Le 18 juillet 1955, les coureurs du Tour de France entament, sous une chaleur accablante, la terrible ascension du mont Ventoux. Tous sont à la peine hormis, peut-être, Louison Bobet qui s’envole vers un troisième sacre. Huitième du classement général, deuxième de l’édition 1953, Jean Malléjac semble plutôt à son aise depuis le départ de l’étape. Pourtant, dès les premières pentes du célèbre « mont Chauve », il se met à zigzaguer puis s’effondre subitement sous l’œil médusé des spectateurs. Un médecin de l’organisation lui porte immédiatement secours et parvient, après de longues minutes, à le ranimer.
La scène provoque une vive émotion en France. Si une partie de la presse y voit l’inévitable conséquence d’un parcours trop éprouvant, l’organisation surprend le public en annonçant qu’elle vient d’ouvrir une enquête pour « doping ». Le Finistérien est alors pris dans une tempête médiatique d’autant plus prévisible que depuis le début des années 1950, de nombreux journalistes condamnent ouvertement une pratique qui, en se généralisant, met en danger les sportifs. La défaillance du Breton, qui vient de frôler la mort, leur offre une opportunité unique de rappeler l’impérieuse nécessité qu’il y a, désormais, de prendre des mesures pour lutter efficacement contre le dopage. Depuis sa chambre d’hôpital, où il se remet difficilement, Jean Malléjac déclare être peiné de lire autant de « choses invraisemblables » sur son compte. Il nie avoir « fait usage de produits excitants » et affirme avoir été victime d’une insolation. Pour calmer le jeu, comme ils ne peuvent pas éliminer un coureur ayant déjà abandonné, les organisateurs du Tour de France décident d’exclure symboliquement le soigneur qui s’en occupait.
Un demi-siècle plus tard, personne ne connaît la véritable raison qui entraîna l’effondrement du cycliste breton. Jean Malléjac, décédé en 2000, ne le savait peut-être pas lui-même. Le 11 juillet 1967, dans un entretien qu’il accorde à Jean Eskenazi devant les caméras de l’ORTF, il reconnaît avoir certainement été dopé à son insu. Il regrette alors qu’aucune analyse n’ait été réalisée sur le contenu du bidon au « goût amer » qui était dans sa poche au moment de sa chute. Et pour cause, il affirme que ce dernier a « curieusement » été vidé lors de son transport vers l’hôpital. Quelques jours après cette intervention remarquée, Tom Simpson s’effondre à son tour sur les pentes du mont Ventoux. Contrairement à Jean Malléjac, il ne se relèvera pas. Cette fois, aucun doute, le Britannique avait absorbé des amphétamines.