Le 7 juin 1980, Bernard Hinault défile fièrement dans les rues de Milan avec le maillot rose sur le dos. À 25 ans, il vient de remporter le dernier grand Tour qui manquait à son palmarès. Il devient ainsi le premier coureur breton à s’imposer sur l’épreuve transalpine. Avant lui, Lucien Petit-Breton, Jean Robic et Louison Bobet s’y étaient cassé les dents. Ce dernier coureur passe pourtant, en 1957, à 19 secondes d’une victoire qui semblait lui tendre les bras. Malheureusement, cette année-là, le triple vainqueur du Tour de France est victime des mauvaises « coutumes » italiennes. En effet, depuis sa création en 1909, le Giro souffre d’une mauvaise réputation : si les tifosi n’hésitent pas à faire barrière aux coureurs étrangers, les organisateurs, de leurs côtés, ne se gênent pas pour modifier, du jour au lendemain, des parcours qui seraient défavorables à l’un des leurs…
Conscient de ces manœuvres, Cyrille Guimard refuse d’inscrire son poulain sur le Tour d’Italie malgré les demandes insistantes des organisateurs. Dans l’ouvrage qu’il consacre au Giro, le journaliste Pierre Carrey détaille l’improbable accord négocié par le directeur sportif en 1980. Il réceptionne une « grosse somme » d’argent en guise de « caution » qu’il conservera « si les Français s’estiment victimes de basses manœuvres durant la course ». De son côté, Bernard Hinault prend le temps, le jour du prologue, de se recueillir sur le caveau de Fausto Coppi, s’attirant immédiatement les sympathies des tifosi. Libéré de toute pression, « Bernarino » se consacre entièrement à la course qu’il remporte trois semaines plus tard.
Après une nouvelle victoire en 1982, il revient une dernière fois sur le Giro en 1985. Cette fois, le contexte est bien plus tendu. Un an plus tôt, de nombreuses irrégularités avaient conduit à la scandaleuse défaite de Laurent Fignon au profit du concurrent local : Francesco Moser. Le duel du Breton avec le « vainqueur » sortant tient en haleine les Italiens jusqu’au contre-la-montre final. Sur la ligne de départ, des tifosi viennent provoquer le « Blaireau » en brandissant sous ses yeux des posters de Francesco Moser. Ensuite, sur le parcours, les insultes et les poings menaçants fusent. Méfiante, l’équipe du Breton dépêche un membre de son encadrement afin de suivre le concurrent transalpin et s’assurer qu’aucune manœuvre ne puisse l’avantager. Malgré l’ambiance explosive, Bernard Hinault surprend par son calme. À l’arrivée, heureux, il se contente de déclarer : « Franchement, cela s’est presque bien déroulé… Quelques punaises jetées devant moi sur la route à mi-parcours, une bouteille vide qui m’a heurté le coude plus tard. » Sans trembler, en remportant le Giro, il vient de monter la première marche de son incroyable retour au sommet du cyclisme mondial.