Né en 1821 au manoir de Keramborgne, en Plouaret, dans une famille de paysans aisés, François-Marie Luzel a poursuivi des études au collège de Rennes où enseigne son oncle, Jean-Marie Le Hüerou, brillant historien et, à ses heures, collecteur de chants populaires. Après la mort prématurée de ce dernier en 1843, Luzel souhaite reprendre et poursuivre ses travaux. Dès 1845, il est chargé d'une mission officielle pour recueillir des chants populaires et des manuscrits de mystères bretons. Mais en cette même année, La Villemarqué propose une seconde édition de son Barzaz-Breiz qui rejette au second plan les travaux de Luzel. La mission n’est pas renouvelée. Luzel mène alors une carrière chaotique dans l'enseignement, et entreprend une œuvre poétique qui lui tient à cœur. Sa rencontre avec Ernest Renan est déterminante. Il en résulte à partir de 1858 une correspondance suivie, qui se poursuivra jusqu’à la mort de l’écrivain en 1892.
La Villemarqué en question
D'abord admirateur inconditionnel du Barzaz-Breiz, François-Marie Luzel remet peu à peu en cause la méthode d’édition suivie par La Villemarqué dont il devient l’un des principaux contradicteurs. Un premier différend les oppose au moment de la publication du Mystère de Sainte Tryphine (1863) auquel La Villemarqué répond par son Grand Mystère de Jésus (1865).
Luzel participe activement au groupe d’opposants (René-François Le Men, Léopold Sauvé, etc.) qui, dans les correspondances, s’en prend de plus en plus vivement à La Villemarqué et à sa méthode d’édition en matière de publication de mystères et de poésies populaires. La 3e édition du Barzaz-Breiz, à la toute fin de 1866, entraîne des critiques des savants de la capitale auquel Luzel contribue à fournir des arguments. Lors du Congrès celtique de Saint-Brieuc en octobre 1867, la parution de la réédition du Catholicon par René-François Le Men, dont la préface contient une note qui est un véritable brulot contre La Villemarqué, marque le début public de la « querelle du Barzaz-Breiz ». Luzel se garde d’intervenir. Sans doute ne veut-il pas rompre définitivement avec une personnalité incontournable et si influente en Bretagne. Luzel prépare alors activement un premier volume de Gwerziou Breiz-Izel qui, paru sous forme de fascicules, puis en volume (1868), suscite les éloges de la « nouvelle école critique » mais est un cuisant échec commercial. Le second volume ne paraîtra qu’en 1874.
Le difficile apprentissage de la méthode « sans embellissements »
Est-ce ce qui le conduit à s’intéresser aux contes ? A partir de 1868, alors qu'il fait la connaissance de Marguerite Philippe et Barbe Tassel, deux de ses principales conteuses et chanteuses, Luzel bénéficie d'une nouvelle série de missions dont l’objet va se concentrer essentiellement sur le conte populaire. Il en livre les résultats aux différentes revues « scientifiques » qui naissent à partir de 1870, notamment à la Revue celtique, créée par son ami Henri Gaidoz. En Bretagne, où la querelle prend un tour plus politique, opposant les républicains qui prennent le parti de Luzel, aux catholiques légitimistes qui défendent La Villemarqué, Luzel se trouve quelque peu isolé, d’autant plus que René-François Le Men, après un revirement spectaculaire, rejoint le camp de l’auteur du Barzaz-Breiz.
Acquis aux idées républicaines, François-Marie Luzel participe activement, avec Henri Gaidoz, à l’Almanak Breiz Izel de 1872, dont il assure les traductions bretonnes. C’est un échec dont il gardera toutefois le goût du journalisme et, à partir de 1875, on le voit rédacteur-en-chef du Journal de Morlaix : c’est le meilleur moyen pense-t-il, de s’adresser directement aux Bretons des campagnes pour diffuser les idées républicaines, mais aussi maintenir vivante la culture et la langue qui sont les leurs. Sans doute est-il trop en avance sur son temps. Le second volume de Gwerziou Breiz-Izel n’est guère mieux accueilli que le premier en dehors des milieux savants de la capitale.
Dès le début des années 1870, plusieurs volumes manuscrits de contes sont prêts à l’édition, mais Luzel ne trouve pas à les publier. Il propose toutefois en 1870, à titre d’essai, un petit volume de Contes Bretons (Clairet, Quimperlé). En 1879, il fait paraître des Veillées Bretonnes dont il n’est pas « scientifiquement » très satisfait : il s’y met lui-même en scène au milieu des conteurs, selon un procédé littéraire qu’il reprochait à ses prédécesseurs.
Le temps des publications et des honneurs
Au début des années 1880, la situation change. Le haut Breton Paul Sébillot, que Luzel a encouragé à collecter, lance à Paris, la collection des « Littératures populaires de toutes les nations » qu’il ouvre par sa Littérature orale de la Haute-Bretagne. Il propose aussitôt à Luzel de lui consacrer les volumes suivants : ce seront deux volumes de Légendes Chrétiennes de la Basse-Bretagne (1882) puis, en 1887, 3 volumes de Contes Populaires de la Basse-Bretagne. Stimulé, Luzel reprend même ses enquêtes, parfois accompagné d'un jeune professeur du Lycée de Quimper, Anatole Le Braz, qui l'aide à publier en 1890 les deux volumes des Soniou Breiz-Izel.
Luzel accède enfin à une stabilité professionnelle quand il est nommé archiviste départemental à Quimper en 1881, puis conservateur du Musée de Quimper. Vice-président de la Société archéologique du Finistère, il se réconcilie, en façade du moins, avec La Villemarqué qui en est le président. C’est même ce dernier qui lui remet la Légion d’honneur le 30 janvier 1890. François-Marie Luzel meurt à Quimper en février 1895.