Depuis l’échouement du Torrey Canyon en 1967, la Bretagne est victime d’une succession de marées noires. Le 16 mars 1978, le supertanker Amoco Cadiz fait naufrage au large de Ploudalmézeau. Plus de 220 000 tonnes de fuel se répandent sur les côtes léonardes. L’ampleur du désastre, sans précédent, crée un choc au sein de la population. D’autant plus que la réaction du gouvernement (le plan Polmar) se révèle inefficace.
Conscience écologiste
Dès le 17 mars, une manifestation improvisée réunit quatre cents personnes. C’est le début d’une longue série d’une vingtaine de manifestations en quinze jours, qui réunissent plus de 50 000 personnes dans le seul Finistère. Une dizaine de Comités anti-marée noire se créent, souvent dans la mouvance antinucléaire, ce dont témoigne le succès du slogan « Mazoutés aujourd’hui, radioactifs demain ». En effet, une lutte antinucléaire très active était alors menée non loin du site du naufrage, à Ploumoguer. Quelques mois plus tard d’ailleurs, le site de Ploumoguer est abandonné au profit de celui de Plogoff.
Les communiqués et les manifestations témoignent du fait que la marée noire n’est plus attribuée à la fatalité, mais bien à un problème politique : « pavillon de complaisance », « course au gigantisme » et « croissance à tout prix » sont abondamment dénoncés. Les réactions à la marée noire révèlent l’émergence d’une conscience écologiste au sein de la population.
Saga judiciaire
Dès le printemps 1978, les élus bretons se réunissent en Comités de coordination et de vigilance, l’un dans le Finistère, l’autre dans les Côtes-du-Nord. Conjointement avec des associations environnementales et des professionnels du littoral, ils décident de se porter partie civile et d’entamer une action en justice à Chicago contre le groupe Amoco (à l’époque Standard Oil of Indiana). C’est le début d’une longue saga judiciaire.
En juin 1980, les collectivités locales bretonnes s’unissent dans un Syndicat mixte de protection et de conservation du littoral nord-ouest de la Bretagne, réunissant 92 communes, les départements du Finistère et des Côtes-du-Nord, avec le soutien de la quasi-totalité des professionnels du littoral ainsi que de la SEPNB (Société pour l’étude et la protection de la nature en Bretagne, actuelle Bretagne vivante) et de la LPO (Ligue pour la protection des oiseaux). Représentative de la population touchée par la marée noire de l’Amoco Cadiz, c’est cette structure qui mène désormais le combat judiciaire pour l’indemnisation des victimes. Alphonse Arzel, maire centriste de Ploudalmézeau, est élu président de la structure et mène le combat à ce poste pendant vingt ans.
Le procès s’ouvre le 4 mai 1982. Après un procès-fleuve, le juge Mac Garr désigne la Standard Oil comme responsable de l’accident le 18 avril 1984. En mai 1986 s’ouvre la deuxième partie du procès sur les indemnités, qui se conclut le 24 juillet 1990 en n’octroyant que 123 millions de francs au Syndicat mixte, très loin de ce qu’il demandait. Celui-ci fait donc appel et obtient finalement 225 millions de francs le 24 janvier 1992 (l’État français obtenant quant à lui plus d’un milliard de francs). Si le Syndicat mixte n’obtient au final que 10 % de ce qu’il demandait, ce procès est historique et peut être considéré comme une vraie victoire pour les Bretons. Pour la première fois, une grosse compagnie pétrolière est condamnée à rembourser ses victimes.
Jurisprudence
Suite à une nouvelle marée noire en 1999, celle de l’Erika, les maires décident d’élargir les missions du Syndicat mixte pour continuer le combat contre les pollutions maritimes. Celui-ci devient le Vigipol en 2001, avec pour objet de « coordonner et d’unir les moyens de chaque collectivité adhérente pour agir en tous lieux nécessaires, avec tous partenaires tant français qu’étrangers, pour la protection du littoral, des riverains et de leurs intérêts ».
Les conséquences de la marée noire de l’Amoco Cadiz sont nombreuses et durables. Outre Vigipol, des organisations en sont issues, telles le CEDRE (Centre de documentation, de recherche et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux). Les mesures de sécurité ont été renforcées : le phare du Stiff, sur l’île d’Ouessant, est doublé dès 1978 d’une tour-radar ; un remorqueur, l’Abeille Flandre, est basé à Brest dans les mois qui suivent pour intervenir rapidement dans le rail d’Ouessant, qui est lui-même éloigné des côtes et sécurisé, etc. Enfin, le procès de l’Amoco fait jurisprudence au niveau mondial, et permet depuis de poursuivre les responsables des marées noires.