À toute chose malheur est bon proclame un célèbre dicton populaire, et même la redoutable épidémie de grippe espagnole n’échappe pas à ce cynique constat. En effet, alors que la Bretagne est confrontée au virus H1 N1, que les médecins de l’époque ne sont pas parvenus à identifier et encore moins à combattre, les publicitaires n’hésitent pas à s’emparer de la maladie pour mieux assurer la promotion de remèdes miracles censés la guérir.
C’est ainsi que les colonnes de L’Ouest-Éclair, le grand quotidien rennais qui publie également à partir de 1915 une édition nantaise, regorgent de réclames pour des produits dont l’efficacité semble au moins égale à l’assurance dont font preuve les slogans qui les vantent. Des publicitaires promettent par exemple aux lecteurs que « la grippe est immédiatement guérie et enrayée par l’emploi de la boisson blanche de l’abbé Magnat ». Les fameuses pastilles Valda sont quant à elles un « produit incomparable » contre les « rhumes, rhumes de cerveau, maux de gorge, laryngites récentes ou invétérées, bronchites aiguës ou chroniques, grippe, influenza, asthme, emphysème, etc. ».
Certaines de ces réclames sont d’ailleurs très élaborées. Ainsi, l’antiseptique Anidiol est mis en valeur par un véritable « infomercial », contenu hybride également appelé « publi-rédactionnel », mettant en avant les propos d’un certain docteur B. de Cordelugle. Du haut de son magistère médical, ce praticien affirme que « l’Anidiol est le seul antiseptique à deux fins, puisqu’il agit aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, caractéristique qui le distingue de tous les antiseptiques et l’a fait classer comme occupant une place unique et au-dessus de tout ce qui existe comme moyen thérapeutique connu dans tous les cas de maladies infectieuses ». À l’en croire, les résultats sont extraordinaires : « La grippe, la fièvre typhoïde, la septicémie puerpérale, les fièvres des pays intertropicaux, les fièvres éruptives : rougeole, scarlatine, variole ; enfin la grande classe des affections gastro-intestinales, depuis la diarrhée simple, la diarrhée verte des nourrissons, la gastro-entérite des enfants et des adultes, l’entérite muco-membraneuse, la diarrhée cholériforme et tuberculeuse, la dysenterie amibienne ; toutes ces maladies sont traitées avec le plus grand succès par l’Anidiol Interne, bien connu par les services rendus dans les hôpitaux civils et militaires ».
De telles stratégies de communication, très agressives, ne doivent pas étonner. Le premier quart du vingtième siècle est celui d’une société du journal qui, déjà, est confrontée aux affres de la culture de masse. Pendant la Première Guerre mondiale, L’Ouest-Éclair tire jusqu’à 400 000 exemplaires, ce qui donne une bonne idée du nombre de personnes qui peuvent être touchées par ces réclames,. Celles-ci sont d’ailleurs d’autant plus habiles qu’elles savent s’adapter à l’air du temps. En juin 1915, les publicités en faveur des fameuses pilules Pink évoquent l’anémie et diverses maladies contagieuses mais ne mentionnent pas spécifiquement la grippe. Évidemment, tel n’est plus le cas quatre ans plus tard…
Reste néanmoins à savoir si ces réclames sont efficaces. Il n’existe pas à notre connaissance d’étude mettant en évidence, pour les compagnies pharmaceutiques, une augmentation du chiffre d’affaires pouvant résulter de ces campagnes publicitaires. Il est même permis d’en douter. Habitué au bourrage de crâne et à la rigueur de la censure, le lecteur sait en effet bien lire entre les lignes et faire la part des choses…