1973-2004 : un « âge d’or » de la gauche en Bretagne ?

Auteur : Jean-Jacques Monnier / avril 2020
L’Histoire contemporaine de la Bretagne se compose de cycles qu’il est facile de mettre en évidence a posteriori. Le réveil économique d’après-guerre est bien connu. Au cours des années 1960, il s’intègre à des dynamiques sociales et culturelles qui modifient profondément la réalité politique et l’image des cinq départements. Le changement est tel que l’on est en droit de se demander s’il n’y a pas là, au final, un véritable « âge d’or » pour la gauche en Bretagne appuyé sur de nouvelles dynamiques sociales et culturelles.

De nombreux ouvrages évoquent le « miracle économique breton », notion sans doute à rapprocher de celle « d’âge d’or », qui transforme un territoire à dominante agricole en une région dynamique et diversifiée avec tous les bouleversements que cela implique. Avec un décalage chronologique d’une vingtaine d’années, cette mutation correspond en partie à celle de la France entière au cours du processus communément appelé « les trente glorieuses ». Le décalage s’explique par des dynamiques particulières et une volonté de rattrapage dont le CELIB est à la fois le symbole et l’initiateur.

Cependant, ce n’est qu’à partir des années 1970 que l’ensemble des dynamiques de transformation se trouve enclenché. Il correspond à l’émergence d’une jeunesse née après la guerre, plus nombreuse, plus instruite, plus indépendante aussi et donc moins résignée. Elle bénéficie d’héritages intellectuels et psychologiques issus des combats des générations antérieures mais encore présentes sur la scène sociale. Il s’agit de personnes marquées par la Seconde Guerre mondiale, la reconstruction, la guerre d’Algérie, les luttes syndicales des années 1950 et 1960.

Tract de la CGT. Musée de Bretagne: 975.077.108.

La CFDT connaît une belle dynamique en s’implantant dans les nouvelles usines agroalimentaires, dans l’industrie de la chaussure et dans les unités décentralisées de production, qu’il s’agisse d’électronique, d’automobile ou encore de textile. La CGT maintient une forte présence dans la métallurgie. Les salaires bas favorisent les délocalisations vers la péninsule armoricaine mais la main d’œuvre salariée rajeunie et plus instruite les supporte mal, de même que les dures conditions de travail. Pour réagir, elle s’appuie sur une tradition de solidarité issue du monde rural ainsi que des pratiques culturelles communautaires en plein renouveau, comme le fest noz et autres expressions festives intergénérationnelles. Le monde rural est lui-même en pleine transformation. Il s’agit d’une véritable révolution –coopérative et technique – mais généralement silencieuse. Amorcée à l’aube des années 1950, cette transition ouvre la paysannerie bretonne sur l'extérieur. Le passage du monde agricole au salariat, ajouté aux mutations évoquées plus haut, est un puissant facteur de mutation sociale et politique.

Ces mutations produisent leur « mai breton » en 1972 avec une série de grèves, dont celle du Joint français. Victorieuse, elle devient le symbole d’une large unité bretonne pour la parité salariale, portée par un éveil culturel contestataire et identitaire.

Du centrisme à la social-démocratie

La gauche en bénéficie, après avoir commencé à se transformer en Bretagne avec les apports de cette « nouvelle gauche » (PSU) qui met les questions de laïcité au second plan, et le basculement d’une partie de l’électorat chrétien du centrisme vers la gauche socialiste. En 1967, la gauche retrouve son niveau de 1956 et progresse ensuite rapidement. Les noms de Louis Le Pensec et Charles Josselin, députés socialistes élus en 1973, et la durée de leur carrière politique illustrent cette montée régulière de la gauche bretonne, qui s’effectue surtout aux dépens des centristes : les Côtes du Nord basculent lors des élections cantonales de 1976. En 1977, la majorité des villes est gagnée par les listes d’Union de la gauche conduite par des socialistes, ce qui permet de fédérer des contestations diverses (régionalistes, gauche alternative) et de préparer leur convergence.

Affiche pour les élections municipales de 1977 (détail). Musée de Bretagne: 977.0053.25.10.Parallèlement, les protestations environnementalistes se multiplient avec une ampleur peu connue ailleurs : contre les projets de centrales nucléaires, mais aussi contre les marées noires qui se multiplient sur les côtes et contre la pollution des eaux.

La victoire de François Mitterrand en 1981 conduit à des législatives où le Parti socialiste enlève 18 sièges sur 33, évinçant le PC et le PSU. La gauche, limitée jusque là à certains secteurs géographiques, est désormais présente partout. Les mouvements sociaux qui l’ont portée vont néanmoins commencer à s’étioler, notamment après 1984.

Affiche pour les élections législatives de 1986. Musée de Bretagne: 986.0019.17.

Mais, au plan politique, chaque recul centriste se fait au profit du Parti socialiste. Pour ce dernier, les élections législatives de 1988 et de 1997 sont encore triomphales (16 puis 20 élus sur 36), le mode de scrutin majoritaire amplifiant toujours les mouvements de l’opinion. En 1998, le Finistère bascule à gauche. En 2004, c’est au tour de l’Ille-et-Vilaine et de la Loire-Atlantique. Seul le Morbihan ne suit pas. Ultime phase de cette implantation , la même année, la gauche largement unie, écologistes et régionalistes inclus, s’empare durablement de la majorité régionale en Bretagne administrative.

Pour la gauche à dominante socialiste et réformiste, c’est le couronnement d’un âge d’or politique, confirmé par les législatives de 2007 et 2012. Qui aurait pu penser qu’en 2017, cette gauche n’aurait plus qu’un seul député ?

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Auteur : Jean-Jacques Monnier, « 1973-2004 : un « âge d’or » de la gauche en Bretagne ? », Bécédia [en ligne], ISSN 2968-2576, mis en ligne le 8/04/2020.

Permalien: https://bcd.bzh/becedia/fr/1973-2004-un-age-d-or-de-la-gauche-en-bretagne

BIBLIOGRAPHIE :

 

Proposé par : Bretagne Culture Diversité