Les gwerzioù d’abord
La priorité donnée aux gwerzioù explique, pour une part, que la Bretagne ne se soit pas dotée, dès le début du XIXe siècle, à l’exemple des Contes de l’enfance et du foyer des frères Grimm, de recueils de contes. Les quelques récits recueillis par Aymar de Blois (1760-1852) et madame de Saint-Prix (1789-1869) vers 1820-1830 resteront inédits, tout comme ceux notés en breton par La Villemarqué (1815-1895) vers 1840 qui constituent pourtant une première en la matière.
La recherche du pittoresque
Pour Corentin Tranois (1799-1873), Émile Souvestre (1806-1854), qui publie son Foyer breton en 1844, Alfred Fouquet (1807-1875), Ernest du Laurens de la Barre (1819-1881), Amable Troude (1803-1885) et Gabriel Milin (1822-1895), entre autres, les contes se doivent, à l’exemple des chants du Barzaz-Breiz de La Villemarqué, d’être « toilettés » avant d’être portés à la connaissance d’un public nécessairement lettré. Selon un procédé littéraire répandu, les récits sont souvent mis en scène pour les insérer dans le cadre d’une Bretagne pittoresque. Elvire de Preissac, comtesse de Cerny (1818-1899), malgré des textes également remaniés, constitue une exception.
L’âge d’or de la collecte
Il faut attendre la fin des années 1860 pour que François-Marie Luzel (1821-1895) applique une méthode plus rigoureuse de collecte et de publication : ses Contes bretons (1870) marquent, en France, le début d’une approche « scientifique » et ouvrent un âge d’or de la collecte et de l’édition dont le grand homme est Paul Sébillot (1843-1918). Initié par Luzel, ce dernier non seulement effectue en Haute-Bretagne une collecte d’une abondance et d’une qualité exceptionnelles, mais joue au plan national et international un rôle de premier ordre dans la connaissance et la diffusion de la littérature orale. Il contribuera à faire de la Haute-Bretagne l’une des régions les mieux dotées : ses travaux y seront complétés par ceux d’Adolphe Orain (1834-1918), Oscar Havard (1845-1922), François Duine (1870-1924), etc.
Luzel, Sébillot et Renan
En 1884, Sébillot, à gauche, pose avec Luzel, à droite, et lʼécrivain Ernest Renan : trois personnalités qui ont fait accéder la littérature orale au rang d’objet d’études scientifique. Auteur d’une impressionnante collecte, Sébillot élabore également les premiers outils de recherches (questionnaires, bibliographies...), publie des ouvrages de synthèse, lance, en 1881, la collection des «Littératures populaires de toutes les nations», l’une des grandes collections de littérature orale, crée la Société des Traditions Populaires et, en 1886, la revue du même nom. Il peut être considéré comme le père d’une ethnographie française où la Bretagne joue un rôle prépondérant.
Folklore et mouvement breton
Dans un Pays vannetais quelque peu délaissé par les grands collecteurs, l’intérêt est plus tardif : Pierre-Marie Lavenot (1836-1895), Jérôme Buléon (1854-1934), François Cadic (1864-1929), Zacharie Le Rouzic (1864-1939), Joseph Frison (1887-1968), et Yves Le Diberder (1887-1959) effectuent de belles collectes. Plus « militants », certains d’entre eux affichent le souci de maintenir vivante une culture orale menacée comme la langue.
L’entre-deux-guerres marque un arrêt des collectes : Christophe Jezegou (1864-1953), Yvon Crocq (1885-1931), Jean Le Page (1881-1936, Yann ar Floc’h), Erwan ar Moal (1874-1957, Dirnador), Claude Le Prat (1875-1926, Klaoda ar Prat), etc., s’inspirent parfois de la tradition populaire pour créer une œuvre en langue bretonne, ce qui leur permet d’échapper aux critiques d’un mouvement breton pour lequel les « contes enfantins » (Manifeste de Gwalarn, 1925) représentent une littérature passéiste dont il convient de s’affranchir.
Dans les années 1950, des collectes reprennent dans un cadre scientifiquement défini : Ariane de Félice (1921- ?) en Brière et Geneviève Massignon (1921-1966) en Brière et Trégor font une belle moisson. L’instituteur Marcel Divanac’h (1908-1978) collecte quant à lui en pays bigouden.
« Le conte n’existe que par le conteur » (Pierre-Jakez Hélias, Le Quêteur de mémoire)
Un art verbal
Mais, jusqu’au milieu des années 1970 encore, l’intérêt de la plupart des collecteurs et chercheurs se focalise sur les textes : la « littérature orale » est d’abord « littérature ». Or, l’apprentissage, la mémorisation, la transmission des contes se font selon un mode oral qui suppose des techniques spécifiques et un cadre particulier (veillées, etc.). La prise en compte du contexte comme partie intégrante du conte sera l’un des principaux apports des années 1970 à l’étude de la littérature orale. Interrogé, entre autres, par Donatien Laurent, Jean-Louis Rolland (1904-1985) nous donne de précieuses informations sur la façon dont il a appris les contes, dont il les mémorise et dont il les perçoit. Il a même son idée sur leur origine. Cela nous laisse simplement subodorer ce que furent toute la richesse et la subtilité de l’art du conte.
Collectage
Le mouvement de renouveau des années 1970, d’abord musical, touchera plus tardivement le conte. À l’occasion, les conteurs se font également collecteurs, à l’image de Jude Le Paboul (1920-2001) ou d’Albert Poulain (1932-2015). Cet intérêt nouveau a conduit, depuis les années 1980, à l’édition ou la réédition de nombreux recueils de contes inédits ou difficilement accessibles. Festivals, veillées, heures du conte, etc., font appel à une nouvelle génération de conteurs, professionnels ou bénévoles, qui s’attachent à maintenir et valoriser l’art verbal du conte. On constate toutefois que peu content encore en breton ou en gallo et peu reprennent les grands contes de tradition orale.