait appel à la notion d’écologie populaire, qui suggère que l’on s’intéresse à la manière dont la société pense et organise le monde vivant (on parle de « catégories sémantiques » indigènes et de « classifications populaires ») pour décrire et s’approprier la diversité des habitats naturels. Il importe donc de recueillir les usages et les représentations dans la (ou les) langue(s) locale(s). Portée par une approche pluridisciplinaire, la thématique fait à la fois appel à la linguistique, à l’agronomie, à l’écologie et à l’ethnologie.
Un champ d’étude sous-valorisé
Le champ des sciences sociales et particulièrement celui de l’ethnoécologie ont peu investi le rapport de la société bretonne à la nature. Le recensement linguistique mené par Alain Le Berre sur les noms des animaux marins en breton est une référence isolée dans sa matière. Parmi les travaux d’ethnologie proprement dits, deux monographies (Goulien, cap Sizun ; Damgan, golfe du Morbihan) exposent méthodiquement l’organisation sociale des communautés rurales ainsi que les mutations occasionnées par le remembrement sur leur rapport au territoire et à la nature.
Structure emblématique paysagère du massif armoricain, caractérisé par des champs enclos, le bocage a surtout fait l’objet d’études par l’histoire rurale. Les territoires bocagers sont situés dans des régions souvent accidentées, aux sols majoritairement maigres (Bretagne, Cotentin, Maine, Pays basque...), déterminant un habitat lâche et dispersé. À l’origine, les terres encloses, allouées aux labours, occupaient une faible fraction du territoire et les terres de friche non encloses, destinées à la pâture, correspondaient à la forte fraction des espaces agricoles. Chaque cultivateur, maître de son assolement, était moins sujet à des servitudes collectives que dans les régions à champs ouverts.
Une tendance récente marquée par l’interdisciplinarité (notamment par l’écologie du paysage et l’ethnologie) souligne la diversité des formes bocagères et prend en compte le regard des acteurs sociaux. Ceux-là mêmes pour qui l’apprentissage traditionnel des signes de la nature a longtemps émergé au long des chemins creux et des talus : sur le plan matériel, la haie était à la fois nourricière, curative, pourvoyeuse de litière, de bois de chauffage, de bois d’œuvre et de manches à outils ; elle était aussi le lieu d’initiation ludique pour les plus jeunes. Sur le plan symbolique, certains arbres et arbustes présentaient des vertus magiques protectrices du bétail et des humains.
Une société à l’imaginaire remembré
Le bocage constitue une trame en constante évolution au cours de l’histoire, marquée par la succession de différents systèmes agraires. Certains considèrent le bocage comme l’outil de conquête des landes ; le défrichement s’est accompagné d’un processus d’embocagement, dans le but de rationaliser l’élevage. Au xxe siècle, le processus inverse d’enfrichement de terrains dépréciés s’est conjugué à une réduction massive du bocage. Face à la nouvelle rationalité industrielle, la régression drastique de la diversité des arbres fruitiers (sauvages et domestiques) apparaît comme symptomatique de la double érosion de la diversité végétale et des savoir-faire paysans. Aujourd’hui, l’étude des savoirs naturalistes locaux s’apparente à un travail sur une mémoire collective en voie d’effacement, celle d’une société à l’imaginaire remembré.
Dans son ouvrage consacré aux landes, François de Beaulieu expose une édifiante synthèse qui croise l’attention des sciences naturelles et des sciences sociales. Il réhabilite ces anciens espaces, longtemps jugés archaïques et incultes, dénigrés par les agronomes du xviiie au xxe siècle, bien qu’ayant longtemps joué un rôle central dans l’économie paysanne. Le parti pris de l’auteur témoigne de l’engouement contemporain pour ces « nouveaux territoires du sauvage », investis d’une symbolique positive, auréolés notamment par la flore et la faune menacées qu’ils abritent. Soulignons que, paradoxalement, certaines des espèces qui font désormais l’objet de mesures de protection étaient autrefois méconnues des paysans, ceux-là mêmes qui en fréquentaient les milieux à longueur d’années et dont les pratiques agricoles en garantissaient pourtant la pérennité. Ce cas de figure illustre la coévolution entre les écosystèmes et l’humain, tantôt favorable au maintien de la diversité du vivant, tantôt défavorable. Il convient d’insister sur le lien entre biodiversité et ethnodiversité (diversité des sociétés, des cultures, des langues, des savoirs naturalistes...), relation étroite... et ô combien précaire.