1800 : « musette », violon, tambour…
Si le couple biniou-bombarde n’est attesté sous la forme que l’on connaît aujourd’hui qu’à partir des années 1790, les rapports administratifs des fêtes révolutionnaires nous permettent de dresser un premier inventaire des instruments des réjouissances populaires. La « musette » est le plus souvent nommée, mais le terme désigne soit une cornemuse, soit un hautbois ; on trouve aussi des mentions de bombarde, vèze, biniou : au total cornemuse ou/et hautbois sont présents dans la moitié des citations. Viennent ensuite le violon, implanté presque partout, et le tambour. Il faut y ajouter des mentions de guimbarde, vielle, clarinette, flûte, tambourin. Nulle trace de harpe : son usage populaire a disparu depuis le XIVe siècle.
1900 : des pratiques variées selon les régions
Un siècle plus tard, le paysage sonore est cette fois bien connu, au point que des cartes inventoriant des centaines de sonneurs ont pu être établies pour chacune des pratiques instrumentales des Bretons. Deux zones de jeu majeures s’imposent : la première concerne le couple biniou-bombarde (parfois accompagné d’un tambour) : elle englobe toute la Cornouaille et tout le Vannetais (mais peu la partie gallèse), et, en Côtes-d’Armor, les pays de Loudéac et de Moncontour (quant à l’autre cornemuse bretonne, la veuze, elle n’est plus présente que de part et d’autre de l’estuaire de la Loire). La seconde zone, qui ne recoupe pas la précédente, concerne les joueurs de violon. Elle comprend en Basse-Bretagne le Trégor (où sa pratique décline), le pays de Pontivy, et l’intégralité de la Haute-Bretagne. La clarinette (treujenn gaol – tronc de choux – en breton), est implantée en Haute-Cornouaille, véritable fief de l’instrument, où elle est jouée en couple de deux clarinettes, et, moins fortement, dans le Mené. On la trouve aussi par ailleurs dans les pays de Vitré et Fougères. La vielle à roue n’est présente que dans la partie gallèse des Côtes-d’Armor, mais elle y est très populaire. Il faut signaler également quelques joueurs de fifre bretons. Plœuc, entre Loudéac et Saint-Brieuc, représente le « carrefour instrumental de la Bretagne » : on y trouve vers 1900 des joueurs de biniou, bombarde, vielle, tambour, et les violoneux ne sont pas loin ! Vers 1900, tous ces sonneurs jouent généralement seuls ou en couple.
1900 : l’avènement de l’accordéon
Inventé vers 1830, produit industriellement dans les années 1870, l’accordéon diatonique (bisonore, comme l’harmonica) envahit les campagnes à partir de 1890, et rompt le fragile équilibre entre musique sonnée et musique chantée, s’imposant même là où les instruments traditionnels n’avaient pu s’implanter, comme dans la Montagne. Avec lui arrive, ou s’intensifie, la mode des danses en couple aux mélodies aisément jouables sur cette « pouche » moderne. Les folkloristes s’inquiètent : « Petit à petit, des instruments étrangers tentent de prendre la place des nôtres », écrit Loeiz Herrieu en février 1914 dans Dihunamb. De fait, ce sera l’instrument roi des années 1920, au détriment des autres pratiques, hormis dans quelques zones : le violon se maintient en Mené, la vielle au sud de Saint-Brieuc, la clarinette en Haute-Cornouaille, le biniou et la bombarde au hasard de la présence de quelques couples âgés emblématiques.
Deux nouveaux venus au cœur du xxe siècle
1930 marque un tournant, avec l’apparition parallèle de deux instruments qui vont renouveler la musique bretonne, mais bien différemment. L’accordéon chromatique (unisonore, arrivé à Paris vers 1900) s’implante très rapidement. En Haute-Bretagne, les joueurs supplantent les innombrables « bouézous » et achèvent de faire oublier les airs de tradition ; en Basse-Bretagne, ils les jouent à leur manière, ainsi en Vannetais ou en Cornouaille, accordéon et saxophone s’associent à la manière d’un couple de sonneur. Autour de Scrignac, sous l’impulsion d’Yves Ménez, les accordéonistes créent même un style spécifique pour jouer la gavotte. Et tous forment de petits orchestres, avec un « jâse » (petite batterie), selon la mode française de l’époque.
1930 voit par ailleurs l’arrivée de la cornemuse écossaise, que rêvent d’implanter les citadins folkloristes et défenseurs de la culture bretonne de la Kenvreuriezh ar Viniaouerien (KAV), Confrérie des joueurs de biniou KAV. Vingt ans plus tard, leur rêve est devenu réalité grâce au travail de la Bodadeg ar Sonerion BAS, l’Assemblée des sonneurs, créée en 1943, qui invente avec le bagad une formule instrumentale originale associant cornemuse et batterie écossaises et bombarde bretonne. Le « triomphe des sonneurs » du festival de Cornouaille 1956 compte déjà pas moins de 1 000 sonneurs !
2000 : retour aux sources et éloge de la diversité
Et aujourd’hui ? Les collectes auprès des anciens sonneurs menées depuis un demi-siècle ont porté leurs fruits : le mouvement revivaliste a permis de sauver l’essentiel des pratiques et des styles de jeu en usage vers 1900. Les sonneurs de couple biniou-bombarde, deux instruments spécifiques à la Bretagne, se comptent par centaines. Mais les musiciens bretons ne se sont pas arrêtés en chemin : ils ont intégré les autres instruments populaires du XXe siècle, notamment la guitare, et s’essaient aujourd’hui à faire sonner des instruments issus des quatre coins du monde aux côtés de ceux anciennement joués en Bretagne.