Un sprinteur d’exception
Né en 1947 à Bouguenais, près de Nantes, Cyrille Guimard engrange très tôt les victoires dans les catégories jeunes. Le Breton devient la « terreur » des pelotons amateurs, plus particulièrement lors des arrivées au sprint. Ses statistiques sont vertigineuses. Ainsi, pour la seule saison 1967, il cumule pas moins de 40 bouquets dont le titre de champion de France. À l’issue de la saison, ses résultats lui ouvrent naturellement les portes du monde professionnel. Il accepte alors la proposition d’Antonin Magne qui lui permet de rejoindre l’emblématique formation Mercier où il devient l’équipier de l’idole du public, Raymond Poulidor. Les observateurs ne tarissent pas d’éloges sur le Nantais dont palmarès est « plus riche, plus élogieux que celui de Bobet et Anquetil au même âge », comme le souligne, à la fin de l’année 1967, un correspondant sportif du quotidien Ouest-France. Malgré sa belle quatrième place au classement général du Tour de l’Avenir, pas question pour autant d’en faire un potentiel vainqueur du Tour de France. En revanche, on le désigne volontiers comme le possible successeur du sprinteur André Darrigade.
À 21 ans, Cyrille Guimard entame sans complexe sa carrière chez les professionnels. Dès le 25 février 1968, il remporte le Grand Prix de Saint-Tropez en réglant au sprint un groupe au sein duquel il retrouve son idole de jeunesse, Jacques Anquetil. Une semaine plus tard, lors de la classique Gênes-Nice, il récidive en signant, au passage, le record de l’épreuve. Pour de nombreux observateurs, à l’image de Roger Cornet, célèbre plume du quotidien Ouest-France, cette victoire confirme que le Breton est bien « un chef de file de la nouvelle vague » du cyclisme français. De son côté, le sprinteur reste humble, affirmant qu’il a encore tout à prouver. Modeste, le coureur ne se restreint pas pour autant. Il poursuit sur sa lancée et multiplie les victoires, que ce soit sur le Tour du Luxembourg ou sur le Midi-Libre.
Toutefois, en cyclisme, la notoriété d’un coureur reste conditionnée à la réussite sur l’épreuve la plus populaire de l’année : le Tour de France. Cyrille Guimard y participe pour la première fois en 1970. Une fois encore, le néophyte ne se laisse pas impressionner par les têtes d’affiche. Dès la première étape, il se mêle vaillamment à l’emballage final et parvient à franchir la ligne d’arrivée en tête. La presse est dithyrambique. Le public est enthousiaste. Tout le monde est persuadé d’avoir enfin trouvé le successeur d’André Darrigade. Ce dernier lui adresse d’ailleurs immédiatement un message de félicitations. Les observateurs ne s’y trompent pas. Cyrille Guimard vient d’entamer une série de succès sur l’épreuve estivale, remportant sept étapes en l’espace de cinq participations. Sa réputation dépasse rapidement les frontières hexagonales puisqu’il devient tout simplement un acteur incontournable du cyclisme international. Il multiplie les résultats de prestige : deux étapes sur la Vuelta (1972), 3e du Tour des Flandres (1971), 2e du Tour de Lombardie (1972), 3e des championnats du monde (1971 et 1972), 3e de Kuurne-Bruxelles-Kuurne (1974), Grand Prix de Plouay (1975) ainsi que de nombreuses victoires d’étapes sur le Dauphiné Libéré, sur Paris-Nice, sur le Grand Prix du Midi-Libre…
Un coureur « tout-terrain »
Il serait pourtant réducteur de restreindre Cyrille Guimard à sa seule pointe de vitesse. Le Breton sait tout faire sur un vélo puisqu’il excelle en cyclo-cross (Champion de France 1976), et brille sur piste (Champion de France de vitesse en 1970) ! Tous les terrains semblent lui convenir, même la haute montagne. Le Breton découvre ses aptitudes de grimpeur lors de sa dernière saison chez les amateurs, en 1967. À l’issue du Tour de l’Avenir, il confie s’être « aperçu » qu’il « montai[t] mieux » qu’il ne le pensait dans la « grande montagne ». Chez les professionnels, Cyrille Guimard confirme très rapidement sa polyvalence. Septième du Tour de France en 1971, il est le seul concurrent à tenir tête à Eddy Merckx l’année suivante. En remportant deux étapes alpestres devant le coureur belge, le Breton s’impose, à 25 ans, comme un potentiel vainqueur de la prestigieuse épreuve estivale. Malheureusement, l’été 1972, aussi brillant soit-il, résonne paradoxalement comme le crépuscule de sa carrière. À deux jours de l’arrivée, assuré de remporter le maillot vert, il doit abandonner à cause d’une douleur persistante au genou. Cette dernière ne le lâchera plus.
