En 1950, Jean Robic se présente sur le Tour de France galvanisé pas la quatrième place obtenue l’année précédente. Mais au départ de Paris, personne ne se fait d’illusion : la supériorité de l’équipe italienne, emmenée par Gino Bartali, ne laisse aucun espoir aux concurrents français. Durant la première semaine, comme prévu, les coureurs transalpins contrôlent le peloton avec autorité. Le public s’agace et leur reproche de rendre la course monotone. Ces tensions s’inscrivent en réalité dans la continuité de l’édition précédente, épreuve durant laquelle le duo Coppi-Bartali règne sans partage. Cette année-là, à moins d’une semaine de l’arrivée, alors que le peloton s’apprête à entrer en Italie, personne ne semble pouvoir faire vaciller les Italiens à l’exception, peut-être, de Jean Robic qui parvient à remporter une étape pyrénéenne. La presse hexagonale se met alors à rêver d’un de ces renversements dont « Biquet » a le secret. Les déclarations pour le moins hostiles se multiplient alors. Jean Robic promet « à lui tout seul » de « corriger » les concurrents italiens sur leurs terres tandis que Raphaël Geminiani qualifie le Breton « d’idiot ». Il n’en fallait pas moins pour exciter les tifosi qui chahutent les coureurs français et, inversement, lors du retour en France.
Un an plus tard, en 1950, lorsque les coureurs se présentent dans les Pyrénées, les tensions ne se sont donc pas estompées. Et lorsque Jean Robic et Gino Bartali accrochent par inadvertance leurs vélos au sommet de l’Aspin, leur chute fait office d’étincelle. Dans les minutes qui suivent, une rumeur se répand tout au long du parcours : Bartali aurait délibérément envoyé au sol « Biquet ». La fin de l’étape tourne au calvaire pour les Italiens qui sont insultés. Porteur du maillot jaune, Fiorenzo Magni est blessé à l’épaule par un coup de bâton. De son côté, Gino Bartali rapporte qu’il a été menacé au couteau par une femme. Craignant pour leur sécurité, les cyclistes et les journalistes italiens se retirent du Tour de France. De leur côté, afin d’assurer la sécurité du peloton, les organisateurs décident d’annuler le passage prévu, quelques jours plus tard, en Italie. L’histoire prend même une tournure diplomatique et le ministre des Affaires étrangères, Robert Schuman, formule des excuses publiques à l’ambassadeur d’Italie. À ce moment, certains observateurs craignent d’assister à la mort du Tour de France ou, tout du moins, à la fin d’une formule qui, en opposant des équipes nationales, exacerbe le chauvinisme du public. Cinq ans après la Seconde Guerre mondiale, les plaies sont encore à vif et la passion cycliste ne fait rien pour apaiser les tensions.