Les chevaux domestiques font leur apparition en Bretagne au cours de l’Antiquité. Au Moyen Âge, leur élevage se perpétue, notamment dans les forêts appartenant aux congrégations religieuses ou aux nobles. Dans le même temps, de nombreux conflits, comme la Guerre de succession de Bretagne, amènent de nouveaux équidés sur le sol breton. Par leur nombre et les fonctions qu’ils assurent, ces animaux font désormais partie du quotidien des habitants, jusqu’à investir le domaine religieux et le folklore.
À partir de la Renaissance, l’élevage équin s’effectue davantage dans les landes et les champs que dans les forêts. Quelques propriétaires plus aisés disposent d’écuries, voire, dans les campagnes, d’étables où se mélangent chevaux et bovins. À cette époque, les bœufs demeurent les animaux de prédilection pour les travaux des champs dans une grande partie de la région. Aussi, les chevaux bretons restent-ils petits pour la plupart (environ de la même taille que les poneys d’aujourd’hui), mais robustes pour porter cavaliers et marchandises. Les éleveurs préfèrent ces équidés de taille modeste pour plusieurs raisons : moins gourmands en nourriture, ils sont ainsi économiques ; ils passent également les portes basses pour entrer dans les bâtiments ; ils échappent aux besoins de l’armée qui ne se sert pas d’animaux « toisant » (mesurant, au garrot) moins de 1,46 mètre pour les dragons, moins de 1,54 mètre pour la cavalerie lourde. Seuls quelques terroirs, comme le Léon, le pays de Tréguier ou celui de Saint-Brieuc, élèvent des individus propres à remonter la cavalerie lourde ou à tirer des charges pondéreuses (vivres pour les troupes, canons, etc.).
Au XVIIe siècle, le commerce régional se dynamise. Les toiles et les peaux de Basse-Bretagne, comme les céréales et les produits de la mer de Haute-Bretagne, s’exportent dans l’Europe entière, jusqu’aux Indes et au Nouveau Monde. La péninsule, enrichie, développe son élevage équin, moteur du transport des denrées et des hommes. L’État, en la figure de Colbert et de ses successeurs, tente de prendre le contrôle de ce commerce en créant les Haras royaux. Cette administration a pour objectif d’augmenter la production et d’élever la taille des chevaux. Mais bientôt les Bretons parviennent à en accaparer le financement et la gestion.
Environ un cheval pour 10 habitants au XVIIIe siècle
Au XVIIIe siècle, les Bretons intensifient l’élevage équin : de 1733 à 1754, l’effectif des chevaux bretons passe de 164 038 à 201 868 têtes, selon les statistiques disponibles pour les cinq départements bretons. La province comptant environ deux millions d’habitants à cette époque, la proportion d’équins passe, en quelques décennies, d’un cheval pour douze habitants à un équidé pour dix habitants. À la Révolution, la population équine chute en raison des réquisitions, des guerres et de la disparition des haras, fermés en 1790. En 1794, la Bretagne compte officiellement 116 744 chevaux. Toutefois, ce chiffre ne comprend pas les effectifs du Morbihan : pour ce département, les statistiques révolutionnaires sont en effet tronquées, en raison de la résistance des Chouans. En 1811, le nombre d’équidés s’élève à 254 370, en comptant cette fois-ci les chevaux élevés dans le Morbihan, mais dont les effectifs restent mineurs. À partir de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle, l’élevage se modernise, s’effectuant davantage à l’écurie. L’éleveur maîtrise ainsi la reproduction, contrôle l’alimentation de l’animal, tant en quantité qu’en qualité, son exercice physique, etc.
Un animal omniprésent dans la culture bretonne
Les usages populaires du cheval concernent en premier lieu les transports. Il est l’animal privilégié pour acheminer des marchandises légères avec le bât, mais également par le fret avec les charrettes, ainsi que de personnes. Les distances parcourues dépassent rarement 15 à 20 kilomètres autour du village, sauf quand il s’agit de gagner les grandes foires ou les rassemblements religieux, comme les pardons. À ces occasions, les marchands, leur famille et leurs chevaux traversent aisément la Bretagne. De cette manière, les ports sont approvisionnés des produits de l’Argoat, qui reçoit en retour les importations de ses commerçants.
Cependant les chevaux ne seraient guère rentables à ce seul usage : c’est pourquoi les paysans les emploient également pour les travaux des champs. Non contents de les mettre à contribution pour engranger les récoltes, les cultivateurs s’en servent pour amender les sols, charrier le goémon (algues fertilisantes) et le maërl (sable calcaire issu d’une algue). Attelés devant les bœufs ou seuls dans certains terroirs, notamment dans le Pays de Rennes et dans le Finistère, ils améliorent la terre en assurant le désherbage et le tirage de la « charrue » (qui n’est qu’une sorte d’araire dotée d’un bout ferré, dans la plupart des cas). De plus, leur fumier enrichit les sols. Hors des champs, ils débardent les espaces boisés ; évacuent, sur le littoral, le sel des œillets vers les marchés, actionnent pressoirs et moulins. L’hiver, leur chaleur réchauffe les maisons les plus démunies. À l’image des paysans, ils travaillent jusqu’à leur mort, où l’on récupère leurs crins pour garnir les sièges, leur peau pour faire du cuir, leurs tendons pour confectionner des instruments de musique, leurs os pour des gonds de porte ou des perles de chapelets et leurs sabots pour fabriquer de la colle.
De plus, même si la chevalerie n’est plus qu’un souvenir, les élites nobiliaires restent familières des chevaux : les familles Ploëuc, Dugage et Kerouartz fournissent, par exemple, des cadres aux Haras royaux. Outre les usages qu’elles partagent avec les classes populaires, elles y ajoutent une dimension symbolique. Parmi les loisirs que leur impose l’interdiction d’activités lucratives, condition de leur rang, les exercices équestres tiennent en effet une place prépondérante. L’équitation, issue des traditions militaires, se sophistique après la Renaissance pour atteindre la haute technicité qui garantit au cavalier autorité et distinction. Au XVIIIe siècle, les grandes familles bretonnes envoient leurs adolescents se former dans les meilleures académies d’art équestre ; la plus recherchée étant l’école des pages de Versailles. Toutefois, une Académie royale réputée fonctionne à Rennes. À cette époque, il n’y a pas une académie de ce type dans chaque province ; c’est donc un privilège. Devenu partenaire de tous les membres de la société, le cheval représente bien plus qu’un auxiliaire pour les Bretons. Il devient même au XIXe siècle un symbole identitaire de premier ordre. Le stud-book « Trait breton » est créé en 1912.