S’il obtient encore de nombreuses victoires, ses performances restent tributaires de sa santé. Lucide, il concède au printemps 1975, dans un entretien rapporté par Ouest-France, qu’il ne « reviendr[a] jamais à [son] niveau d’il y a 3 ans ». Quelques mois plus tard, sans surprise, le Breton annonce qu’il met un terme à sa courte mais prolifique carrière. Il se laisse néanmoins séduire par un dernier défi qui lui est lancé, à la fin de l’année, par le sélectionneur national, Richard Marillier. Ce dernier lui propose en effet de quitter le peloton de la plus belle des manières en tentant de remporter, devant son public, le championnat de monde de cyclo-cross organisé dans le Rhône. Cyrille Guimard accepte. Il n’est pas loin de relever le défi puisqu’après avoir accroché le titre national en janvier, il échoue au pied du podium lors du mondial.
Un directeur sportif visionnaire
À 29 ans seulement, une nouvelle carrière s’offre au Breton. Il prend la tête de l’équipe Gitane dans laquelle a débuté, un an plus tôt, Bernard Hinault. Sa nomination est officialisée quelques jours avant Noël. Pour justifier leur choix, les dirigeants de la marque de cycles insistent sur les « compétences » et la « forte personnalité » du Breton, caractéristique qui créera parfois des situations conflictuelles avec ses coureurs. Sans le savoir, ils viennent de signer le début de la « décennie Guimard ». Les statiques du Breton sont incroyables. Entre 1976 et 1984, il remporte onze grands tours (soit sept fois le Tour de France, deux fois le Giro et deux fois la Vuelta) et des dizaines d’épreuves majeures du calendrier international. Plus qu’un meneur d’homme, Cyrille Guimard bouscule les codes et les habitudes. Il contribue à faire entrer le cyclisme dans l’ère moderne.
Fin tacticien, Cyrille Guimard découvre également de nombreux talents qui marquent l’histoire du sport cycliste à l’image de Greg LeMond, Laurent Fignon ou encore Marc Madiot. La réussite lui échappe cependant à partir du milieu des années 1980. Dans son autobiographie, il admet s’être senti dépassé par les abus du dopage organisé au tournant des années 1990. Son licenciement de l’équipe Cofidis, à la fin de la saison 1997, sonne la fin de sa carrière de directeur sportif au plus haut niveau. Si le Breton revient malgré tout dans les années 2000, c’est pour prendre la tête d’une modeste équipe de troisième division où il œuvre davantage comme formateur. Entre 2017 et 2019, il retourne toutefois sur le devant de la scène en prenant les rênes de l’équipe de France. Il manque le titre mondial de peu en 2017 avec Julian Alaphilippe, puis, l’année suivante, avec Romain Bardet.
Un commentateur avisé
Malgré son retrait des pelotons, Cyrille Guimard ne s’est jamais éloigné du monde du vélo. Depuis la fin des années 1980, le Breton mène une troisième carrière en officiant derrière les micros. Consultant pour Europe 1 puis pour RMC, il distille également ses analyses à la télévision, d’abord sur La Cinq, avant de rejoindre le groupe Canal+, puis, à la fin des années 2010, la chaîne L’Équipe. Surnommé « Le Druide », le Breton se distingue tant par son expertise technique que par son franc-parler qui, parfois, agace. Ainsi, le 14 juillet 2015, en plein Tour de France, l’une de ses interventions au sujet des bus de l’équipe Sky provoque une intense polémique qui oblige les dirigeants de la formation britannique à ouvrir leurs portes aux télévisions.
Quoi qu’il en soit, au regard des multiples fonctions qu’il a occupées, Cyrille Guimard est indéniablement un acteur incontournable du cyclisme depuis l’après-guerre. Seule une fonction de dirigeant manque à sa carrière même si, en 1974, il fut élu président de l’Union nationale des coureurs professionnels. Candidat à la présidence de la Fédération française de cyclisme en 2009, il s’est représenté en février 2021. Après une campagne agitée, le Breton s’est incliné, mais il n’a certainement pas terminé d’œuvrer pour son sport.